jeudi 11 mars 2021

L’Agence spatiale européenne recrute ses futurs astronautes

Par   Publié le 21 février 2021

L’établissement s’apprête à ouvrir une campagne de recrutement et souhaite diversifier le profil des sélectionnés. Un master en sciences et trois ans d’expérience professionnelle sont nécessaires pour postuler.

L’astronaute italien de l’Agence spatiale européenne, Luca Parmitano, sortant de la capsule Soyouz MS-13, au Kazakhstan, le 6 février 2020.

« Même si vous doutez de vous, même si vous pensez qu’il y a meilleur que vous, vous n’avez vraiment rien à perdre. Alors allez, postulez, et rendez-vous à l’entraînement ! », a lancé le spationaute Thomas Pesquet, face caméra, depuis le Centre des astronautes européens de Cologne, d’où il prépare sa deuxième mission à bord de la Station spatiale internationale (ISS), prévue au printemps. C’était mardi 16 février, lors d’une conférence organisée par l’Agence spatiale européenne (ESA). Deux jours plus tard, le rover Perseverance de la NASA se posait sur Mars, nouvelle étape d’une épopée qui fait rêver des millions de jeunes partout dans le monde.

Aller dans l’espace, un rêve inaccessible ? Peut-être pas complètement. Pour la première fois depuis onze ans, l’ESA s’apprête à ouvrir une campagne (sa quatrième depuis 1978) pour recruter quatre à six astronautes. Le début d’un nouveau chapitre dans l’exploration spatiale. Tous les passionnés disposant d’un master dans un domaine scientifique (sciences naturelles, physique, médecine, informatique…) et de trois ans d’expérience professionnelle pourront postuler du 31 mars au 28 mai 2021 sur le site de l’ESA. Et ils devraient être nombreux.

« Le spatial est un secteur qui fait toujours énormément rêver. Thomas Pesquet et les cinq autres Européens sélectionnés en même temps que lui sont devenus tellement médiatiques que beaucoup de jeunes sont tentés de marcher sur leurs traces », assure Stéphanie Lizy-Destrez, enseignante-chercheuse à l’ISAE-Supaéro, école d’ingénieurs française spécialisée dans le secteur aérospatial, d’où est notamment sorti Thomas Pesquet en 2001.

Marcher sur Mars

A l’ISAE-Supaéro, les effectifs d’étudiants sont passés de 847 en 2016-2017 à 1 033 en 2020-2021. Même tendance à l’Estaca, une autre école d’ingénieurs implantée à Saint-Quentin-en-Yvelines et à Laval, qui dispose d’une spécialisation en aérospatial. « Lorsque j’ai commencé à enseigner il y a sept ans, il n’y avait qu’une vingtaine d’élèves dans la spécialité espace. Aujourd’hui, ils sont plus de 70 », se souvient le responsable de la filière aérospatiale Didier Gignac, qui exerce en parallèle comme ingénieur chez ArianeGroup.

La feuille de route proposée par l’ESA à ses futures recrues est alléchante : mener des expériences en apesanteur à bord de la Station spatiale internationale à 400 km d’altitude, réaliser des vols circumlunaires de quinze à trente jours, installer une base sur la Lune, voire, un jour, marcher sur Mars.

Rien que d’en parler, Gaspard Thieulin, 22 ans, en a des frissons. « Je suis ravi de voir que l’Europe va continuer à envoyer des hommes et des femmes dans l’espace dans les prochaines années »,s’enthousiasme le jeune Normand. Il ne fera pourtant pas partie des heureux élus, en tout cas pas cette fois-ci. Il n’est qu’en troisième année du cursus d’ingénieur à l’ISAE-Supaéro, mais il espère pouvoir tenter sa chance lors d’une prochaine session de recrutement. « Je sais que l’espace n’est pas donné à tout le monde et ça se comprend, reconnaît-il. Même si on maîtrise de mieux en mieux les risques, cela reste un milieu hostile et exigeant. A partir du moment où on donne le meilleur de soi-même, je me dis qu’on a tous une carte à jouer. »

Recrutement plus divers

Jeunes comme moins jeunes (la limite d’âge est désormais repoussée à 50 ans), hommes comme femmes : pour cette nouvelle promotion, l’Agence spatiale européenne désire en effet avoir un recrutement plus divers. « Nous ne pouvons plus constituer des équipages monoculturels et monolithiques, a insisté l’ancienne ministre Claudie Haigneré, la seule Française à avoir exercé le métier d’astronaute, lors de la conférence de presse de l’ESA. Nous avons la responsabilité sociétale de représenter le monde tel que nous le voulons demain. »

Le chemin s’annonce long. « Parmi les 1 000 candidats qui se sont présentés en même temps que moi à la sélection de 1985, il n’y avait que 10 % de femmes, ce qui est très peu », souligne Claudie Haigneré. Et les chiffres n’ont pas beaucoup évolué depuis. Sur 575 astronautes dans le monde, on compte seulement 64 femmes.

L’ESA se dit aussi prête à ouvrir la porte aux personnes en situation de handicap, notamment celles de petite taille et celles souffrant d’une déformation d’un membre inférieur. « Nous voulons réaliser une étude de faisabilité en la matière », annonce ainsi Guillaume Weerts, du Centre des astronautes européens.

Evaluation médicale approfondie

Malgré ces signes d’ouverture, il ne faut pas se leurrer : la compétition restera féroce. Lors de la dernière sélection européenne en 2008, pas moins de 8 413 candidats avaient envoyé leur CV, pour seulement six places à l’arrivée. « Le processus de sélection est à la fois très long et très rude », observe Emmanuel Blazquez, 30 ans, doctorant à l’ISAE-Supaéro, qui souhaite postuler. En plus des tests techniques et des entretiens psychologiques, les candidats doivent se soumettre à une évaluation médicale approfondie « dont on ne peut jamais prédire les résultats ». « Je vais donc candidater en étant conscient que les chances de succès sont très minces et que ça peut se jouer sur des critères que je ne maîtrise pas du tout. » 

« Le métier d’astronaute n’est que la partie émergée de l’iceberg », souligne Didier Gignac

Mais que les candidats malheureux se rassurent. Il y a une vie en dehors des missions dans l’espace ! « Le métier d’astronaute n’est que la partie émergée de l’iceberg, souligne Didier Gignac. Derrière se cache une infinie palette de compétences qui contribuent en sous-main à la réussite de l’aventure spatiale. » Ingénieurs, biologistes, commerciaux, juristes, architectes, informaticiens…

A 21 ans, Manon Bordeau, étudiante en quatrième année à l’Estaca, se verrait bien, par exemple, travailler dans le domaine de la propulsion. S’il n’a pas la chance d’être sélectionné, Emmanuel Blazquez aimerait poursuivre sa route dans l’optimisation des trajectoires : « Que ce soit en météorologie, en communication ou en observation, c’est un secteur où il y a toujours des besoins. » 

D’après le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, le secteur employait avant la crise près de 202 000 salariés dans l’Hexagone. Et ce n’est probablement qu’un début. L’arrivée sur le marché de multiples start-up, aux côtés des agences et des grands groupes comme Airbus Defence and Space ou Thales Alenia Space, laisse entrevoir de belles opportunités pour Manon, Emmanuel et les autres.


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