lundi 12 avril 2021

Beaucoup plus fort en THC, le nouveau cannabis accroît le risque de dépendance

Par  et   Publié le 12 avril 2021

Plus chargé en THC, la molécule à l’origine des effets psychotropes, le cannabis en circulation évolue et les drogues de synthèse se développent. Plusieurs agences régionales de santé s’inquiètent.

Présentation par la police d’une saisie de 63 kilos de marijuana, lors d’une conférence de presse à Paris, le 15 janvier 2020.

C’est une évolution qui s’est faite à bas bruit et qui commence à inquiéter les autorités sanitaires. La litanie des annonces de saisie de cannabis en France masque une autre réalité : la hausse très significative du THC – le tétrahydrocannabinol, la molécule à l’origine des effets psychotropes –, ainsi que la poursuite de l’expansion des produits de synthèse. Plusieurs agences régionales de santé (ARS) ont tiré la sonnette d’alarme, ces derniers mois. Ces produits entraînent un risque de dépendance accru et leurs effets peuvent, dans certains cas, entraîner une hospitalisation.

Selon les chiffres du service national de la police technique et scientifique (PTS), le taux moyen de THC dans la résine de cannabis saisie par les services répressifs a triplé en vingt ans. « Jusqu’aux années 2000, celui-ci tournait entre 6 % et 8 % », explique Céline C., experte juridique en produits stupéfiants, ingénieure et chef de la section stupéfiants du laboratoire de police scientifique de Lyon. Il a ensuite progressé doucement jusqu’à l’année 2010, « qui est une année charnière ».

Depuis, la concentration de THC dans la résine de cannabis a bondi de 11 % en moyenne, à « 28 % en 2019 ». Il arrive parfois que les services de la police scientifique détectent des taux grimpant jusqu’à 50 %, voire plus, pour du cannabis présenté sous une autre forme dans le produit final. C’est le cas par exemple du BHO, pour « butane hash oil », qui consiste à extraire de l’herbe de cannabis avec du gaz butane, une huile très pure pouvant atteindre 80 % de THC.

Une pureté recherchée par les trafiquants

Plus récemment, la PTS a même analysé un gel de cannabis, contenu dans une petite seringue en plastique, atteignant 91 % de THC. Une pureté désormais recherchée par les trafiquants, du producteur au vendeur, qui s’adaptent comme toute autre entreprise à une demande allant dans ce sens. Ils ont modifié leur mode de production en sélectionnant les graines, à dessein.

Il n’est plus rare désormais de lire sur les réseaux sociaux, Snapchat pour l’essentiel, des annonces de dealeurs promouvant l’arrivée récente de tel ou tel produit baptisé, par exemple, triple frappe ou « frappe trois fois filtrée », et mis en avant pour sa puissance psychoactive. L’herbe de cannabis serait pour sa part moins concernée par cette hausse de THC. Avant 2000, son taux de THC était de 4 % en moyenne et tourne entre 10 % et 13 % ces dernières années, note la PTS.

Parallèlement à l’augmentation du taux de THC dans le cannabis, une autre tendance préoccupe les professionnels de santé : la diffusion croissante de drogues de synthèse. Ces molécules synthétiques imitent et amplifient les effets de certains produits.

A l’automne 2020, l’alerte est d’abord venue du centre d’addictovigilance de Marseille et de l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). En décembre, le centre d’addictovigilance de Bordeaux et l’ARS Nouvelle-Aquitaine ont emboîté le pas. En cause : les réactions inhabituelles observées chez plusieurs consommateurs de cannabis. A Marseille, des clients réguliers, pensant avoir acheté de l’herbe classique – composée de THC et de cannabidiol (une autre molécule contenue dans la plante) –, se sont retrouvés en sueur, fiévreux, pris de vertiges et de tremblements, de nausées, voire de vomissements. A Bordeaux, plusieurs mineurs ont dû être hospitalisés.

Les pharmacologues du centre d’addictovigilance de Marseille effectuent alors des investigations. Aucune trace de THC n’est repérée dans les analyses. En revanche, sont détectés du CBD et, plus inquiétant, un cannabinoïde de synthèse au nom barbare, le « MDMB-4en-Pinaca ». Le même élément sera retrouvé chez les adolescents bordelais. Il s’agit d’une molécule produite par des laboratoires clandestins, censée reproduire les effets du THC. Se présentant sous forme de poudre, elle est généralement vaporisée directement sur les résidus végétaux ou intégrée à des produits destinés à être vapotés. Dans le cas marseillais, elle avait été pulvérisée sur des têtes de cannabis au CBD, à l’insu des consommateurs.

« Il s’agit de substances qui, pour des doses largement inférieures, sont beaucoup plus fortes. C’est le cannabis puissance 100 », alerte Joëlle Micallef

Si cette molécule agit dans le cerveau sur les mêmes récepteurs que le THC, « ce n’est pas juste le Canada Dry du cannabis, alerte la docteure Joëlle Micallef, présidente du Réseau français d’addictovigilance et directrice du centre PACA. Il s’agit de substances qui, pour des doses largement inférieures, sont beaucoup plus fortes. C’est le cannabis puissance 100. » En fonction du dosage, particulièrement difficile à maîtriser, les conséquences sont variables : malaise, vertige, tachycardie, bad trip, agressivité, voire, dans les cas les plus sévères, AVC, infarctus, jusqu’au décès.

En 2019 et 2020, ce sont douze cas de décès liés à la consommation de MDMB-4en-Pinaca qui ont été déclarés à l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, dont huit en Hongrie, trois au Royaume-Uni et un en Suède. « Dans chaque cas, d’autres substances psychoactives avaient été identifiées », précise la direction générale de la santé (DGS). Le produit a été détecté sur le marché européen en 2017. « Sa présence est signalée en hausse entre début 2019 et fin 2020 dans vingt et un Etats de l’Union européenne, la Turquie et la Norvège », indique la DGS.

En France, c’est à Mayotte et à La Réunion que la molécule a été identifiée pour la première fois. On y consomme de la « chimique », soit des cigarettes remplies de tabac et imprégnées d’un, voire plusieurs cannabinoïdes de synthèse. Le MDMB-4en-Pinaca circule désormais plus largement sur le territoire. Entre septembre et décembre 2020, le système national d’identification des substances et des toxiques (Sintes) l’a identifié dans treize collectes d’échantillon d’herbe. S’y ajoutent huit cas de forte suspicion.

Concernant 2021, au 3 février, il avait déjà été identifié dans vingt et une autres collectes. Sont concernées les régions Bretagne, Bourgogne, Centre, Hauts-de-France, Ile-de-France, Nouvelle-Aquitaine, PACA et Auvergne-Rhône-Alpes. « La hausse des signalements, constatée début 2021, reste difficile à interpréter et peut révéler une forte réactivité du réseau Sintes autant qu’une diffusion accélérée du produit sur le territoire », indique la DGS.

« Au regard des seules informations disponibles à ce jour, l’annonce de la circulation de ces produits doit demeurer circonstanciée, rapporte l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) dans un document du 5 février 2021. Il n’existe actuellement pas d’éléments permettant d’évaluer la proportion de produits de ce type circulant en France. » En outre, l’OFDT précise : « Il faut différencier ce phénomène de la survenue d’effets inattendus/indésirables découlant de la consommation de cannabis à forte teneur, dont la présence s’accroît depuis plusieurs années. Seule l’analyse de la composition des produits consommés peut en déterminer la nature. »

« Ce qui nous alerte, c’est la tendance évolutive »

Pour la docteure Micallef, il ne faut pas s’arrêter au nombre de cas identifiés. Car la plupart des consommateurs passent sous les radars. Pour analyser les produits, encore faut-il que les personnes arrivent à l’hôpital ou soient repérées par les professionnels de santé. Encore faut-il, également, que des analyses soient réalisées, que des liens de cause à effet soient déterminés ou que le produit soit collecté. « Quand on a cinq cas, c’est qu’en réalité on en a cinq cents, rapporte la professeure. Ce qui nous alerte, c’est la tendance évolutive. Quand on voit que les cas augmentent, que le produit arrive dans différentes régions, qu’il touche tout type de public, c’est plus important qu’un chiffre. Pour nous, il ne manque rien pour faire une sensibilisation nationale sur le sujet. »

Les cannabinoïdes de synthèse ne sont pas nouveaux. Ils appartiennent plus largement aux « nouveaux produits de synthèse », identifiés au niveau mondial au début des années 2000. Ces produits, néanmoins, connaissent « une dynamique soutenue de production et de diffusion, à partir de laboratoires chinois principalement », explique la DGS. De nouvelles molécules, pour la plupart issues de la recherche scientifique, sont mises sur le marché régulièrement, afin d’échapper à la loi sur les stupéfiants.

En Europe, les premiers cannabinoïdes de synthèse ont été détectés en 2008, en Allemagne et en Autriche, dans des produits vendus sous le nom de « Spice ». « C’était un mélange de plantes, commercialisé sur Internet comme de l’encens, mais qui était en fait fumé, explique Reynald Le Boisselier, directeur du centre d’addictovigilance de Caen. Aujourd’hui, les molécules sont plus puissantes, et on observe une diversification des usages. » En France, entre 2008 et 2017, soixante-huit cannabinoïdes de synthèse ont été identifiés, d’après l’OFDT.

« Toute une série d’effets qu’on ne connaît pas »

Dans la région de Caen, le phénomène est devenu visible en 2018. Plusieurs dizaines de lycéens ont développé des effets indésirables après avoir vapoté un e-liquide appelé « Pète ton crâne ». Des cannabinoïdes de synthèse y étaient incorporés. « Ces substances n’ont pas eu d’études cliniques poussées. Il y a toute une série d’effets qu’on ne connaît pas, notamment chez des personnes très jeunes, qui n’ont pas d’antériorité médicale et dont on ne connaît pas les fragilités individuelles », alerte le professeur Le Boisselier. « Il y a une volonté de faire goûter et de diffuser ces produits, souligne la docteure Micallef. Le marketing de certains sites est travaillé, ils surfent sur certains effets de mode comme le vapotage, moins stigmatisant. »

Toutefois, de façon contre-intuitive, d’après les chiffres de l’OFDT, et bien qu’il soit encore trop tôt pour mesurer l’impact des confinements successifs, l’usage de cannabis chez les adolescents a observé une tendance à la baisse jusqu’en 2017. Cette année-là, 39 % des jeunes de 17 ans déclaraient en avoir déjà fumé ; ils étaient 50 % en 2002. Toujours d’après l’OFDT, en 2017, près de 4 % des jeunes de 17 ans déclaraient « avoir déjà consommé un produit imitant les effets d’une drogue ».

Néanmoins, face à du cannabis « plus chargé » et à des drogues de synthèse plus puissantes, le potentiel de dépendance et les risques augmentent. « On a vu les cas compliqués se multiplier », observe la docteure Micallef. « La pratique est tellement répandue que ceux qui essayent de se sevrer, à moins de s’isoler complètement des copains, ont du mal », rapporte Emmanuelle Peyret, addictologue à l’hôpital pour enfants Robert-Debré, qui ajoute : « Ils se tournent aussi vers des choses beaucoup plus dures, tous les dérivés d’opiacés qui se trouvent dans la pharmacie des parents. On a de plus en plus de situations inquiétantes. »


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