lundi 1 mars 2021

En psychiatrie, on attache et on isole, faute de personnel

par Eric Favereau  publié le 2 mars 2021

Dans un récent courrier au ministère de la Santé, la contrôleuse générale des lieux de privation et de liberté exhortait une nouvelle fois à ce que soient revues les pratiques françaises en matière d’isolement et de contention dans les services de psychiatrie. Pour le Conseil constitutionnel, un juge des libertés devrait être impliqué.

L’histoire est immobile. C’était au printemps 2010, dans un service de psychiatrie de l’hôpital d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Des images tirées d’un reportage, diffusé sur France 2. Il ne s’y passe rien. Des malades, la plupart enfermés dans leurs chambres, sont laissés livrés à eux-mêmes, au gré des humeurs des aides-soignantes ou des infirmières. Ce n’est pas bien méchant, juste terrifiant. «Tu restes là, ou je t’attache», lâchait ainsi une aide-soignante. Les médecins psychiatres étaient peu présents. Charlotte, une patiente, restera ainsi enfermée pendant quinze jours, comme ça, sans raison.

Faute d’avoir été examinée, une autre malade qui se plaignait de douleurs au ventre se retrouvera peu après trente jours en réanimation pour une septicémie non diagnostiquée. «C’est terrible comme on travaille mal», murmurait un élève-infirmier. Quelques mois plus tard, le contrôleur général des lieux de privation de liberté faisait une visite surprise dans cet hôpital. Rien n’avait changé. Un exemple parmi d’autres des bizarreries de fonctionnement relevées à cette occasion : «Aux urgences, le psychiatre qui a pris la décision d’hospitaliser un patient en psychiatrie, se voit contraint de l’installer pour une nuit ou plus, sur un brancard à côté des autres patients de médecine ou de chirurgie.» Ou encore : «Dans les trois secteurs de psychiatrie adulte et dans l’unité pour adolescents, les chambres d’isolement sont utilisées comme des chambres “normales.” Un patient peut occuper une chambre d’isolement alors que son état clinique ne le requiert pas, faute de pouvoir disposer d’une chambre dans l’unité. Cette pratique ne respecte pas les droits des patients.»

Dix ans plus tard, qu’est-ce qui a changé ? Rien ou presque. Le 7 décembre dernier, après une nouvelle visite de ses services à l’hôpital d’Aulnay, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, a écrit ainsi une lettre sévère au ministre de la Santé, Olivier Véran. Outre le fait qu’elle souligne que les droits à l’information des patients ne sont toujours pas respectés, elle s’inquiète, encore et encore, des pratiques d’isolement et de contention. «Ces pratiques se font sans décision médicale», et l’isolement peut être «maintenu pendant plusieurs jours sans corrélation avec un état clinique qui le justifie, alors que les observations horaires des infirmières rapportent de façon continue le calme du patient». Ou encore : «En toute illégalité, le registre d’isolement et de contention n’est pas tenu ou l’est de manière aléatoire.» Et enfin, cette remarque : «Les pratiques d’isolement et de contention sont exercées dans des locaux indignes.» Et Dominique Simonnot de demander au ministre de «prendre immédiatement les mesures nécessaires».

Un amendement voté en septembre

Que va-t-il se passer ? Le ministre va-t-il répondre ? On peut en douter. Ces jours-ci tout paraît figé. Se joue, en effet, un bras de fer entre le ministère et les différents syndicats de psychiatres autour d’un décret qui devrait sortir sur l’intervention du juge des libertés dans les pratiques d’isolement et de contention. Le Conseil constitutionnel a en effet décidé que comme ces pratiques mettent en cause les libertés individuelles, le législateur se devait de faire intervenir le juge des libertés. En réponse, le gouvernement a fait voter en septembre un amendement mettant le juge dans la boucle, mais de façon peu contraignante.

La Contrôleuse des lieux de privation de liberté l’a noté amèrement, dans un entretien avec la revue Hospimedia : «La réforme proposée pour encadrer l’isolement et la contention est au plus bas niveau de l’échelle. Le gouvernement a fait le choix d’une saisine du juge qui n’est pas automatique. La procédure n’est en rien contraignante. C’est juste une possibilité. Le juge “peut” se saisir d’office ou “peut” être saisi par le patient ou ses proches. Imaginez, vous êtes contenu ou isolé, comment pouvez-vous personnellement prévenir le juge ou former votre recours ? Vous ne pouvez pas appeler votre avocat, votre famille ou vos amis et encore faut-il avoir tout cela. Qu’advient-il des patients qui n’ont même pas de proches qui pourraient être informés de la situation ? Le texte prévoit également que c’est au médecin de prévenir le juge qu’une mesure d’isolement ou de contention est en cours [dans le cas où celle-ci va être renouvelée au-delà d’une certaine durée, ndlr] et le juge pourra alors se saisir d’office. Mais c’est notoirement insuffisant.».

«Un traumatisme psychique aux conséquences durables»

En écho, les psychiatres disent que l’on va trop loin. Ou surtout trop vite. Tous les syndicats viennent en effet d’adresser une lettre au ministre de la Santé sur l’impossibilité de faire appliquer cette loi, mettant avant le manque de moyens de la psychiatrie publique. «Nous soutenons et encourageons pleinement les mesures permettant de ne pas y recourir, d’autant plus que ces situations extrêmes peuvent entraîner un traumatisme psychique aux conséquences durables», notent les signataires. Mais «le projet de décret d’application de cet article de loi définit des critères de durée et de renouvellement très stricts, dont l’application paraît difficile si ce n’est impossible en raison notamment des moyens actuels de la psychiatrie publique». Et ils enfoncent le clou : «Les pratiques de contention et d’isolement sont favorisées par la dégradation de l’offre de soin psychiatrique, notamment la pénurie de psychiatres et de personnels soignants des établissements publics.» Pour conclure :«Les organisations signataires de cette lettre ne souhaitent pas que soit publié dans la précipitation un décret inapplicable.»

Et donc, de nouveau on peut se reposer la question. Que va-t-il se passer ? Entre le manque de moyens, et le côté peu contraignant du décret, on peut redouter que les mauvaises pratiques perdurent. Et que dans dix ans une nouvelle visite de la Contrôleuse à l’hôpital d’Aulnay aboutisse au même triste constat, avec les mêmes excuses.


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