samedi 27 février 2021

Covid-19 : derrière les « 30 000 médecins » de Coordination santé libre, une galaxie de rassuristes, naturopathes et citoyens en colère

Par   Publié le 25 février 2021

Ce collectif, qui revendique le soutien de dizaines de milliers de généralistes, fait la promotion d’un protocole de soins ambulatoires contesté contre le Covid-19. Or selon un recensement indépendant, ce collectif ne compte que 1 300 médecins.

Claude Escarguel, Violaine Guérin et Martine Wonner, trois des piliers du collectif Coordination santé libre, lors d’une conférence début février 2021.

Mais où sont les 30 000 médecins du collectif Coordination santé libre ? La question agite les observateurs depuis que, fin janvier, ce groupe a présenté un traitement ambulatoire précoce contesté contre le Covid-19, souvent surnommé « protocole Wonner », en raison du soutien qu’il a reçu de la part de la députée du Bas-Rhin Martine Wonner. Ce protocole a été qualifié de « criminel » par plusieurs experts médicaux et officiellement déconseillé par la Haute Autorité de santé (HAS).

Pas de quoi faire vaciller le collectif qui, depuis sa création début 2021, revendique l’argument du nombre avec ses « 30 000 médecins ». C’est ce qu’ont ainsi affirmé l’oncologue Nicole Delépine, le collectif ReinfoCovidl’association BonSens ou encore l’endocrinologue Violaine Guérin, fondatrice du mouvement Laissons les médecins prescrire, tous membres ou relais de cette coordination.

Le nombre de 30 000 médecins mis en doute

Les 30 000 médecins revendiqués par la coordination représenteraient un huitième de l’ensemble des praticiens français. Ce nombre est sujet à caution.

  • Seuls 1 361 médecins enregistrés à l’ordre

Depuis mi-février, nombre d’internautes remettent très sérieusement en cause ce chiffre, arguant que la seule liste publique disponible, sur le site « Laissons les médecins prescrire », ne regroupe que 2 394 signataires. Plus intrigant encore : parmi ceux-ci, seuls 1 361 figurent réellement au registre de l’ordre des médecins, selon une analyse détaillée d’une association de défense de la science, Citizen4Science, réalisée .

  • Une agglomération de sous-groupes invérifiable

L’organisation conteste ce décompte. « La Coordination santé libre regroupe plusieurs collectifs, d’où le nombre important de médecins qui la composent », explique au Monde la porte-parole de la coordination. Il faudrait donc additionner les signataires individuels et l’ensemble des membres des collectifs signataires pour arriver au total de 30 000. Impossible à vérifier : la plupart des associations ne partagent pas publiquement leur nombre d’adhérents et n’ont pas donné suite aux sollicitations du Monde.Le fondateur d’une des associations signataires, qui nous a répondu, explique que personne ne lui a demandé combien il avait d’adhérents. La coordination, qui n’a pas de site officiel dédié, n’a pas donné suite à nos demandes à ce sujet.

  • Une « erreur humaine »

Ce nombre de 30 000 médecins est même relativisé par l’un des piliers de la coordination. « Il y a 100 000 personnes qui ont rejoint cette association, plus 30 000 soignants et 10 000 médecins », corrige ainsi Claude Escarguel, coauteur du protocole. Ce nombre de 30 000 médecins serait donc « une erreur d’interprétation, une erreur humaine », estime-t-il, tout en expliquant que certains praticiens n’ont pas souhaité apparaître publiquement par peur des pressions de l’ordre des médecins.

  • Un argument discutable

Pour le collectif FakeMed, qui lutte contre la désinformation médicale, brandir ce nombre de 30 000 médecins relève de l’argument d’autorité. « Ce qui nous pose problème, c’est l’argument : Nous sommes nombreux, donc nous avons raison. Or en sciences, ce qui donne raison, ce n’est pas le nombre, mais les éléments de preuve », explique son président, Cyril Vidal. FakeMed affirme préparer une plainte ordinale contre Martine Wonner en sa double qualité de députée et médecin, pour manquement au code de déontologie et au code de la santé publique. L’intéressée n’a pas pu être en mesure de répondre aux questions du Monde.

Des collectifs de médecins rassuristes

Dans le détail, qui sont les signataires ? On retrouve plusieurs collectifs médicaux qui s’étaient déjà largement exprimés sur les questions liées au Covid-19.

  • Des associations proches de Louis Fouché, Martine Wonner et Christian Perronne

Au cœur des collectifs qui soutiennent le protocole de soins controversé, on retrouve une poignée d’associations déjà centrales dans les débats. De manière directe comme ReinfoCovid, le comité d’action créé par le médecin réanimateur Louis Fouché, ou le collectif Laissons les médecins prescrire, de Martine Wonner, ou, plus indirectement, comme ChroniLyme, association de victimes de la maladie de Lyme, proche du professeur Christian Perronne. Moins médiatique, Réaction 19 réunit des médecins réunionnais dont les recommandations ont été déboutées par l’agence régionale de santé, qui les accuse de « contredire la réalité des faits ou sous-évaluer la portée de la maladie de la Covid-19 ».

  • Un ancien collaborateur de Didier Raoult, promoteur de l’azithromycine 

La Coordination santé libre peut compter sur le soutien de l’Union pour la prévention et la gestion des crises sanitaires et le collectif Azi-thro-d’hospitalisations. Les deux ont pour porte-parole le microbiologiste Claude Escarguel, corédacteur du protocole et ancien collaborateur du professeur Didier Raoult. Il estime que l’azithromycine et le zinc en phase précoce peuvent diminuer les risques de Covid-19 long, et se désespère du manque d’écoute de la HAS. « Nous n’avons jamais dit que nous avions raison, mais essayez juste de vérifier si ça marche, exhorte-t-il. Or il n’y a que les médecins généralistes qui peuvent prescrire aux premiers symptômes. » A ses yeux, le débat est vicié par « un combat entre médecins de ville et médecins hospitaliers », qui découvrent la maladie à des stades différents.

  • L’IHU de Marseille n’y figure pas

Bien que l’hydroxychloroquine soit plébiscitée par nombre des membres de la coordination, l’Institut Méditerranée Infection du professeur Raoult ne figure pas dans ce collectif. « L’IHU n’a pas à se positionner institutionnellement sur ces initiatives, donc nous n’avons pas de position. Ce n’est pas notre rôle », écarte son porte-parole, Yanis Roussel.

Médecine alternative et citoyens en colère

Derrière cette première ligne issue du monde de la médecine, nombre de collectifs signataires sont par ailleurs dépourvus de légitimité scientifique.

  • Aromathérapie vibratoire, arts énergétiques et fuseaux horaires naturels

La médecine alternative est surreprésentée. On trouve ainsi Passerelles pour la vie, qui promeut sur son site « la médecine nutritionnelle, naturopathique, quantique », propose ateliers et conférences sur « la cohérence cardiaque »« l’aromathérapie vibratoire » ou encore la « psychologie énergétique », au nom du côté « vibratoire et énergétique » de l’homme. « Ce site ne remplace pas les conseils que vous pouvez obtenir auprès d’un professionnel de santé », précise l’association.

Figurent également l’association Solidarité ressources santé, qui prescrit de la « pharmacopée africaine » ; Harmonie et énergie, spécialiste de médecine chinoise et « tous les sujets touchant aux arts énergétiques et au bien-être » ; la Fondation Dr Catherine Kousmine, école de naturopathie suisse prônant « l’immuno-modulation douce » ; ou bien encore l’Association pour le rétablissement de l’heure méridienne, qui exhorte à « rétablir des fuseaux horaires permanents basés sur le soleil ». 

  • Des collectifs citoyens et de parents d’élèves

D’autres collectifs n’ont même aucun rapport avec la santé, comme plusieurs associations de parents d’élèves, l’association Ami entends-tu, qui défend la réouverture des lieux de culture, ou Ni voyous ni soumis, collectif dont l’objectif initial est de défendre les automobilistes contre les contraventions abusives. « On a été transparents, on leur apporte du soutien, mais pas des médecins », reconnaît sans ambages son président, Denis Bigeard, qui se définit comme un « rebelle ». Il explique au Monde s’être engagé par solidarité avec les soignants victimes de pressions de leur hiérarchie, notamment Louis Fouché, et pour résister à « un gouvernement criminel » travaillant pour « le nouvel ordre mondial ».

Parmi les signataires individuels, des spécialités hétérogènes

Les médecins ayant adhéré au collectif à titre individuel sont 2 399, selon un décompte du Monde arrêté mi-février, qui corrobore celui réalisé par des internautes. S’y ajoutent 163 signataires étrangers, essentiellement belges, suisses, algériens, marocains et tunisiens.

  • 688 généralistes inscrits à l’ordre des médecins

Quatre-vingt-une spécialités différentes se retrouvent parmi les signataires, dont une majorité (1 230) se présentant comme généralistes. Dans le détail, ils sont 688 à être effectivement enregistrés à l’ordre des médecins.

  • Quelques spécialistes des maladies infectieuses

La liste des signataires comporte deux immunologistes et quatre infectiologues, dont Christian Perronne, spécialiste de la maladie de Lyme, Stéphane Gayet, hygiéniste au CHU de Strasbourg, fréquemment invité dans les médias, Loïk Geffray, chef de service au centre hospitalier Robert-Bisson à Lisieux, et Francine De Salvador-Guillouët, ancienne praticienne hospitalière au CHU de Nice. Aucun n’a donné suite aux sollicitations du Monde. On trouve également un épidémiologiste, 29 urgentistes, 14 pneumologues, 42 gériatres et trois coordonnateurs en Ehpad, autant de professionnels a priori directement en prise avec l’épidémie de Covid-19.

  • De nombreux non-spécialistes ou retraités

A la suite des critiques contre le protocole, Martine Wonner avait pris la défense des « médecins de terrain [qui] soignent ». Pourtant, nombre de signataires n’ont pas vocation à traiter le Covid-19 : la liste comporte 145 psychiatres, 63 gynécologues, 62 ophtalmologues ou encore 21 ORL, dont le métier n’est pas de traiter des maladies respiratoires. En outre, plus de 10 % des signataires (308) sont retraités.

  • Des naturopathes qui ne se présentent pas toujours comme tel

Plusieurs homéopathes, acupuncteurs, thermalistes ou ostéopathes apparaissent. « Il y a un certain nombre de médecins qui seraient plutôt des naturopathes que des allopathes, concède Claude Escarguel. Ce n’est pas ma tasse de thé, mais il faut respecter. » Ils sont du reste une minorité, même si certains se présentent comme médecins généralistes, alimentant davantage le doute sur la réalité de ces « 30 000 médecins ».


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