jeudi 22 avril 2021

Reportage A Joinville-le-Pont, un HLM en peines d’ascenseurs

par Romain Boulho et photos Cyril Zannettacci. Vu  publié le 19 avril 2021 

Dans une tour de quinze étages de la résidence Barbusse, les habitants sont régulièrement obligés de prendre les escaliers. Une souffrance du quotidien.

Thierry se sent comme un paria. Il le dit avec le débit du convaincu : sans buter sur les mots, sans filtre pour masquer ses émotions. Dans sa résidence HLM de Joinville-le-Pont (Val-de-Marne), rue Henri-Barbusse, les ascenseurs sont systématiquement en panne et paralysent la vie des résidents. Le bâtiment B, le sien, une tour de quinze étages, est particulièrement touché. En mars, les deux machines sont restées simultanément à l’arrêt pendant une dizaine de jours. Comme en juin, comme en juillet, comme souvent. Le premier ascenseur, réparé, a de nouveau flanché. Les portes du deuxième sont maintenues closes depuis trois mois par deux vis noires. Condamnées. Le bailleur privé, Logirep, a collé une affiche, et esquissé la perspective d’un CDI («Votre ascenseur est à l’arrêt, et ce pour une durée indéterminée») mais compte sur l’indulgence des résidents (la «compréhension»).

Garde-manger dans le coffre de la voiture

A Barbusse, la répétition des pannes est vécue comme une violence. Celle du quotidien, qui ne s’arrête jamais. Qui vient percuter dès le matin, quand on emmène les enfants à l’école ; le soir, quand on rentre du boulot. Les résidents racontent tous les étages de la souffrance. Thierry (12e) jure qu’il fait un signe de croix avant d’entamer la grande ascension. Certains ont le masque lâche et la cage d’escalier lui inspire toutes les craintes. Une dame âgée (3e), genou en vrac, rire noble, décrit les jeunes bras qui portent ses courses. Deux femmes (9e, 11e) rapportent que leur coffre de voiture fait office de garde-manger. L’une dit qu’avant d’entrer dans le bâtiment, elle accorde à son corps et son esprit un peu de repos. Elle se pose là, à l’entrée. S’adosse à une rambarde en ciment, respire. Tous évoquent cette infirmière qui, en mars, grimpait deux fois par jour jusqu’au 15e pour s’occuper de patients ; cette personne en fauteuil roulant ; ces assistantes maternelles encombrées de leurs poussettes ; ce petit vieux qui ne sort plus. Dans son malheur, on rappelle le pire.

Pschitt de Ventoline

Le mois dernier, les pompiers ont été obligés de sortir la grande échelle pour venir en aide à une personne en détresse au 6e étage. La rue est restée bloquée près d’une heure, l’opération a mobilisé la police. La cité a regardé, des habitants ont filmé. Sandrine, la compagne de Thierry : «Et si ça avait été un arrêt cardiaque ?» Posté au seuil de sa porte, le couple interpelle : pourquoi est-ce que personne n’entend ? Est-ce que quelqu’un écoute, au moins ? «On nous balance qu’il manque une pièce, que le Covid allonge les délais de livraison, proteste Thierry. Moi, je commande sur Amazon, c’est là le lendemain. Ils font venir leur machin du lac Titicaca ?» Il précise : «Je suis agent à l’hôpital. Pour une bonne communication, il faut deux personnes. Là, on est tout seuls.» Sandrine songe aux mails sans réponse du bailleur, au pschitt de Ventoline dans les escaliers et au loyer qui lui, n’en finit plus de grimper, 800 euros aujourd’hui.

Les ascenseurs catalysent les tourments. Mais après la panne, on raconte les rats qui narguent, les cafards qui s’invitent, les volets qui pendent. Tony Renucci, conseiller municipal d’opposition et enfant de Barbusse, tente de médiatiser la situation sur les réseaux. «Le bailleur opte pour des menues réparations plutôt qu’un vrai investissement. Ces gens, finalement, se sentent laissés pour compte.»L’homme avance : le sentiment d’abandon généralisé, parfois de rejet, commence par là. La cité compte près de 1 000 habitants, soit une bonne partie d’une ville plutôt cossue, en bord de Marne, qui en dénombre moins de 20 000. Très peu franchissent la rue pour se rendre au bureau de vote, dans l’école en face, explique-t-il.

Au pied des bâtiments, un jeune homme, Khaled, sourit et regarde autour de lui quand quelqu’un évoque le gros budget destiné à une prochaine réhabilitation. Manière de signifier que les millions ne ruissellent pas et que les façades restent constellées de promesses. Il assure : tout ou presque a changé en 2017, quand le bailleur est passé du public au privé : «Je travaille à la SNCF. Je sais ce que c’est la privatisation. A la fin, c’est simple, il s’agit de dépenser le moins possible.» Khaled prend l’exemple du numéro d’astreinte, payant. En comparaison du lien qui existait avec le bailleur public.

«Autres priorités»

Plus loin, on entend que la mairie est «complice» de tout ça. Logirep, qui avait fait appel à un porteur (chargé d’aider les habitants), pointe de son côté des «actes de malveillance». L’édile, (LR) Olivier Dosne, affirme comprendre les habitants mais estime que les pannes sont le fait «d’incivilités», notamment liées au deal. «Certains urinent dans la cage d’ascenseur, m’informe-t-on. Forcément, ça rouille.» Plus tard : «Encore faut-il que certaines familles se révoltent contre le trafic.» Un agent de la mairie qui connaît bien le coin, raconte que les problèmes (le deal) se sont évanouis depuis longtemps. Que la situation mérite bien une action collective. «Mais t’as des gens qui ne se plaindront jamais. Quand tu as un seul salaire qui entre et plusieurs gosses, t’as d’autres priorités.»

L’association des résidents a envoyé deux lettres à la préfecture du Val-de-Marne ces dernières semaines pour demander le décompte de toutes les pannes des charges locatives. Certains se prennent même à rêver à voix haute : bloquer, un temps, le versement des loyers. «Mais faut s’y connaître. Avoir le temps…»

Au milieu de la cité, quelques poches de vert. Des arbres, des pelouses, un city-stade, une aire pour les enfants. Un petit potager, derrière le bloc, où l’on fait pousser «les légumes de Barbusse». Sur un petit écriteau, une aubergine est dessinée. Thierry, avec son ton convaincu et ses mots résignés, dit qu’il a tout ici. Le couple aimerait pouvoir rester mais n’en peut plus. De l’appartement, laissé par le père, on voit le bois de Vincennes, l’hippodrome, la tour Eiffel, les balcons fermés d’un autre HLM, rénové récemment. «C’est beau gosse. Nous aussi, on aimerait bien avoir ça.»


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