mercredi 31 mars 2021

Interview «On n’arrive pas à penser la maladie mentale»

par Eric Favereau  publié le 30 mars 2021

Marie-Jeanne Richard, la présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades ou handicapées psychiques, déplore que, malgré une succession de rapports glaçants, rien n’évolue dans le domaine de la psychiatrie publique.

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Marie-Jeanne Richard est présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades ou handicapées psychiques (Unafam), qui a, dans un document de synthèse, compilé 135 rapports des commissions départementales de soins psychiatriques. Elle s’inquiète de l’inertie qui touche ce secteur de santé.

Dans la pratique des hospitalisations en psychiatrie, on savait qu’il y avait des points noirs. Votre rapport montre que, de fait, c’est un peu partout que cela ne va pas…

Oui, on a souhaité élargir notre regard pour décrire et identifier la vraie vie des patients, pour raconter tout ce qui se passe dans les hôpitaux psychiatriques, petits ou grands. Ce que nous voyons, c’est qu’il n’y a pas simplement un déficit de moyens, il y a une psychiatrie qui n’arrive pas à entrer dans le XXIe siècle. Il y a, certes, beaucoup de gens très bien, très impliqués, et nous ne faisons pas une critique des individus. Mais partout cela dysfonctionne.

C’est-à-dire ?

Aujourd’hui, le système de santé en psychiatrie a été abandonné par les pouvoirs publics. C’est un monde qui reste stigmatisé et donc stigmatisant. Non seulement les malades souffrent, mais le personnel soignant et les médecins aussi. Et surtout, cela manque de projections. L’avenir ne se dessine pas. Pas d’attrait, pas d’innovation possible, et les acteurs ont le sentiment que le système est figé.

Y a-t-il eu des éléments qui vous ont surpris durant la lecture de ces 135 rapports ?

Bien sûr. Il y a cette vétusté et cette indignité des chambres d’isolement. Dans un autre contexte, on devrait toutes les fermer. Si on avait ces mêmes conditions d’hospitalisation dans le médico-social, tout le monde hurlerait, tout le monde demanderait la fermeture de ces établissements. La psychiatrie reste à part. Pour le reste, que voit-on ? Ce sont ces petits arrangements avec la loi qui donnent le sentiment qu’elle est élastique, que l’on ne va jamais au bout des réformes. Un exemple : on fait des registres pour surveiller les pratiques, mais ces registres sont inexploitables, mal remplis ou enregistrés dans des systèmes informatiques obsolètes. A quoi cela sert-il ?

Quid de la montée en puissance des droits des patients ?

Mais où sont-ils ? En psychiatrie, nous ne sommes pas encore dans une situation où la personne malade a des droits, comme le droit d’être soignée, de choisir son médecin, d’avoir son mot à dire sur sa prise en charge, sur les médicaments, le droit d’être au courant. Ce n’est toujours pas le cas. Si je fais le lien avec la chirurgie, une personne après une opération peut dire sa satisfaction. En psychiatrie, nous en sommes loin.

Qu’attendre alors ?

C’est désespérant. En dépit des recommandations successives, il ne se passe rien. Les rapports s’entassent, tous disant la même chose, tous dressant un état des lieux proche de la réalité comme celui de la Cour des comptes, encore récemment. Nous sommes tous d’accord sur le constat, mais rien ne se passe.

On disait que l’éducation nationale était un mammouth. Mais on a le sentiment que la psychiatrie est aussi un mammouth, on ne sait pas par quel bout la prendre, alors qu’il y a des relais, des personnes très motivées. Ce n’est pas qu’un problème de moyens. Il faut se poser la question : pourquoi dépense-t-on beaucoup et pourquoi cela marche-t-il aussi mal ? On n’arrive pas à penser la maladie mentale. On ne pratique pas le fait d’aller vers le malade, c’est toujours l’inverse. Bien peu de familles nous disent que cela s’améliore, avec ces centres de crise qui n’existent pas, avec des consultations aux créneaux horaires trop étroits. Tout cela ne va pas.

Mais comment casser cet immobilisme ?

Une loi ? Je ne sais pas. L’enjeu est là : arrêter de faire de la psychiatrie le lieu sécuritaire de la société. Il faut mettre en mouvement toutes les parties prenantes. Et par exemple faire en sorte que les jeunes psychiatres s’y intéressent, et donnent ainsi un avenir à la filière.


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