lundi 10 mai 2021

Immunité Vaccin anti-Covid: bientôt au tour des enfants et ados ?

par Nathalie Raulin publié le 9 mai 2021

Selon un avis du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, que «Libération» a pu consulter, il faudra en passer par la vaccination des enfants pour atteindre l’immunité collective. Les plus de 12 ans pourraient être concernés dès la rentrée 2021.

Raccourci dialectique ou message subliminal pour préparer l’opinion à un futur élargissement de la campagne vaccinale aux enfants ? Quand il annonce le 6 mai ouvrir l’accès au vaccin «sans limite d’âge», Emmanuel Macron grossit le trait, les plus de 18 ans étant alors seuls concernés. En réalité, le chef de l’Etat ne fait que lever le voile sur son ambition encore inavouée : enrôler les petites classes d’âge dans la «marche forcée» contre le virus.

A écouter le gouvernement, le sujet n’est pas sur la table. «La vaccination des enfants n’est pas d’actualité», avait éludé le 22 avril Olivier Véran. Pour le ministre de la Santé, il est inutile d’agiter un chiffon rouge alors même qu’on est encore très loin d’en avoir fini avec la vaccination des adultes. En réalité, dans les coulisses du pouvoir, la réflexion va bon train. Pour preuve : à la demande de la Direction générale de la santé (DGS), le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale a largement déblayé le dossier. Dans un avis en date du 30 avril, non public mais que Libération a pu consulter, l’instance chargée d’éclairer l’exécutif sur les vaccins anti-Covid, l’écrit noir sur blanc : «Il paraît nécessaire d’envisager de vacciner les enfants et les adolescents pour réduire la circulation virale dans la population, et pour les protéger d’un risque, certes faible, mais qui mérite attention.»

Tous les plus de 3 ans concernés à terme ?

Les experts ont sorti les calculettes. Compte tenu de la transmissibilité du variant anglais (qui s’est imposé en métropole), bloquer sa circulation suppose qu’au moins 75 % de la population totale soit immunisée, naturellement ou grâce au vaccin. «En considérant la vaccination des enfants et en se plaçant dans des conditions relativement optimistes (adhésion vaccinale de 80 % et protection de 90 % contre la maladie), on atteindrait tout juste l’immunité de groupe», précise l’avis. Et le mot «enfants» est à prendre au sens large : tous les plus de 3 ans devraient à terme être concernés.

«En revanche, poursuit le conseil, sans le concours des plus jeunes, il y aurait un déficit de près de 7 millions de personnes par rapport à l’objectif de 51 millions [soit trois quarts de la population française, ndlr] Le message est clair : pour en finir avec l’épidémie, vacciner les enfants est un impératif. A défaut, l’exécutif pourrait être contraint de reconfiner une nouvelle fois les Français en pleine campagne présidentielle…

Eviter les effets pervers des fermetures sur les plus jeunes

Cette approche, épidémiologistes et pédiatres la partagent largement. «Les enfants sont moins transmetteurs avant 10 ans, mais quand même un peu. Si on veut casser les chaînes de contamination, il est évident qu’il va falloir les vacciner», estime le professeur Rémi Salomon, chef du service de néphrologie pédiatrique de l’hôpital Necker-Enfants malades et président de la commission médicale d’établissement de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Préoccupées par les effets pervers des restrictions sociales à répétition sur la santé mentale et l’épanouissement cognitif des plus jeunes, les sociétés savantes de pédiatrie ne sont pas opposées à l’idée. «Je ne vois aucune objection de principe, indique le professeur Romain Basmaci, secrétaire général de la Société française de pédiatrie. Contrôler l’épidémie est une bonne chose, y compris pour des enfants qui ont besoin d’interactions sociales pour bien se développer. Que des classes voire des écoles ferment pour quelques cas de Covid est problématique.»

Six décès du Covid chez des moins de 14 ans à l’hôpital

Les hospitaliers en charge de petits patients immunodéprimés ou promis à des transplantations d’organes sont encore plus favorables. «On encourage depuis longtemps la vaccination contre la grippe et je ne vois pas de raison de ne pas faire la même chose avec le Covid, explique le chef du service pédiatrie de l’hôpital de la Timone, à Marseille, Michel Tsimaratos. La vaccination est plus une solution qu’une menace. On l’exige d’ailleurs déjà pour nos jeunes patients en attente de greffe. On en a déjà vacciné une quinzaine avec les produits anti-Covid autorisés et ils s’en portent très bien.»

Du côté des parents toutefois, l’affaire pourrait ne pas être aussi simple. C’est qu’à la différence des personnes âgées, les enfants ont à titre individuel très peu à craindre du Covid. Même contaminés, l’immense majorité d’entre eux ne déclarent pas ou peu de symptômes. Depuis le début de la pandémie, les moins de 14 ans ne représentent qu’1 % des hospitalisations (soit 4 500). Le très inquiétant syndrome inflammatoire multisystémique, évocateur de la maladie de Kawasaki, est demeuré circonscrit (442 cas depuis le 1er mars 2020 soit 26 cas pour un million). Selon Santé publique France, sur les près de 80 000 décès enregistrés à l’hôpital depuis le début de la pandémie, seuls six sont à déplorer chez les moins de 14 ans…

Des demandes d’autorisation pour les plus jeunes déjà lancées

De quoi alimenter les interrogations sur la fameuse balance «bénéfices-risques» du vaccin pour des petits en bonne santé. L’écueil n’a pas échappé au président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, Alain Fischer, qui le 3 mai a admis sur France Culture que une telle participation des enfants à l’immunité collective pouvait relever d’une «forme d’altruisme de la vaccination, à discuter». Selon l’immunologue, tout dépendra donc de «l’adhésion et de la compréhension en particulier des plus jeunes, de différents groupes sociaux, de l’intérêt de la vaccination pour retrouver une vie normale». Saisi, le Comité consultatif national d’éthique a confirmé à Libération avoir constitué un groupe de travail pour éclairer le débat.

Néanmoins, l’exigence vis-à-vis des vaccins en est mécaniquement renforcée. Dans son avis, le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale le martèle en caractère gras : «La vaccination des enfants ne pourra être réalisée qu’à condition de l’obtention des résultats d’efficacité et de sécurité de ces vaccins chez l’enfant, et des autorisations de mise sur le marché délivrées par l’Agence européenne du médicament.» Les laboratoires s’y emploient, Pfizer-BioNTech en tête. Alors que son vaccin est déjà homologué en Europe pour les plus de 16 ans, le tandem a le 30 avril demandé à l’Agence européenne d’étendre son autorisation aux 12-15 ans sur la base des bons résultats de son essai clinique de phase 3 publié fin mars. Lesquels font état d’un produit efficace à 100 % dans cette tranche d’âge, «bien toléré en général» et sans effets indésirables graves.

Premières injections en septembre ?

Le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale entend toutefois compléter les connaissances. Signalant une récente alerte en Israël concernant 62 cas de myocardites (dont 2 décès) après administration de deux doses de vaccin Pfizer chez des adolescents et adultes de 16 à 30 ans, il insiste sur la nécessité d’un «recueil complémentaire d’informations et possiblement une évaluation par l’Agence nationale de sécurité du médicament». Le 5 mai, le Canada a tranché sans attendre. Arguant avoir réalisé un examen scientifique «rigoureux et indépendant des données probantes connues», le pays est le premier à avoir donné son feu vert à l’utilisation du vaccin Pfizer chez les plus de 12 ans. Les Etats-Unis devraient lui emboîter le pas dans les prochains jours.

En France, l’exécutif ne va pas aussi vite. Avec 17,5 millions de primo-injectés et 7,6 millions ayant eu leurs deux doses vendredi soir, il reste du chemin à parcourir avant d’atteindre le seuil plancher de 39,6 millions d’adultes vaccinés nécessaire pour espérer atteindre l’immunité collective. En outre, «si on arrive à vacciner suffisamment d’adultes, on pourra peut-être attendre un peu plus avant de considérer la vaccination des enfants», a aussi fait valoir le professeur Fischer. Mais le répit devrait être de courte durée. Selon le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, sous réserve de «résultats probants sur l’efficacité et la sécurité des vaccins chez les enfants», la vaccination des 12 à 15 ans pourrait démarrer à la rentrée 2021. Un rendez-vous que l’Elysée, bien décidé à gagner le pari risqué du déconfinement, devrait avoir à cœur de ne pas manquer.


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