mardi 16 février 2021

Darwinisme Ce que le Covid-19 nous rappelle sur l’évolution

par Olivier Monod  publié le 15 février 2021

Mutation, sélection, convergence et épistasie, l’apparition des variants du Sars-Cov-2 nous plonge au cœur de la dynamique de l’évolution naturelle.


Si elle est une mauvaise nouvelle pour les services de soins et les pays éprouvés par la pandémie depuis plus d’un an, l’émergence des variants du Covid-19 nous rappelle que le vivant est dynamique, qu’il change, qu’il s’adapte et qu’il… évolue. Quelques jours après l’anniversaire de la naissance de Darwin (12 février), le #DarwinDay sur les réseaux sociaux, nous constatons que le virus permet cette chose fascinante : nous montrer l’évolution à l’œuvre.

Ce virus est un être vivant à génération rapide. Il ne lui faut que 10 heures pour se reproduire. Un individu infecté peut rapidement présenter des millions voire des milliards de virus. Chaque virus possède un génome de 29 000 lettres, soit autant de possibilités de mutations. Dès lors, on comprend bien qu’un événement rare, comme une mutation viable, a statistiquement des chances de se produire. «On estime qu’une lignée du virus accumule une à deux mutations par mois», rappelle Samuel Alizon, chercheur et auteur de Evolution, écologie et pandémies : faire dialoguer Pasteur et Darwin (Points).

En un an et demi d’existence, le Sars-Cov-2 a donc beaucoup muté. L’arbre des mutations non délétères est visible sur le site Nextstrain. La plupart des changements dans le code génétique du virus n’ont pas ou peu de conséquences sur son comportement. Elles sont très utiles aux chercheurs pour retracer le chemin de l’épidémie, mais elles ne «servent» à rien pour le virus. L’apparition de ces lignées est le fruit du hasard.

Là-dessus apparaissent les variants. Qu’ils soient brésilien, anglais ou sud-africain, ils présentent deux caractéristiques qui les différencient des lignées habituelles. Ils ont un comportement différent (plus infectieux, capable d’échapper en partie au système immunitaire) et ils ont un nombre de mutations plus élevé que d’habitude.

«En ce moment, les virus que l’on trouve ont autour de 25 mutations par rapport au virus d’origine de Wuhan. Les variants sont plutôt à 35», analyse Samuel Alizon. Ils ont donc connu un saut évolutif, un épisode durant lequel ils ont acquis plus de mutations que le rythme habituel. Cet événement peut avoir eu lieu au sein d’une personne immunodéprimée infectée pendant plusieurs mois, ou alors dans le contexte d’une ferme d’élevage intensif de visons ou encore être dû au mélange (on dit plutôt recombinaison) de deux virus de deux lignées différentes… Les possibilités sont nombreuses sans que l’on ne puisse aujourd’hui trancher. Notons tout de même que ces variants sont apparus dans des territoires où la circulation du virus était très active. Plus le virus est laissé libre de se multiplier, plus il a de chance d’accumuler, par hasard, la séquence de mutations la plus adaptée à son environnement.

Convergence évolutive

Chez les trois variants les plus médiatisés, trois mutations attirent particulièrement l’attention des chercheurs. Elles s’appellent K417N, E484K et N501Y. Au début, on retrouvait cette dernière (associée à une meilleure transmissibilité du virus) chez les trois variants et les deux premières (associées à un échappement immunitaire) seulement chez les variants sud-africain et brésilien. Mais en janvier, le gouvernement britannique a annoncé avoir repéré des clones du variant anglais comportant la mutation E484K. Il sera intéressant de voir si la mutation K417N apparaît aussi dans la lignée du variant anglais.

Si les mutations ont lieu au hasard, pourquoi les mêmes apparaissent-elles dans trois lignées indépendantes sur trois continents différents ? Il est possible que la combinaison de ces mutations confère au virus un avantage adaptatif. Le fait de voir la même combinaison survenir à des endroits différents est appelé la convergence évolutive. «Voir les mêmes changements survenir de manière indépendante permet de voir l’action filtrante de la sélection naturelle. La convergence évolutive est un élément fort pour prouver que la sélection naturelle est à l’œuvre», commente Olivier Tenaillon, directeur de recherche à l’Inserm.

Il est même possible que ces mutations doivent apparaître selon un ordre particulier pour conférer un avantage sélectif. On appelle cela l’épistasie. L’effet induit par une mutation dépend des mutations déjà présentes. «Si l’on sait que la combinaison de trois mutations est avantageuse, cela ne signifie pas que tous les chemins menant à cette combinaison le sont. Certains sont peut-être même délétères. Ici intervient la notion de paysage adaptatif. En fonction des mutations déjà présentes, toutes les mutations futures n’apporteront pas le même avantage sélectif», illustre Olivier Tenaillon. Notre compréhension du virus et de ses variants ne doit donc pas être figée dans le temps. Elle doit prendre en compte la dynamique évolutive du Sars-Cov-2.



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