samedi 27 mars 2021

Témoignages «Quand l’hôpital va-t-il craquer ? Il a déjà craqué»

par Olivier Monod  publié le 26 mars 2021

Après un an de lutte contre le Covid-19, trois professionnels de santé aux prises avec des établissements en crise ont fait part de leur mal-être à «Libération». Ils se disent épuisés et déçus par la gestion de la pandémie.

Il y a la lassitude, la colère, mais aussi la perspective de voir le secteur de la santé déserté par des personnels à bout. En pleine troisième vague, tour d’horizon des questionnements amers de trois professionnels désabusés : Marie (1), 37 ans, qui travaille dans un hôpital parisien, Jérémy, 41 ans, du centre hospitalier d’Arles, et Romain, 44 ans, au service de médecine intensive-réanimation de l’hôpital Bichat.

Marie, infirmière en réanimation devenue cadre de santé

«Il y aura une hémorragie à la fin, c’est sûr»

«Le Covid a clairement accéléré ma décision de changer de poste. C’est quelque chose que je voulais faire et qui m’avait été proposé il y a quelque temps, mais la première vague m’a bien aidée à accélérer ma décision.

«Les soignants sont épuisés. Lors de la première vague, il y avait de la peur face à une maladie inconnue mais on était aussi portés par l’adrénaline. C’est après qu’on a ressenti un épisode de fatigue collective, un bon coup de bâton. A ce moment-là, la phrase que j’ai le plus entendue, c’est : “Si ça revient, je pars et je change de boulot.”Et cela tout en sachant pourquoi on fait ce métier. Et on a vécu la deuxième vague et maintenant la troisième avec une certaine lassitude. “On ne veut pas y retourner”, me disaient mes collègues. Mais les équipes sont toujours là. Avec le plan blanc, tous ceux qui voulaient partir sont bloqués. On retient des personnels qui ont décidé de partir depuis plusieurs mois, ce qui est normal en temps de plan blanc mais impacte un peu plus l’attractivité de l’hôpital public. Il y aura une hémorragie à la fin de la crise, c’est sûr.

«On a quatre postes vacants mais aucun candidat. Les gens préfèrent le statut d’intérimaire : ils sont sûrs d’avoir du travail et ils choisissent leur rythme. Mais aujourd’hui, même l’intérim ne répond pas à tous les coups.

«Avant le Covid, on était déjà dans la rue pour défendre nos conditions de travail. On reste l’un des pays de l’OCDE où les infirmières sont les moins bien payées. On a beau adorer notre travail, si les conditions sont trop dégradées, les gens ne resteront pas. Au vu de nos responsabilités, c’est limite méprisant.

«Certaines décisions doivent être prises au plus haut niveau de l’Etat pour nous aider. En réanimation, il faut une infirmière pour deux patients et on ne peut pas tenir un service avec des personnels formés en trois semaines. Si cela doit être fait, ce sera un mode de fonctionnement dégradé.

«Je suis en colère contre le gouvernement qui n’a pas confiné en février, les projections étaient là, nous y sommes. Je comprends la lassitude des gens mais ce confinement est inévitable. On voit depuis plusieurs semaines le nombre de patients augmenter. Ils sont plus jeunes, dans des états plus graves. On traîne à décider et les patients arrivent en masse. Et là on ne parle que du Covid ! Mais pendant le premier confinement, on n’a eu aux urgences aucun infarctus ni AVC. Les patients sont morts chez eux de peur d’aller à l’hôpital, les pompiers nous l’ont dit.»

Jérémy Chanchou, aide-soignant aux urgences

«Personne ne veut faire ces métiers paramédicaux»

«On est épuisés. Travailler au sein d’une unité de soins intensifs Covid, c’est très contraignant. Il faut mettre la combinaison, on a chaud. Mais on continue à y aller, on a la tête dans le guidon.

«Ici, à Arles, on n’a pas été submergés comme dans l’Est lors de la première vague. Mais, depuis la deuxième, cela ne s’arrête pas. On a manqué de tout. On a tenu grâce aux dons. Après avoir lancé un appel sur notre page Facebook, des particuliers et des usines nous ont apporté des masques et des tenues de protection. Les infirmières sont envoyées en formation de cinq jours pour acquérir les techniques nécessaires à la réanimation.

«Beaucoup de collègues font des heures supplémentaires. Pas moi, j’ai besoin de repos après avoir enchaîné trois jours à douze heures de garde.

«Le problème, c’est que, parfois, le service n’est pas au complet. Il est très difficile d’avoir des renforts quand il manque quelqu’un. Aujourd’hui, il y a trop de postes de paramédicaux vacants en France. Personne ne veut faire ces métiers. Il y a deux ans déjà, l’augmentation du nombre de personnels paramédicaux faisait partie de nos revendications principales avec le collectif Inter-Urgences, en plus de l’ouverture de lits d’hospitalisation et d’une reconnaissance de nos métiers. Et cela, un an avant la crise sanitaire. Elle aurait été différente si on avait écouté les soignants à l’époque. La réponse, c’est ce mauvais Ségur de la santé[consultation lancée à l’été 2020 aboutissant notamment à une hausse de 183 euros de salaire, ndlr].

«Quand on me demande : “Quand l’hôpital va-t-il craquer ?” Je réponds qu’il a déjà craqué. Des queues d’ambulances devant les urgences parce qu’il n’y a plus la place à l’intérieur, ça nous arrive. Avec le Covid, on a mis à l’écart les autres pathologies. On va le payer à un moment ou un autre.»

Romain Sonneville, médecin

«Je ne comprends pas que l’on tarde»

«On s’apprête à revivre ce qu’on a vécu il y a un an jour pour jour. On a les mêmes contraintes, les mêmes questions sur les capacités du service à absorber cette troisième vague. Mais j’ai l’impression que cela devient banal pour l’extérieur de l’hôpital. Pour nous, il s’agit de gérer deux ou trois fois plus de charge de travail à effectif constant. C’est notre travail de faire avec ce qu’on a, mais il y a une forme de résignation.

«Depuis janvier, du point de vue de l’hôpital, les mesures sont insuffisantes pour freiner le virus. Je ne comprends pas que l’on tarde. Le Conseil scientifique a prévu cette remontée. Je me demande si le gouvernement ne surestime pas les capacités de l’Ile-de-France à absorber ce qui va se passer. J’ai moins confiance dans le bien-fondé de ses décisions.

«Le service est en tension. La journée standard c’est 8h30-19h30, sept fois par semaine avec une garde de douze heures de nuit en plus. On est déjà dans le rouge. Si on prend des indicateurs simples comme l’absentéisme et la difficulté de recruter, on est même dans le rouge foncé. Avec le Covid, des collègues ont eu des arrêts de travail pour des blessures inhabituelles (accident de vélo, etc.). Les gens ne vont pas bien. Si on veut recruter du personnel supplémentaire pour renforcer le service, je ne suis pas sûr qu’on le trouve.»

(1) Le prénom a été modifié.


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