mardi 25 mai 2021

Désirer, oui mais quoi ?

CHRONIQUE

Maïa Mazaurette

Que voulons-nous sexuellement ? Pour répondre au mieux à cette question, la chroniqueuse de « La Matinale », Maïa Mazaurette, conseille de se débarrasser du réel et de faire un détour par l’utopie.


LE SEXE SELON MAÏA

Que veulent les hommes – au lit ? Si vous comptez sur moi pour vous répondre, ce dimanche va être terriblement décevant – quels hommes ? Le vôtre, le mien ? Ne vaudrait-il mieux pas leur demander individuellement ? Qu’allons-nous faire quand les hommes répondront que vraiment, en toute honnêteté, au lit, ils veulent des viennoiseries ?

Pour les femmes, c’est encore plus nébuleux. Au point que la fameuse formule « que veulent les femmes ? » fait aujourd’hui figure de plaisanterie… malgré des conséquences clairement néfastes. En 2019, une étude Ipsos/Mémoire Traumatique montrait ainsi qu’un quart des Français pensent qu’au lit, les femmes savent moins bien ce qu’elles veulent que les hommes. Même chose chez nos voisins : une enquête commandée par Amnesty International a montré qu’un Belge sur cinq estime que les femmes ne savent pas ce qu’elles veulent dans le domaine sexuel.

Si ces questions semblent insolubles, c’est parce que sexuellement, il est très difficile de savoir ce que nous voulons. Et pour cause : faute de grandir dans des bulles, nous apprenons les codes de la sexualité (embrasser, caresser, pénétrer) avant de pouvoir élaborer nos propres préférences. Nous nous familiarisons avec une feuille de route, nous essayons plus ou moins d’y coller, et souvent, l’aventure s’arrête là. Certains s’émanciperont des codes. D’autres les suivront sans se poser de questions… y compris quand les codes ne fonctionnent pas.

Vous trouvez que j’exagère ? Prêtez l’oreille aux femmes désespérées parce qu’elles atteignent l’orgasme par leur clitoris et non par simple pénétration vaginale : leur corps est fonctionnel, il est statistiquement normal, le plaisir est au rendez-vous, et pourtant ces femmes préféreraient jouir « comme il faut ». Plutôt que d’adapter leurs attentes à leur corps, elles essaient d’adapter leur corps aux attentes sociales (une stratégie rarement gagnante). Les hommes peuvent faire les malins, mais ils ne sont pas en reste. Notamment quand ils ignorent le plaisir prostatique, au détriment de leurs propres sensations… une fois encore pour jouir « comme il faut ».

Le pire, c’est que le plus souvent, nous ne cernons même pas le problème. Dans les commentaires de mes chroniques dans Le Monde, je suis régulièrement priée de laisser les lecteurs tranquilles au motif qu’ « en sexualité, on fait ce qu’on veut ». Désolée, mais en sexualité, on ne fait ni ce qu’on veut ni même (le plus souvent) ce qu’on peut. On fait ce que la société (qui jamais ne nous laisse tranquilles – au fait, avez-vous déclaré vos impôts ?) nous a appris à faire et ce qu’elle nous permet de faire. Cela vaut aussi pour les râleurs libertaires qui s’étranglent en lisant ce paragraphe (reprenez un verre d’eau).

Laisser de côté la réciprocité

Cependant, notre statut d’être désirant « sous influence » ne constitue pas la fin de l’histoire. On pourrait se rapprocher de ce que nous voulons « vraiment » à condition de faire un petit détour par l’utopie. Quel serait votre idéal sexuel – le vôtre, pas celui de votre partenaire, et certainement pas le mien ? (Mon idéal consiste à m’allonger sur un tapis d’éphèbes en vous embêtant chaque dimanche.)

Pour répondre à la question, il faut analyser les freins qui habituellement entravent notre route :

  • Tout d’abord, se donner les moyens de réfléchir sereinement. Donc supprimer les pensées toxiques : « la sexualité est sale », « je ne mérite pas de réaliser mes envies », « la sexualité n’est pas suffisamment importante pour qu’on lui accorde du temps ou de l’énergie », « le mieux est l’ennemi du bien et même si je pourrais faire mieux, je ne suis pas malheureux/se », « c’est comme ça que les choses sont censées se dérouler et pas autrement ».
  • Ensuite, repartir du corps : qu’est-ce qui fonctionne vraiment quand on laisse les normes de côté ? Quelles sont les zones inexplorées, sous-utilisées, les zones abandonnées à la paresse (vos seins, vos orteils, votre nuque) ? Comment investissez-vous votre propre anatomie ?
  • Même chose pour le mental : quels sont vos fantasmes déclencheurs (sexe anal, soumission, exhibitionnisme, mots cochons, princes charmants… viennoiseries ?), ceux auxquels vous pensez pour faciliter votre orgasme ? Quels sont les rêves érotiques qui vous réveillent la nuit, les mots-clefs que seul Google connaît ?
  • Le point suivant est sans doute le plus compliqué : pendant cette réflexion, laissez de côté un instant toute question de réciprocité – cette sublime et néanmoins fâcheuse tendance à nous sacrifier pour celles et ceux que nous aimons (en pensant leur faire plaisir… ce qui n’est pas toujours le cas). Comment se passerait votre sexualité si vous n’aviez aucun compte à rendre ? Si vous étiez absolument égoïste, s’il n’y avait rien à négocier ? (Est-ce que ça vous intéresserait encore ? La réponse est peut-être non. Mais ça vaut la peine de se demander ce qui se passerait au-delà de votre scintillant sens de l’altruisme.)
  • Si vous n’arrivez pas à vous placer au centre de votre réflexion, prenez l’exemple du travail sexuel : à un ou une prostitué(e), que demanderiez-vous ? Bien sûr, je ne suis pas en train de vous demander d’aller tester vos fantasmes dans le cadre de la prostitution, simplement de réfléchir à cette question.
  • Peut-être tomberez-vous alors sur un autre problème : le manque d’imagination. Un peu d’auto-indulgence, camarades ! Ce n’est pas vous qui êtes en cause, c’est la culture, assez monomaniaque dans sa fantasmatique (« on n’a qu’à ne jamais se lasser de la pénétration », « on n’a qu’à jouer au maître et à l’esclave », « on n’a qu’à faire exactement pareil mais avec d’autres partenaires »…). Pour en sortir, il faudra forcément consommer un autre érotisme. Déjà parce que c’est agréable, mais aussi parce que c’est la seule manière de générer du choix dans une économie fantasmatique de la rareté.
  • Une fois que vous aurez rassemblé tous ces éléments, examinez la situation catégorie par catégorie : quelle serait votre forme idéale d’engagement ? (Est-ce le couple ? Préféreriez-vous coucher avec plus de personnes ?) Avez-vous besoin d’être amoureux, ou ressentez-vous plus d’excitation avec de parfaits inconnus ? A quoi ressemblerait le rapport sexuel – où, quand, comment, avec qui ? (Une seule personne ou plusieurs ? Au chalet ou en regardant couler le Bosphore ?) Quels seraient les gestes échangés, mais aussi les mots ? Est-ce qu’il n’y aurait que des préliminaires, que de la pénétration, aucun des deux ? Au fait, avez-vous vraiment envie de sexe ?

Au moment de répondre à ces questions, une fois encore, ne vous embarrassez pas du réel. Cherchez l’idéalisme radical (celui qui convient à votre corps, à vos fantasmes, à l’exclusion de tout autre facteur). Gardez en tête que l’objectif n’est pas d’échanger une obligation contre une autre : ce que vous inventez là n’est pas une nouvelle feuille de route mais la condition de quelques espaces de liberté (de toute façon, dans la vraie vie, il faudra toujours négocier avec vos partenaires). Pour obtenir ce qu’on veut, il faut le savoir. Il faut en définir les contours. Ceux de l’utopie. Un parfait remède aux dimanches pluvieux.


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