dimanche 25 avril 2021

Reportage.Au Royaume-Uni, le boom des maisons de retraite sur-mesure

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Brinsworth House est une maison de retraite destinée aux anciens du music-hall et de la variété, qu’ils aient été perruquiers, décorateurs ou vedettes. Les résidents y sont entourés de souvenirs d’avant le dernier rappel. Des affiches de spectacles jaunies, des programmes conservés précieusement, ou encore des portraits d’acteurs tapissent les murs de cette institution située en périphérie de Londres.

“Tout dans cette résidence me parle”, assure Rosario, une ancienne danseuse de flamenco qui va fêter en juin son 90e anniversaire, à Brinsworth House.

Nous y préservons la mémoire de tous les gens du spectacle qui ont vécu ici. Nous avons tous vécu des vies très intéressantes, nous connaissons les parcours de chacun, alors nous pouvons confier nos pensées et nos idées, évoquer le passé. Cette maison est absolument merveilleuse.”

Explosion de la demande à venir

Plus de 80 % du marché britannique des maisons de retraite est constitué de prestataires indépendants, de dimensions petites et moyennes. L’année dernière a été dure pour le secteur ; certains spécialistes estiment que 6 500 de ces établissements pourraient fermer dans les cinq années qui viennent. Les pensionnaires des maisons de retraite ont succombé par dizaines de milliers à la pandémie, si bien que de nombreux lits sont restés vides.

Pourtant, la demande pour des places dans les maisons de retraite devrait exploser dans les trente années à venir. D’où un nouveau débouché commercial, si l’on en croit Debbie Harris, fondatrice et directrice générale d’Autumna, le plus grand annuaire britannique en ligne d’accueil pour personnes âgées : “Certaines petites maisons de retraite ont senti le vent tourner et privilégient les offres sur mesure, explique-t-elle. Le secteur des maisons de retraite pourrait en être transformé.”

Une première structure LGBT +

Elliscombe House, une maison de retraite médicalisée de 35 lits, située dans le sud-ouest de l’Angleterre, doit ouvrir dans six semaines. Elle cible une clientèle exigeante, tentée par le “style bonbonnière”, avec une décoration intérieure confiée à de petites usines indépendantes, en Inde. L’équipe de direction, dont trois membres viennent de l’un des plus grands prestataires de soins indépendant privé pour personnes âgées du Royaume-Uni, affirme qu’une structure plus petite permet de créer l’environnement select qu’elle veut proposer.

Mais c’est parmi les 2 000 maisons de retraite britanniques à but non lucratif que l’on peut trouver les solutions les plus personnalisées pour l’accueil des personnes âgées. Tonic Housing va ouvrir ses portes cet été à Lambeth (sud de Londres). Ce sera la première structure d’accueil britannique pour les LGBT+. “La pendaison de crémaillère de nos 19 propriétés sera une nuit drag-queen,commente Matthew Riley, un membre de l’équipe. Pour les activités ordinaires, nous nous adressons à des gens de The Big Flower Fight [concours télévisé de composition florale, du type Top Chef, diffusé sur Netflix le 18 mai 2020], de RuPaul’s Drag Race UK [concours télévisé de drag-queens], et nous voudrions organiser des visites guidées dans Londres sur le thème de l’histoire queer.

Nœuds marins et bateaux miniatures

Denville Hall, une maison de retraite au nord-ouest de Londres, conçue pour des retraités du monde du théâtre, est parfaitement adaptée à l’ancienne profession des pensionnaires : le National Theatre diffuse pour la résidence des spectacles en direct et en ligne, et de jeunes professionnels se rendent régulièrement sur place pour y jouer.

Pour les pensionnaires et les propriétaires des deux maisons de retraite de la Royal Alfred Seafarers’ Society, là aussi tout près de la capitale, des activités comme la réalisation de nœuds marins ou la fabrication de bateaux miniatures sont le secret du bonheur. “La maison est pleine de souvenirs de navigation, il y a des bateaux miniatures, des sextants, des photos de bateaux, raconte John Conacher, 85 ans, ancien capitaine au long cours. J’ai navigué un bon bout de temps, alors ça fait vraiment partie de ma vie.” Joan Maud Hatfield, 97 ans, ancienne Wren [membre féminin de la marine britannique], poursuit :

Ce que je préfère, dans la vie au Royal Alfred, c’est qu’on est sûrs de fréquenter des gens venus des mêmes horizons que soi. La mer a toujours occupé une grande place dans notre existence, c’était un véritable art de vivre.

Attirer de nouveaux pensionnaires

Nadra Ahmed, présidente d’une association représentant des établissements du secteur, assure que de nombreuses autres maisons de retraite de petite taille pourraient chercher à occuper des créneaux très spécialisés, à mesure que les règles de confinement vont se relâcher. “L’année qui vient de s’écouler a été épouvantable pour les petites structures, reconnaît-elle. Beaucoup d’entre elles vont essayer d’adapter leur offre pour attirer de nouveaux pensionnaires, et ainsi remplir leurs lits vides.”

Ceux qui ont consacré leur vie à la nature ont le choix pour leurs vieux jours : la Gardeners’ Royal Benevolent Society [Société de bienfaisance royale des jardiniers] propose des bungalows résidentiels à des horticulteurs à la retraite, tandis qu’il existe deux maisons de retraite dans le sud de l’Angleterre pour des gens ayant travaillé autrefois dans l’agriculture. Ben, fonds de pension pour les anciens travailleurs de l’automobile et des secteurs associés, gère trois maisons de retraite – dont l’une accueille une exposition annuelle de voitures de collection pour les pensionnaires – et un centre d’accueil qui lui a été donné par Peugeot.

“Comme une vraie famille”

Mais certaines résidences privées se sont retrouvées associées par hasard à des gens issus de milieux particuliers. La maison de retraite Compton Lodge dans le nord de Londres est devenue progressivement un lieu qui par excellence invite des artistes, d’après son directeur Adam Harwood. “Nous nous centrons sur des activités artistiques, tandis que les sorties ont tendance à se faire dans des lieux comme le Royal Opera ou le Royal Albert Hall”, note-t-il.

Il y a même de vrais petits bijoux qui relèvent de cette hyperspécialisation sans l’avoir spécialement cherché : la maison de retraite Tabley House – qui a pour cadre une maison classée de style palladien – dans le Cheshire, a servi de décor à des productions télévisuelles et cinématographiques, et possède son propre musée. Ann Kenrich, premier Maître féminin de Charterhouse, un hospice vieux de 400 ans situé au cœur de Londres, affirme que ce qui fait de cet établissement de la City un lieu d’exception est que ses “frères” (même les pensionnaires féminins sont appelés frères) y vivent en communauté. “Notre petite taille fait notre force, explique-t-elle. Nous travaillons ensemble dans le microcosme d’une communauté, comme une vraie famille.”

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