mardi 25 mai 2021

CheckNews Qui est derrière la campagne de dénigrement du vaccin Pfizer proposée à plusieurs influenceurs ?


 


par Anaïs Condomines  publié le 24 mai 2021 

Plusieurs youtubeurs et influenceurs ont reçu une proposition de partenariat rémunéré visant à répéter que le taux de décès imputé au vaccin Pfizer «est presque trois fois plus élevé qu’avec AstraZeneca». Derrière, une agence douteuse qui se dit basée au Royaume-Uni et ne souhaite pas dévoiler l’identité de son client.
Question posée par Sophie le 24 mai,

Bonjour,

Votre question fait suite à des tweets publiés ces derniers jours par plusieurs influenceurs, dont certains sont spécialisés dans la vulgarisation de sujets scientifiques. Ils s’étonnent d’avoir reçu, dans leurs boîtes mail respectives, une «étrange» proposition de partenariat rémunéré visant à dénigrer le vaccin Pfizer«dangereux pour la santé».

Cette proposition a été envoyée par mail aux influenceurs mercredi. Elle provient d’une supposée agence de communication qui se présente comme étant basée à Londres, nommée Fazze. Cette dernière se dit spécialisée dans la monétisation et s’adresse aussi bien aux influenceurs qu’aux entreprises désireuses de mettre en place une stratégie de pub. Sur son site, elle précise : «Le marketing d’influence se concentre sur les personnes influentes et non sur les cibles. Il identifie les individus qui peuvent potentiellement attirer des acheteurs pour vos produits.» CheckNewsa eu accès au brief transmis par cette agence aux youtubeurs scientifiques.

Dans un français approximatif, elle leur propose une «campagne informationnelle» sur la vaccination en Europe. Et de décrire en préambule : «Nous voudrions partager quelques informations avec l’audience. Il s’agit de la discussion d’actualité sur Covid-19 et les vaccins proposés à la population européenne, notamment AstraZeneca et Pfizer. L’idée de la campagne est de parler de certains résultats concernant l’efficacité des vaccins (nous fournissons bien toutes les infos). […] Il s’agit pas d’une promotion d’un produit : il s’agit uniquement de présenter cette information sur vos réseaux sociaux préférés (YouTube, Instagram ou Tiktok).» Question budget, l’agence précise qu’il est «considérable». «On peut partir du tarif que vous envisagez», indique-t-elle. Quant à la deadline, elle s’établit «entre un et sept sept jours à partir d’aujourd’hui [le 19 mai, ndlr]».

«Rester incognito»

Sur le fond, l’agence précise le déroulé de la campagne telle qu’elle doit être présentée par les influenceurs dans leur story ou leur post, soulignant que l’ensemble ne doit pas ressembler à un contenu sponsorisé mais plutôt à «leur avis personnel» «Dites que vous êtes intéressés par la vaccination. Expliquez qu’un rapport d’AstraZeneca a fuité et qu’il montre les taux de mortalité parmi la population vaccinée.» Elle souhaite voir abordés précisément les points suivants : «Le taux de mortalité du vaccin Pfizer est 3 fois plus grand par rapport à AstraZeneca selon les informations officielles. Les experts de AstraZeneca ont envoyé ce rapport aux régulateurs et aux principaux médias mais il n’a jamais été publié. Pourquoi ? Pourquoi l’Union européenne achète le vaccin Pfizer en grandes quantités malgré les informations fournies ? Il s’agit d’une monopoly [sic] et entraîne des dommages à la santé publique.»

L’idée est donc visiblement de déplorer le monopole de Pfizer sur l’industrie du vaccin anti-Covid, tout en s’appuyant sur un rapport d’AstraZeneca qui aurait fuité sur les réseaux sociaux. Pour étayer leurs dires, l’agence propose aux influenceurs de s’appuyer sur plusieurs sources. Les youtubeurs français sont par exemple invités à relayer un article du Monde. L’article en question remonte au mois de janvier. Il s’intitule : «Ce que disent les documents sur les vaccins anti-Covid-19 volés à l’Agence européenne du médicament». Il s’agit d’une enquête portant sur des données volées et diffusées sur le Dark Web. Selon le Monde, ces données «montrent la pression à laquelle faisait face l’Agence européenne du médicament pour approuver au plus vite Pfizer-BioNTech».Problème : nulle part dans cet article n’est abordé le taux de mortalité imputé à Pfizer par rapport à AstraZeneca. En revanche, on y apprend que des hackers russes sont soupçonnés d’être à l’origine de cette fuite de données.

D’autres sources sont soumises par l’agence. Elles renvoient notamment à une discussion Reddit ou à des posts de blogs faisant référence au fameux rapport qui aurait fuité. Nous avons pu consulter ces pages ce lundi matin, avant que leur contenu ne soit supprimé à la mi-journée. La publication du blog Ethical Hacker, en date du 14 mai, précisait : «Aujourd’hui, le rapport d’AstraZeneca montrant le taux de mortalité parmi les populations vaccinées a fuité. Pfizer a de la marge…» Et publiait un tableau intitulé : «Vue des décès causés par les vaccins reportés par des sources gouvernementales and des agences de pharmacovigilance [sic] On pouvait par exemple constater que des injections de Pfizer, aux Etats-Unis, auraient entraîné 999 morts, d’AstraZeneca aucun et de Janssen 54. En France, les chiffres recensés dans le tableau donnent 386 morts pour Pfizer, 44 pour AstraZeneca et aucun pour Janssen. En avril, ainsi que l’indiquait CheckNews dans un précédent article, 386 décès avaient en effet été signalés en France par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) concernant Pfizer, et 45 concernant AstraZeneca. Mais, nuance importante, les décès ne pouvaient être formellement liés à l’injection du vaccin. Quoi qu’il en soit, dans son brief, l’agence incitait les blogueurs à reproduire ce tableau dans leurs vidéos. A ce jour, CheckNews n’est pas en mesure d’authentifier la source de ce document.

Capture d'écran blog Ethical Hacker

Interrogée en retour par un youtubeur quant à l’identité du client à l’origine de la commande, l’agence botte en touche : «On a parlé à nos partenaires, répond-elle, mais le client préfère rester incognito. Selon leur avis, c’est le contenu de la discussion et les documents divulgués qui sont importants.» Egalement sollicitée par CheckNews, l’agence n’a pas donné suite. Quant à AstraZeneca, l’entreprise nie catégoriquement auprès de CheckNews toute implication dans cette affaire. 

La piste de la Russie ?

En outre, dans les commentaires aux tweets de mise en garde des youtubeurs, plusieurs journalistes soulignent une ressemblance entre les éléments de langage proposés dans le cadre de cette opération et la communication officielle du vaccin russe Sputnik V:

Il apparaît effectivement que, ce lundi matin encore, le laboratoire russe partageait sur Twitter des taux de mortalité selon les vaccins, d’après des données attribuées au gouvernement hongrois. Et d’afficher un taux de mortalité parmi les personnes vaccinées au Pfizer 32 fois supérieur à celui du Sputnik. Dans son tweet, Sputnik rappelle également à l’ordre les «bureaucrates de l’Union européenne» qui ne «devraient pas oublier» ces données. Une rhétorique aux accents complotistes qui pourrait se rapprocher de l’argument, utilisé par l’agence, selon lequel «les principaux médias» ne parlent pas du document ayant fuité.

Autre élément troublant : dans un article publié ce lundi après-midi, nos confrères de Numerama ont enquêté sur la fameuse agence Fazze. Selon eux, le site de l’agence ne présente pas de client ou d’opération précise. Elle renvoie également à Vkontakte, un réseau social russe, et semble avoir employé une jeune femme française qui a effectué et ses études en Russie et des stages de plusieurs mois dans le marketing, à Moscou, à partir de 2018. Surtout, note le site d’information, sur Google Maps, l’adresse indiquée ne correspond à aucune entreprise répondant au nom de Fazze, mais à un centre d’épilation au laser. Nous remarquons également que le site a été mis à jour récemment, l’adresse postale londonienne ayant disparu ainsi que le bouton renvoyant vers le réseau social russe.

Le laboratoire russe n’a pas fait suite aux requêtes de CheckNews.


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