lundi 31 mai 2021

« La classe dehors, c’est aussi faire le choix d’enseigner autrement »

Par Gaëlle Le Ster(Professeure des écoles à Pompaire - Deux-Sèvres)  Publié le 31 mai 2021

Cette pratique pédagogique est favorable à la distanciation sociale par temps de pandémie, mais pas seulement. Gaëlle Le Ster, professeure des écoles dans les Deux-Sèvres, témoigne de son expérience et des multiples autres vertus de la classe en extérieur.

Depuis la fin du premier confinement, la pratique de la classe dehors a acquis soudainement une visibilité médiatique du fait de la crise sanitaire. Bien sûr, sortir les élèves dehors, dans des espaces de nature, est bénéfique pour les enfants et limite les contaminations. Mais la classe dehors est avant tout une pratique pédagogique à part entière, qui reste marginale en France aujourd’hui. Des enseignants « sortaient » déjà avant le Covid-19 et j’espère que ceux qui le font depuis peu continueront à emmener leurs élèves dehors quand tout cela sera terminé.

Je suis enseignante à l’école primaire de Pompaire dans les Deux-Sèvres. Depuis cinq ans, je sors régulièrement dehors avec mes élèves. J’ai commencé à faire classe à l’extérieur parce que j’avais conscience que les enfants ont besoin de vivre des expériences de nature pour grandir, et parce que beaucoup d’entre eux en sont privés. Au fil des années, j’ai pu voir à quel point mes élèves appréciaient et profitaient de ces moments. Aujourd’hui, cela me paraît presque impensable de ne plus sortir pour faire classe, pour eux comme pour moi.

Quand je suis arrivée dans cette école en 2014, une enseignante, Crystèle Ferjou, pratiquait déjà la classe dehors en maternelle. A l’époque, j’avais des CP-CE1 et cette pratique me semblait quelque chose d’un peu à part et réservé aux tout-petits. Au départ de notre collègue, nous avions l’envie de faire perdurer cette pratique. Le manque d’espace dans notre école nous a conduits à prendre le chemin du dehors. Il nous manquait une salle de classe tous les débuts d’après-midi. Puisque l’espace disponible était le jardin, l’équipe pédagogique a donc décidé que toutes les classes d’élémentaire sortiraient une heure et demie par semaine. L’aventure commençait alors pour tous les élèves, de la petite section au CM2.

A l’époque, il y avait encore très peu d’expériences de classe dehors en élémentaire et il m’était difficile de se projeter dans cette pratique, d’autant plus que j’avais peu de connaissances naturalistes. Je me suis alors appuyée sur les ressources locales et les choses que j’aimais faire dans ma classe (du land art, des lectures d’albums, des conseils d’élèves, etc.).

Labellisés « Eco-Ecole », nous avions des projets autour de la biodiversité. J’ai donc profité de ce temps à l’extérieur pour travailler cette thématique avec l’aide parfois de structures d’éducation à l’environnement. Je me suis ainsi formée en même temps que mes élèves, notamment en ornithologie.

Favoriser la curiosité

Au bout de deux ans, j’ai décidé de passer une demi-journée par semaine dehors. Cela a permis de consacrer, lors de chaque sortie, un temps au jeu libre, avant un temps d’apprentissage plus structuré. Il s’agit de donner le temps aux élèves d’explorer, d’expérimenter, de favoriser leur curiosité, leur créativité ainsi que ce fameux lien avec la nature que nous cherchons à développer. Sans consigne ou résultat attendu, je deviens observatrice, et un changement de posture s’opère. Les observations, les questions arrivent : « Maîtresse, comment ça s’appelle, cette fleur ? »,« Maîtresse, j’ai vu une bête bleue et noire, elle a des cornes ! » Il faut être prêt à entendre et ne pas toujours savoir répondre.

Dans la commune, nous disposons de plusieurs lieux pour faire la classe dehors, notamment un champ privé avec une mare, le chemin de la futaie, et depuis peu nous avons aussi investi un petit bois. Avec les plus grands, nous travaillons en itinérance. Les tables et les chaises restent à l’intérieur. L’idée n’est pas d’être assis dehors, comme en classe, mais plutôt de permettre le mouvement et de profiter d’un espace moins contraint pour le corps.

Parfois, la classe dehors, c’est aussi juste pouvoir s’allonger dans l’herbe et regarder passer les nuages. Un vrai plaisir ! Ou mener une séance de sciences parce que la mare a gelé ; l’occasion de travailler sur les états de l’eau. Ces expériences dans la nature construisent réellement les apprentissages, tout en permettant de vivre des moments d’émerveillement ensemble.

Peu à peu, j’ai transposé à peu près tous les apprentissages dehors. Actuellement, avec ma classe de grande section-CP, nous travaillons aussi bien les maths et le français que l’éducation musicale ou l’anglais. L’ouvrage L’Ecole à ciel ouvert, de Sarah Wauquiez, Nathalie Barras et Martina Henzi (Ed. Salamandre, 2019) m’a beaucoup aidée en proposant des activités en lien avec les programmes, notamment des « fondamentaux ».

Lâcher prise

Je déplace parfois des supports pédagogiques à l’extérieur et utilise aussi souvent des matériaux naturels. Le bâton, par exemple, est très précieux : pour touiller une « soupe de sorcière » aussi bien que pour compter, faire de la géométrie, comparer des longueurs ou former des lettres. Dans les écoles, le bâton fait peur mais en interdisant son usage, on prive les enfants de ce matériau et de toutes ses possibilités d’apprentissage et de jeu. Dehors, j’ai appris à faire plus confiance et à lâcher un peu prise pour permettre aux élèves d’expérimenter, d’essayer, de se tromper. Pour cela, j’ai repéré les lieux et le risque a été pensé en amont.

Dehors, les élèves peuvent donc rater et recommencer en sécurité. Quand ils tentent de construire un abri, s’il ne tient pas, ils peuvent essayer autrement. Ce n’est pas l’adulte qui juge mais la loi de la gravité qui décide. Cela aide à développer la persévérance. Pour cela il faut offrir assez de temps et de l’espace.

Ce temps et cet espace reviennent d’ailleurs dans les témoignages d’enfants de cours moyen que j’ai recueillis dans le cadre d’une recherche-action participative nationale. « En classe dehors, t’as plus d’espace pour travailler »« c’est un moment de sérénité, de liberté »« Je n’ai pas un voisin de bureau. Je peux m’éloigner, faire ce que j’ai à faire… », m’ont-ils confié. Leur besoin d’intimité peut être reconnu. L’intérêt est encore plus marqué pour certains enfants très sensibles aux bruits qui ne supportent pas quand d’autres parlent en classe. Grâce à l’espace plus ouvert, un enfant qui parle, même fort, ne dérange personne.

En plus de connaissances sur la nature, je constate aussi des effets bénéfiques sur les élèves, notamment sur la créativité, la coopération, l’entraide. Chaque année, avec mes collègues, nous constatons aussi de réels progrès dans le développement du langage chez certains élèves : assez en retrait à l’intérieur, ils se mettent à parler dehors. Etre en action les aide à s’exprimer. Dehors, les enfants parlent beaucoup entre eux, ils expliquent ce qu’ils font, ont besoin de demander de l’aide pour mener un projet à plusieurs…

La classe dehors, c’est aussi faire le choix d’enseigner autrement. Cela m’a effectivement changée. Je me rends compte après cinq ans que je ne fais plus classe de la même façon, même entre quatre murs.


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