jeudi 11 février 2021

« Le seul risque que je cours, c’est d’avoir un placebo » : à l’Hôtel-Dieu, les volontaires français testent les futurs vaccins contre le Covid-19



« Attention, je vais vous piquer maintenant. Est-ce que ça va ? Et voilà, c’est terminé. » Derrière ses deux masques en tissu blanc superposés, Michel acquiesce : « Je n’ai rien senti. Mission accomplie ! » Ce retraité parisien de 74 ans qui ne se défait jamais de son chapeau noir, même pour la piqûre, a reçu, mercredi 10 février, sa première injection du vaccin contre le Covid-19. Enfin, l’espère-t-il, car on lui a peut-être administré un placebo. Il n’en saura rien. « Suspense. »

Michel fait partie des milliers de volontaires non rémunérés – qui ont requis l’anonymat –, recrutés par l’intermédiaire de la plate-forme Covireivac mise en place pour conduire des études cliniques de grande ampleur sur les vaccins contre le Covid-19, en France, et pilotée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Depuis son lancement, le 1er octobre 2020, près de 50 000 personnes se sont inscrites, un quart d’entre elles ayant plus de 65 ans. Du jamais-vu de mémoire d’infectiologue. L’Inserm visait un nombre deux fois moindre de volontaires. Pas mal pour un pays que l’on disait réfractaire aux vaccins.

Mercredi matin, ce professeur émérite en sciences sociales avait donc rendez-vous au centre d’investigation clinique de l’Hôtel-Dieu, à Paris, pour participer au tout premier essai clinique organisé dans le cadre de ce dispositif. Il s’agit de la phase 3 – dernière étape avant la mise sur le marché – du candidat vaccin développé par le laboratoire Janssen, filiale pharmaceutique du groupe américain Johnson & Johnson. « L’objectif est d’évaluer son efficacité en comparant la fréquence de la maladie entre la population ayant reçu le vaccin et celle qui aura reçu le placebo », résume Marie Lachatre, médecin infectiologue à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

« Le pays de Pasteur a raté le coche du vaccin »

L’essai a démarré le 1er février et doit durer deux ans : 30 000 personnes y participent à travers le monde, dont 1 175 en France, réparties dans une dizaine de centres en Ile-de-France, en Occitanie, en Nouvelle-Aquitaine, en Auvergne-Rhône-Alpes et dans le Grand-Est. Pour être éligible, il faut être âgé d’au moins 18 ans, être en bonne santé (ou atteint d’une affection médicale stable) et bien sûr ne pas encore avoir été vacciné contre le Covid-19.

Une infirmière du centre d’investigation clinique de l’Hôtel-Dieu se prépare à injecter une dose du vaccin Johnson & Johnson à un volontaire dans le cadre de l’essai clinique, à Paris, le 11 février.

Contrairement à ceux de Pfizer-BioNTech, AstraZeneca ou Moderna, le vaccin de Johnson & Johnson n’a pas encore reçu le feu vert des autorités sanitaires pour être commercialisé en Europe. Pas de quoi effrayer Michel, mais un peu plus son épouse : « Elle a essayé de me dissuader jusqu’au bout, car elle a peur d’un accident. Le seul risque que je cours, c’est d’avoir un placebo. » Et ça, ça embêterait quand même un peu Michel : « Si je suis dans le deuxième groupe, ça veut dire que je devrai vivre encore pendant deux ans avec les restrictions, les masques, les gestes barrières, et sans pouvoir voyager. »

Peut-être pas. L’Inserm prévoit de permettre à ses volontaires sous placebo de se faire vacciner s’ils le souhaitent, deux semaines après la deuxième injection, programmée, elle, deux mois après la première.

La veille, le retraité a reçu un courrier de la Sécurité sociale pour l’avertir qu’une dose d’un vaccin approuvé l’attendait. « J’ai refusé. Je me suis engagé à apporter ma petite contribution à l’avancée de la science. » Son seul « regret », que le laboratoire ne soit pas français : « Le pays de Pasteur a raté le coche du vaccin. On travaille pour la sous-traitance. »

« Etre utile à la recherche médicale »

Anne-Marie a un an de moins que Michel, des poissons sur son masque cousu main et des libellules sur son châle en laine. Comme Michel, elle habite le 13e arrondissement de Paris. Et, comme lui, elle veut « être utile à la recherche médicale ». « Depuis deux ans, je n’ai plus le droit de donner mon sang à cause de mon âge, je me sentais périmée. »

Trois volontaires recrutés via la plate-forme Covireivac pour participer à l’essai clinique du vaccin contre le Covid-19 mis au point par Johnson & Johnson, au centre d’investigation clinique de l’Hôtel-Dieu à Paris, le 10 février.

Mercredi, à l’instar de la trentaine de volontaires passée avant elle par l’Hôtel-Dieu, Anne-Marie a été soumise à un prélèvement sanguin (pour les analyses sérologiques et immunologiques) et à un test PCR (le troisième depuis le début de la pandémie). « C’est important que des personnes de mon âge participent à ce type d’essai, car on entend parfois que certains vaccins ne sont pas efficaces pour les vieux », dit Anne-Marie, qui sait qu’elle devra attendre avant d’être éligible aux vaccins distribués en France.

Après l’injection, il faut patienter un quart d’heure avant de pouvoir rentrer chez soi, pour guetter les signes éventuels d’une importante réaction allergique. Anne-Marie en profite pour ingurgiter la liste des potentiels effets indésirables : picotements, fièvre, vomissements, étourdissements… « Si j’avais la trouille, je ne serais pas là. La France est plutôt hyperprécautionneuse et d’après ce que j’ai entendu, ce vaccin n’est pas une technologie nouvelle. » Ancienne chef de projet dans un grand groupe d’électronique, elle est plutôt bien informée. Le vaccin de Janssen, dit « à vecteur viral non réplicatif », repose sur une technologie déjà utilisée pour l’un des vaccins contre le virus Ebola et se base sur une version atténuée d’un virus responsable de rhino-pharyngite.

Kit pour surveiller l’apparition d’effets secondaires

« Je sais bien que si j’ai le placebo, je ne serai pas du tout protégée, mais je serai mieux suivie que quiconque pour le Covid », croit fermement Anne-Marie. Le protocole prévoit dix visites sur la durée de l’essai, avec un examen clinique à chaque fois. La retraitée repartira avec un kit complet pour surveiller l’apparition d’effets secondaires (une réglette pour mesurer la taille en cas d’inflammation au point d’injection, un thermomètre, un tensiomètre, un oxymètre…) et une nouvelle application sur son smartphone.

Les échantillons des prélèvements sanguins numérotés afin de préserver l’anonymat des volontaires, à l’Hôtel-Dieu à Paris, le 10 février.

La première semaine, elle devra compléter tous les soirs un questionnaire et renseigner d’éventuelles réactions postvaccinales : rougeurs, douleurs, température. « Tous les lundis et jeudis, pendant un an, vous allez aussi recevoir une notification pour savoir si vous ressentez des symptômes liés au Covid, prévient Gaëlle Clavere, l’attachée de recherche clinique de l’étude. Il faudra répondre par oui ou non. »

Elles déroulent ensemble le questionnaire sur les dernières vingt-quatre heures. Essoufflement ? « Non. » Mal de gorge ? « Non. » Eternuements ? « Non. » Douleurs musculaires ? « Un petit peu, j’ai fait de la gym. » Perte d’appétit ? « Ce serait trop beau. » Anne-Marie est gourmande. Sa tension s’en ressent.

Le but de l’essai est aussi d’étudier les réponses du vaccin sur des sujets avec des comorbidités et d’âges divers. Philippe, 45 ans, marathonien et informaticien, participe aussi à son premier essai pour « faire un peu plus que de respecter les gestes barrières pour éradiquer cette saloperie de virus ». Comme Michel et Anne-Marie, il reviendra le 1er avril pour la deuxième injection. En espérant, lui aussi, que ce soit une injection du vaccin, et non du placebo. « Ce serait la cerise sur le gâteau ! »


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