lundi 7 juin 2021

Dominique Mehl : «La diversité des formes familiales existe depuis longtemps dans la société»

par Johanna Luyssen, correspondante à Berlin   publié le 7 juin 2021

Sociologue au CNRS, spécialiste de bioéthique et des questions de famille, Dominique Mehl salue le projet de loi ouvrant la PMA à toutes les femmes. Certes tardif, il est ambitieux en matière d’accès aux origines. 

Pour la sociologue au CNRS Dominique Mehl (1), le projet de loi bioéthique examiné à partir de ce lundi et prévoyant notamment l’ouverture de la Procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, couples de lesbiennes et célibataires, aurait dû être voté dans le sillage de la loi de 2013 ouvrant le mariage et l’adoption aux personnes de même sexe. Mais il entérine enfin des évolutions sociétales qui viennent de loin.

L’ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes et aux célibataires devrait être validée dans les prochaines semaines. Est-ce une révolution ?

Cette loi s’inscrit dans la logique de celle du mariage pour tous de 2013, et d’ailleurs elle aurait dû être votée dans la foulée. L’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe a bousculé nos représentations, non pas sur le couple, mais sur la parentalité. Et c’était la première fois, car souvenez-vous qu’au moment des débats autour du Pacs en 1999, il était martelé qu’il s’agissait de reconnaître les couples homosexuels mais pas leur parentalité. Le mariage pour tous était donc le premier étage de la fusée. Le problème étant que face à l’opposition, notamment de la Manif pour tous, les politiques ont paniqué, Macron en tête. Ils ont craint une opposition virulente. Elle ne l’a pas été tant que cela. Certes les députés LR à l’Assemblée ont été combatifs, au Sénat aussi. Mais dans la rue, les mouvements n’ont pas été massifs.

De ce point de vue, la société a-t-elle évolué plus rapidement que le législateur ?

Elle est bien plus avancée que les politiques. Dans la pratique par exemple, la monoparentalité existe. C’est donc un changement important, mais surtout un changement dans le droit. Et cela va ouvrir la porte à des femmes, qui, par exemple, arrivées à un âge incertain en matière de fertilité, et sans conjoint, vont concrétiser un désir d’enfant. C’est une petite révolution, en douce. Car les familles homoparentales, monoparentales, recomposées, existent depuis longtemps, les anthropologues, les sociologues le savent. Je le vois dans mes enquêtes. Et ce sans la technique, sans la PMA, sans les biologistes. Cela fait longtemps que le modèle familial a éclaté. Ce qui change, c’est que ça ne passera plus par des pratiques illégales, des PMA faites à l’étranger. Cette légalisation entérine des évolutions sociales et elle accroît la légitimité de ces modèles.

La levée de l’anonymat des donneurs est-elle elle aussi une révolution ?

Ce projet de loi ne lève pas l’anonymat (les parents receveurs et les donneurs ne se connaîtront jamais et ne peuvent pas se choisir), mais elle donne un nouveau droit pour les enfants : l’accès aux origines, et c’est une grande nouveauté. De ce point de vue, la loi est ambitieuse : l’enfant né d’un don aura accès à l’identité du donneur. Et les adultes n’auront pas le choix entre deux voies d’accès aux dons, l’une anonyme et l’autre non, ce qui garantit l’égalité d’accès à leurs origines pour les enfants.

«Pour les femmes célibataires, la question n’a jamais été discutée sérieusement dans l’espace public. La cause première dans la problématique de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, c’est la cause des femmes lesbiennes. Les femmes seules, cela a été vu comme un codicille.»

—  Dominique Mehl, sociologue au CNRS, spécialiste de la bioéthique et des questions de famille

Il y a eu pourtant des résistances, notamment sur la question des femmes célibataires…

Sur le post-mortem, la question a toujours été débattue de manière brûlante, avec des oppositions dépassant les clivages politiques, à gauche comme à droite. Pour les femmes célibataires, la question n’a jamais été discutée sérieusement dans l’espace public. La cause première dans la problématique de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, c’est la cause des femmes lesbiennes. Les femmes seules, cela a été vu comme un codicille. Un certain nombre de députés de la majorité a par ailleurs voté contre. Elles-mêmes se sont très peu exprimées dans l’espace, public. Il existe une association qui les représente, Mam’ensolo, mais sa création est récente. Il y a sans doute aussi une part de culpabilité chez ces femmes, il peut leur apparaître difficile de revendiquer le fait de faire un enfant «sans père», comme le dit l’argument de la Manif pour tous.

Les opposants à la loi ne cessent de dénoncer un «droit à l’enfant»…

Mais de toute manière, cela n’existe pas ! La droite essaie de faire croire que cette loi induirait un droit à l’enfant ; c’est faux. Si vous vous lancez dans un processus d’adoption, par exemple, et que l’agrément vous est refusé, vous ne pouvez pas aller en justice en vous revendiquant d’un droit à l’enfant. De même qu’en PMA si vous êtes «recalée». Ce qui est reconnu, c’est le désir d’enfant. C’est la base d’entrée dans toute décision d’enfantement, par PMA ou non. Et ce désir n’est sous-tendu par aucun droit.

Comment expliquer ces résistances en France ?

Ce sont des résistances des politiques. Ils défendent l’idée d’une bioéthique à la française. Ils légifèrent sur des grands principes, par exemple sur l’indisponibilité du corps. Mais cela dit, les juristes se sont peu à peu ouverts à la société. Ce qui est nouveau, c’est que dans le débat, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), ainsi que certains politiques se sont ouverts à une forme de pragmatisme. Cette fois, par exemple, les associations de patients ont réellement été entendues par le comité d’éthique et par la commission spéciale de l’Assemblée nationale. Alors que dans le cadre de la révision des lois de bioéthique de 2010, seulement quatre associations avaient été entendues sur une seule demi-journée… On est donc en train de changer de façon de réfléchir à ces questions, avec plus de sociétal.

(1) Dominique Mehl est autrice de «La PMA déconfinée : la révision de la loi de bioéthique en 2020» (L’Harmattan, 2021) et de «Maternités solo» (Editions universitaires européennes, 2016).


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