lundi 19 avril 2021

Fertilité : le mythe de la «date de péremption» à 35 ans

par Léa Fournier publié le 17 avril 2021

Pour une grande majorité de femmes, cet âge est vu comme une bascule, après laquelle il est très difficile de concevoir. Pourtant, ce chiffre est tiré d’une étude vieille de trois cents ans.

«Il serait temps de penser à faire un bébé ! L’horloge biologique tourne.» Les femmes cisgenres qui n’ont pas eu d’enfant à l’aube de leurs 35 ans sont nombreuses à avoir entendu cette phrase. Pourtant, une étude, publiée début avril dans le Journal of the American Medical Association, relayée par le Guardian, établit que les années de fertilité des femmes ont augmenté, passant de 35 à 37,1 ans. Les femmes seraient donc en mesure d’avoir des enfants pendant deux ans de plus qu’auparavant.

Surtout, il est précipité d’affirmer qu’à leur 35e anniversaire, les femmes deviendraient subitement infertiles. Selon la psychologue Jean Twenge, qui a cherché la source de cette idée si répandue pour The Atlantic, ce fameux âge pivot provient de données françaises, sur une période s’étalant de 1670 à 1830. A une époque où l’espérance de vie ne dépassait pas 30 ans. L’étude dont provient ce chiffre se base sur le nombre d’enfants par femme mariée en fonction de leur âge, à partir des registres des paroisses françaises et de l’état civil de l’époque. Il s’agit donc de données démographiques, et non médicales. Elles ont été reprises par un article publié en 2004 dans le journal Human Reproduction, qui indique qu’un tiers des femmes de 35 à 39 ans réussissent à tomber enceintes après un an d’essais. En fait, l’article part du principe que, puisque 66 % des femmes mariées de plus de 35 ans avaient eu un enfant dans l’année suivant leur mariage, les autres n’avaient pas réussi à tomber enceintes. Alors que rien n’indique que ces dernières essayaient d’avoir un enfant.

«A 35 ans, ce n’est pas du tout fini»

Si cette «date de péremption» de l’appareil reproductif féminin semble faire consensus dans la société, la réalité est plus nuancée. «A 35 ans, ce n’est pas du tout fini», affirme la gynécologue Clémence Roche. «Ça peut devenir plus compliqué à partir de 38 ans. Les taux de fausses couches augmentent à cet âge-là.» A partir de 35 ans, le stock d’ovules des femmes diminue. Mais même si la quantité d’ovules est l’un des deux facteurs qui affectent la fertilité des femmes, le premier facteur, c’est «la qualité des ovules, c’est-à-dire la capacité qu’un ovule tous les mois puisse donner une grossesse à terme», explique Clémence Roche. Et même si la qualité des ovules diminue en même temps que la femme vieillit, pas de quoi s’alarmer.

En 2013, l’étude «Fertilité et stérilité» de Kenneth Rothman indique que lorsqu’elles ont des relations sexuelles au moins deux fois par semaine, 78 % des femmes âgées entre 35 et 40 ans sont enceintes dans l’année. Contre 84 % de femmes âgées de 20 à 34 ans.

Pourtant, Clémence Roche voit défiler des jeunes femmes dans son cabinet de gynécologie, «dans des situations de stress terribles avant même d’avoir essayé de faire un enfant». Devant leur faible taux d’hormone anti-müllerienne (AMH), qui évalue le stock d’ovules, certaines paniquent. «Même dans le milieu médical, il existe des discours anxiogènes autour de ce taux. Je vois des femmes traumatisées par des annonces d’infertilité.» Plutôt que de les faire angoisser, la médecin recommande de les informer : «Conseiller aux femmes qui ont un projet de bébé de vraiment se poser la question à 35 ans, ce n’est pas mal. Entre se poser la question de faire un enfant et le faire, il y a souvent un délai. Un déménagement, un confinement… Qui décale le projet de bébé. Si on se la pose à 38 ans, on le fait à 40 ans. Alors mieux vaut y penser à 35 ans.»

Passé 40 ans, une aide médicale moins garantie

Annina Lobersztajn, gynécologue obstétricienne, va plus loin : «A 35 ans, il faut commencer essayer de faire un bébé si on en veut un.»Tout simplement parce que si on n’arrive pas à avoir un enfant naturellement, il est encore temps d’avoir recours à une aide médicale à cet âge. Ensuite, la médecine ne sera plus d’un grand secours. «En PMA, on va être limités. On est beaucoup moins bons en fonction de l’âge car la qualité des ovocytes est moins bonne. Pour une FIV, si la réserve ovarienne est diminuée, on aura de moins bons résultats. Les chances de grossesse en FIV entre 35 et 40 ans ne sont pas mauvaises. Mais à 40 ans, elles diminuent vraiment.»

Autre élément à prendre en compte, après 40 ans, «il y a plus de complications pendant la grossesse et de l’accouchement», souligne Annina Lobersztajn. «Plus de diabète gestationnel, d’hypertensions, d’accouchements prématurés, d’hémorragie de la délivrance…»

«L’impact de l’homme sur une fausse couche est très important»

La pression exercée sur les femmes pour qu’elles fassent un bébé avant 35 ans, plus que médicale, est avant tout sociale. «Il faut arrêter de porter un jugement sur les femmes qui veulent avoir des enfants plus tard», estime la militante féministe Marie-Hélène Lahaye, autrice du livre Accouchement : les femmes méritent mieux. A cause des injonctions de la société, «des femmes ont peur d’avoir l’air d’être la grand-mère de leur enfant». «Derrière tout ça, il y a toujours cette image de la vieillesse qui disqualifie les femmes. A partir de 40 ans, les femmes ne sont plus désirables, ne sont plus mères.»

Marie-Hélène Lahaye s’interroge : «Pourquoi une pression équivalente n’est-elle pas mise sur les hommes ? Ils sont libres de faire carrière, de vivre des aventures, de voir le monde, de ne pas vouloir d’enfant…» On ne parle que très peu de la baisse de leur fertilité, qui décline pourtant, à la fois avec l’âge, mais surtout en fonction de leur mode de vie, comme l’explique la gynécologue Clémence Roche : «Le tabac, le surpoids, l’alimentation ont des conséquences sur la fabrication des spermatozoïdes. L’impact de l’homme sur une fausse couche est très important.» Par ailleurs, sur les trente dernières années, la quantité de spermatozoïdes et leur qualité ont été divisées par deux en Occident, selon une étude de l’université hébraïque Hadassah Brau, à Jérusalem. Un constat qui pourrait inquiéter davantage les personnes incitant les femmes à se dépêcher d’enfanter avant 35 ans…


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