mardi 23 mars 2021

L’ostéopathie, pas plus efficace qu’un placebo contre le mal de dos ?

par Eric Favereau  publié le 23 mars 2021

Première mondiale, une étude de près de dix ans vient de rendre ses conclusions sur les effets de l’ostéopathie dans le traitement des lombalgies. Il apparaît que cette discipline, très prisée en France, n’est pas plus efficace qu’un placebo – mais cela ne veut pas dire non plus qu’elle est inefficace.

Alors que l’ostéopathie fait fureur en France, une étude affirme qu’elle ne serait pas plus efficace qu’un placebo dans le traitement des lombalgies. Menée pendant près de dix ans sur plus de 400 patients souffrant d’une lombalgie, publiée le 11 mars par l’équipe du professeur François Rannou de l’hôpital Cochin dans la grande revue médicale Jama, l’étude est catégorique : les séances d’ostéopathie n’ont pas plus d’efficacité qu’un placebo, ce qui, faut-il rappeler, n’est pas totalement nul.

Ces conclusions sont d’autant plus intéressantes qu’en ces temps de télétravail, les ostéopathes ne connaissent pas la crise : dans certains cabinets, selon leurs organismes professionnels, les demandes de consultations explosent depuis le début de la crise sanitaire, «pour des maux liés à une mauvaise installation ou à l’absence d’exercice physique».

Réglementée, mais non scientifique

Depuis trente ans, l’ostéopathie connaît une croissance continuelle, et cet engouement n’existe pas ailleurs dans le monde. Les Français aiment particulièrement les médecines douces, ou parallèles, ou alternatives. Crée en 1874 par le médecin américain Andrew Taylor Still, l’ostéopathie est une médecine non conventionnelle, reposant sur l’idée que «des manipulations manuelles du système musculosquelettique et des techniques de relâchement myofascial permettent d’apporter un soulagement dans le domaine du trouble fonctionnel». En France, son statut est bâtard ; elle est aujourd’hui réglementée, mais considérée comme non-scientifique. Le titre professionnel d’ostéopathe est reconnu, de même que celui de chiropracteur, par la loi du 4 mars 2002 : «L’usage de ce titre n’est toutefois pas réservé aux personnes exerçant la profession d’ostéopathe à titre exclusif mais il est également ouvert aux personnels de santé.»

Enfin, les ostéopathes ne sont pas des professionnels de santé. Selon les organismes liés à la profession, en 2002, 4 000 professionnels exerçaient l’ostéopathie en France. Fin 2008, 9 808 professionnels étaient autorisés à faire usage du titre d’ostéopathe. A ce jour, on en compte 26 222, dont 14 953 ostéopathes exclusifs. Les ostéopathes exclusifs représentent donc près des deux tiers des professionnels autorisés à faire usage du titre. Parallèlement, des sondages réalisés en 2010 et 2014 ont confirmé une augmentation significative de la demande des patients. En 2010, les ostéopathes réalisaient ainsi environ 20 millions de consultations annuelles ; ils en réalisaient 26 millions en 2015. Pour résumer, si le nombre d’ostéopathes a été multiplié par 6,5 entre 2002 et 2016, le nombre de consultations, lui, a été multiplié par 6.

Densité d’ostéopathes par habitant la plus élevée au monde

La France est donc devenue imbattable. La densité d’ostéopathes par habitant est la plus élevée au monde, et ils ne sont pas pour la plupart des professionnels de santé. «On peut être inquiet», note un rhumatologue, qui préfère rester anonyme. En 2010, une équipe composée de médecins et de chercheurs du service de rééducation et de réadaptation de l’appareil locomoteur et des pathologies du rachis du professeur François Rannou à l’hôpital Cochin à Paris, est constituée. Objectif : évaluer l’ostéopathie dans une pathologie somme tout très répandue, le mal de dos. Il s’agit précisément de mesurer «l’utilité des manipulations ostéopathiques chez les patients souffrant de lombalgie commune subaiguë et chronique, c’est-à-dire avec une durée des douleurs supérieure à six semaines»«Il fallait faire un groupe avec d’un côté des patients recevant juste des gestes placebo, c’est-à-dire du light touch, nous raconte le professeur Rannou. Et le comparer avec des patients recevant les gestes habituels pour ce genre de pathologies.»

Une vingtaine d’ostéopathes est ainsi sélectionnée. Des zones sont déterminées, avec des critères d’évaluation. Une sociologue a analysé et enregistré les séances pour s’assurer que les pratiques soient homogènes dans les deux groupes. En tout, 400 personnes lombalgiques ont été recrutées parmi le personnel des hôpitaux de Paris. Age moyen : 50 ans. 60% étaient des femmes, et 90% en activité professionnelle. La durée moyenne de l’épisode en cours de lombalgie était de sept mois et demi. Les participants ont alors bénéficié de six séances de manipulations ostéopathiques ou de six séances de manipulations placebo, dispensées par des ostéopathes exclusifs, à raison d’une séance toutes les deux semaines, pendant trois mois. «Le critère d’évaluation principal a été la diminution du retentissement de la lombalgie sur les activités de la vie quotidienne à trois mois», nous explique le professeur Rannou. Avec des critères de jugement secondaires, comme la douleur, la qualité de vie, le nombre et la durée des arrêts maladie, le nombre d’épisodes de lombalgie et la consommation de médicaments à trois et à douze mois. Les événements indésirables ont été également recueillis à trois, six et douze mois. Bref, une étude on ne peut plus classique dans sa méthodologie.

«Cela marche aussi bien qu’un placebo»

Ainsi, entre les deux groupes, il n’y a aucune différence cliniquement pertinente. «Même sur la douleur, cela ne marche pas, ni sur la consommation médicamenteuse. En fait cela ne marche pas, ou plus exactement cela marche aussi bien qu’un placebo», conclut le professeur Rannou. Cet essai est une première mondiale. Que faire ? Jeter aux oubliettes l’ostéopathie ? «Dans les traitements non chirurgicaux, ce qui donne les meilleurs résultats, ce sont des traitements actifs où le patient, par le biais de thérapies cognitives, comportementales et physiques, est impliqué, constate le professeur François Rannou. Les traitements purement passifs sont souvent délétères ou inopérants.»

«Si je faisais le compte de tout ce que j’ai dépensé chez mon ostéopathe pour mon mal de dos tenace… Tout cela pour un effet placebo», ironise Virginie, trentenaire sujette aux lombalgies. Pour autant, elle ne regrette pas totalement cet argent dépensé. C’est l’un des mystères de la médecine : les liens complexes que chacun entretient avec sa santé.


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