vendredi 26 mars 2021

Que sait-on des effets secondaires rapportés pour les vaccins en France?





par Florian Gouthière  publié le 25 mars 2021 

Sur des millions d’injections déjà réalisées pour les différents vaccins autorisés en France, plusieurs milliers ont donné lieu à des signalements d’effets secondaires. Certains de ces événements sont suspectés d’avoir été causés par l’injection. D’autres auraient vraisemblablement pu advenir en l’absence de geste vaccinal. 

Avec les inquiétudes nourries autour d’une élévation du risque de thrombose chez les personnes vaccinées par AstraZeneca (une trentaine de cas sur cinq millions de vaccinés en Europe), vous êtes nombreux à nous avoir interrogé sur l’état général des connaissances sur les effets secondaires liés aux vaccins autorisés en France.

Outre les effets secondaires fréquents déjà identifiés lors des essais cliniques, des suivis de pharmacovigilance sont mis en place en vue d’identifier des effets indésirables plus rares. En France, depuis le début des différentes campagnes de vaccination contre le Covid 19, les signalements effectués par les médecins, les vaccinés ou leurs proches sont compilés chaque semaine par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Les données actuellement disponibles courent du début de chaque campagne jusqu’au 11 mars.

Une attention toute particulière est accordée aux cas «graves», constitués par les signalements mentionnant soit un effet «médicalement significatif» (arrêt de travail, interruption de scolarité, réalisation d’un examen invasif…), soit l’un des évènements suivants : hospitalisation, prolongation d’hospitalisation, incapacité ou handicap importants ou durables, mise en jeu du pronostic vital, décès, ou malformation congénitale chez le nouveau-né.

Les femmes étant plus nombreuses à avoir été vaccinées (60 % pour le vaccin Comirnaty, 55 % pour Moderna et 53 % pour AstraZeneca), il était attendu que les signalements les concernant soient plus représentés. Toutefois, ceux-ci sont plus nombreux qu’attendu au regard de la seule proportion de vaccinées, puisqu’ils s’élèvent à 75 % pour le vaccin Cominraty (70 % pour les cas graves), 80 % de ceux du vaccin Moderna (61 % pour les cas graves), et 77 % pour l’AstraZeneca (79 % pour les cas graves). Ce, sans que puisse être déterminé si les femmes sont plus susceptibles d’effets secondaires ou simplement plus enclines à déclarer leurs symptômes. Dans le rapport sur le vaccin AstraZeneca, les auteurs notent que cette surreprésentation «pourrait témoigner d’une plus grande réactogénicité chez les femmes, comme évoqué dans de précédentes études» sur d’autres vaccins, comme celui de la grippe.

Une observation voisine peut être faite concernant les classes d’âge concernées. Alors que les moins de 45 ans représentent 27 % des vaccinés par Astrazeneca, 83 % des signalements (graves comme non graves) sont effectués par cette classe d’âge. Situation similaire avec le vaccin Pfizer, où les moins de 50 ans représentent moins de 10 % des vaccinés, mais 23 % des signalements, et où les 50-64 ans, bien que ne représentant qu’un quart des vaccinés, rapportent plus de 40 % des effets secondaires. Pour Moderna, pour 4 % de vaccinés de moins de 50 ans, on compte 10 % des signalements et 15 % des signalements graves. Pour les 50-64 ans, 7 % de vaccinés effectuent 16 % de signalements et 20 % des signalements graves. La facilité d’accès des générations les plus jeunes aux supports de déclarations spontanées en ligne pourrait en partie expliquer le phénomène.

Comment savoir si un événement survenu après la vaccination a été causé par celle-ci ?

Avant de détailler les résultats, rappelons quelques notions essentielles. Les effets secondaires les plus fréquents d’un vaccin – comme pour tout produit pharmaceutique – sont identifiés au cours des essais cliniques. Dans un essai comparant l’efficacité d’un vaccin à celui d’un placebo, on recense tous les événements survenus dans les deux groupes de participants. La raison est simple : de nombreux événements sans aucun lien avec le geste médical peuvent survenir dans les semaines qui suivent l’injection. Comptabiliser ces évènements dans le groupe «placebo» sert de référence pour juger de la normalité – ou de l’anormalité – des évènements observés dans le groupe vacciné.

Mais les essais cliniques n’étant habituellement réalisés que sur quelques milliers de personnes, cette approche ne permet de détecter que les effets indésirables les plus fréquents. Par exemple, si un traitement multipliait par 10 le risque d’un événement ne survenant habituellement que chez une personne sur un million, il est très peu vraisemblable que le phénomène puisse être détecté lors d’un essai qui inclurait dix mille personnes.

Pour identifier d’éventuels effets secondaires rares, il est nécessaire de réaliser un suivi de pharmacovigilance – autrement dit, d’inviter médecins et patients à signaler tout événement indésirable qui survient chronologiquement après l’intervention médicale. Les organismes de pharmacovigilance comparent ensuite la fréquence des signalements pour un symptôme donné à la fréquence habituelle de ce symptôme dans la population considérée. A titre d’exemple, pour un traitement administré à des adultes de moins de 50 ans atteint d’une maladie donnée, on se référera à la fréquence de l’événement étudié dans une population d’âge et d’état de santé analogue.

Quels effets sont rapportés pour le vaccin Comirnaty (Pfizer-BioNTech) ?

Près de 5,4 millions de doses du vaccin à ARNM de Pfizer ont été administrées depuis le 27 décembre, majoritairement à des personnes âgées de plus de 75 ans (60,7 %). Sur cette période, 9 841 signalements ont été effectués auprès des centres de pharmacovigilance. La plupart de ces signalements mentionnent deux effets indésirables. Plus des trois quarts des signalements portent sur des événements «résolus sans séquelle», ou «en cours de résolution» à la date de soumission.

Près de neuf signalements sur dix sont en rapport avec des manifestations du type fatigue, céphalées, fièvre, nausées, vomissements, ou des douleurs musculaires. Des événements secondaires dits de «réactogénicité» (c’est-à-dire en lien avec la réaction du système immunitaire de la personne vaccinée aux antigènes présents dans le vaccin), «attendus, bien identifiés et caractérisés dans les essais cliniques. Ils sont transitoires, réversibles et régressent habituellement en deux à quatre jours», notent les auteurs du rapport. Des symptômes évocateurs de la grippe étaient également considérés comme des effets attendus.

Au total, 2 140 signalements (21,8 %) concernent des évènements catégorisés comme «graves». Ainsi, pour l’ensemble de la période considérée, la base de données recense 279 décès (soit cinq cas pour 100 000 vaccinés), 107 évènements «mettant en jeu le pronostic vital», 424 hospitalisations, et 36 cas d’invalidité ou d’incapacité – le reste des cas correspondant aux événements dits «médicalement significatifs». On rappelle ici que le signalement d’un événement postérieur à une vaccination n’est pas équivalent à la démonstration d’un lien de cause à effet.

Les phénomènes graves les plus fréquents sont ceux survenant sur le site d’injection du vaccin (51,7 % des cas graves). Pour le reste, il s’agit essentiellement de troubles touchant le système nerveux (dans 28,7 %), des affections vasculaires (18,6 %), des troubles du système gastro-intestinal (16,9 %), des manifestations cardiaques (16,4 %), et des troubles respiratoires et thoraciques (12,5 %). Les auteurs du rapport notent que «les données actuelles […] ne conduisent pas à identifier, à ce jour, un signal potentiel» pour les événements associés, excepté concernant les cas graves de troubles du rythme cardiaque (tachycardie, fibrillation auriculaire…) et d’insuffisance cardiaque, qui concernent respectivement 110 et 42 signalements.

En effet, concernant les troubles cardiaques, l’analyse des cas associe «majoritairement la survenue de troubles du rythme [à] l’acte vaccinal» voire, dans certains cas, sont «évocateurs d’un rôle du vaccin» lui-même. «Quelques troubles du rythme sont également survenus de façon différée par rapport à la vaccination, mais leur intensité atypique ou leur progression rapide, ou encore des tableaux particulièrement graves notamment dans une population très âgée qui n’a pas été incluse dans les essais cliniques, peuvent faire évoquer le rôle du vaccin», écrivent les auteurs. Idem pour les quelques cas d’élévation de la pression artérielle. Enfin, la survenue de 46 cas de zona, 39 cas de convulsion, de 37 cas de paralysie faciale, et «de [treize] cas de déséquilibre diabétiques dans des contextes de réactogénicité» autorisent l’évocation «d’un rôle potentiel du vaccin». Les auteurs notent que huit cas de thrombopénies (diminution des plaquettes) ont été signalés, «dont une récidive après la deuxième dose, dans un cas».

Il est enfin à noter que, après les soupçons exprimés sur le vaccin d’AstraZeneca, «une réévaluation globale et une synthèse de l’ensemble des effets cardiovasculaires et thromboemboliques graves rapportés» a été effectuée par les auteurs du rapport – ainsi que nous le détaillions dans un précédent article. Il s’agit de 34 événements thromboemboliques survenus postérieurement à la vaccination (soit environ 6,3 cas pour un million), dont 26 concernent des embolies pulmonaires, et sept des thromboses veineuses profondes (phlébites) et une thrombose veineuse superficielle. Les auteurs expliquent n’avoir identifié «[aucun] élément faisant suspecter [un] rôle du vaccin [Pfizer-BioNTech] dans la survenue de ce type d’évènements.»

Ces différents événements – bien que très rares au vu du nombre total de vaccinés – continueront de faire l’objet d’une surveillance spécifique par les organismes impliqués dans le suivi de pharmacovigilance.

Quels effets sont rapportés pour le vaccin de Moderna ?

Concernant le vaccin Moderna, sur près de 325 000 doses administrées depuis le 14 janvier, seuls 377 signalements ont été effectués auprès des centres de pharmacovigilance. L’essentiel concerne des effets secondaires anticipés lors des essais cliniques, qui sont identiques à ceux du vaccin de Pfizer, et dans des proportions analogues.

Le nombre de cas graves signalés dans les semaines suivant la vaccination s’élève à 59 (15,6 % des déclarations), et concernent trois décès, quatre événements «mettant en jeu le pronostic vital», douze hospitalisations et trois cas d’invalidité ou d’incapacité. Là encore, le lien de cause à effet n’est pas ici établi. Seize cas d’hypertension artérielle, neuf de zona et un d’arythmie ont été rapportés, qui font l’objet d’une surveillance analogue à celle qui a lieu pour le vaccin à ARNm concurrent.

Trois cas d’événements thromboemboliques ont été signalés, et examinés dans le contexte des suspicions autour du vaccin AstraZeneca. Les auteurs concluent qu’en l’état, «aucun élément ne permet de conclure en faveur du rôle du vaccin dans la survenue de ces troubles». «Aucune thrombose du sinus veineux cérébral et aucune CIVD (coagulation intravasculaire disséminée) associée à un déficit en plaquettes sanguines n’ont été rapportées à ce jour en France avec le vaccin de Moderna.»

Quels effets sont rapportés pour le vaccin d’AstraZeneca-Oxford ?

Un peu plus de 1,04 million de doses du vaccin Chadox1 d’AstraZeneca ont été administrées entre le 6 février (début de la campagne) et le 11 mars, essentiellement à des personnes âgées de moins de 75 ans (95,5 %). Sur cette période, 4 184 signalements ont été faits aux centres de pharmacovigilance. Plus 83,5 % portent sur des événements «résolus sans séquelle», ou «en cours de résolution»à la date de soumission.

1 209 des signalements réalisés (28,9 %) concernent des évènements catégorisés comme «graves», qui correspondent pour leur écrasante majorité (1167 cas, soit 96,5 %) à des effets de réactogénicité. On note 1 129 d’évènements catégorisés comme «médicalement significatifs». Pour l’ensemble de la période considérée, la base de données recense trois décès (soit 0,3 cas pour 100 000 vaccinés). Toutefois, les auteurs du rapport notent qu’entre le 11 mars et la remise du rapport, dans le courant de la semaine suivante, sept autres décès ont été signalés aux centres de pharmacovigilance, pour environ 400 000 vaccinations supplémentaires. En prenant en compte ces cas, le taux de signalement avoisinerait les 0,7 cas pour 100 000 vaccinés.

Sur la période de suivi, on dénombre également sept évènements «mettant en jeu le pronostic vital», 31 hospitalisations, et 40 cas d’invalidité ou d’incapacité. Les fortes disparités avec les données collectées pour le vaccin de Pfizer sont vraisemblablement liées aux classes d’âge différentes auxquels ces produits pharmaceutiques sont prioritairement destinés.

Les phénomènes graves les plus fréquents sont ceux survenant au site d’injection du vaccin (58,9 % des cas graves). Pour le reste, il s’agit principalement de troubles du système gastro-intestinal (12,7 %) ou touchant le système nerveux (dans 9,3 %). Parmi les phénomènes qui ne constituent pas, pour l’heure, un «signal»d’effet secondaire mais restent sous surveillance, les auteurs du rapport mentionnent quelques rares cas d’hypertension associés à des atteintes neurologiques, des cas d’hypotension, des exacerbations de troubles respiratoires préexistants, des cas d’encéphalites non infectieuses, des réactions allergiques, ou encore des déséquilibres du diabète ou des cas d’hypothermie post-vaccinale.

A date de remise du rapport, les auteurs dénombrent un total de treize cas d’événements thromboemboliques, «dont onze diagnostiqués dans les quinze jours suivant la vaccination» – soit environ un cas par 100 000 vaccinés. Les auteurs notent que ces évènements sont pour la majorité survenus «chez des patients présentant des facteurs de risque». Sur ces treize signalements, on compte quatre embolies pulmonaires, deux infarctus du myocarde et une thrombose intracardiaque, et six accidents vasculaires cérébraux (AVC). Parmi ces derniers, on trouve deux cas de thromboses des sinus veineux cérébraux et quatre cas d’accidents vasculaires cérébraux ischémiques (lié à un déficit d’apport en oxygène) dont un associé à une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD).

L’ANSM précise que «les deux cas de thromboses des sinus veineux cérébraux rapportés ne sont pas associés à un déficit en plaquettes sanguines» et «[qu’]au regard des données disponibles, rien ne permet de conclure que ces effets thromboemboliques sont en lien avec le vaccin». L’institution française rappelle néanmoins que, selon l’Agence européenne du médicament, «un lien possible avec deux formes très rares de caillots sanguins (coagulation intravasculaire disséminée et thromboses des sinus veineux cérébraux) associés à un déficit en plaquettes sanguines ne peut pas être exclu à ce stade.»

Le rapport mentionne enfin sept signalements de troubles du rythme cardiaque, et deux thrombocytopénies (chute du nombre de plaquettes, permettant une bonne cicatrisation, augmentant le risque d’hémorragie).

Il reste encore difficile de comparer les différents taux d’effets secondaires rapportés dans les différents rapports, du fait des différentes classes d’âge qui bénéficient prioritairement des injections.


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