lundi 22 février 2021

Aurélien Rousseau, agent idéal de santé

par Eric Favereau publié le 21 février 2021

Le directeur de l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France fait étonnamment l’unanimité à l’heure de la défiance envers les bureaucraties.

(Jérôme Bonnet/Libération)

Nous ne sommes assurément pas dans le mood du moment. L’heure est, en effet, à critiquer tous azimuts les agences régionales de santé (ARS), symptômes de toutes les bureaucraties, coupables en tout cas des retards à l’allumage de notre politique sanitaire. Or voilà que l’on tombe sur Aurélien Rousseau, censé être le bureaucrate en chef, car directeur de l’ARS d’Ile-de-France. Et notre homme se révèle être un personnage «éminemment sympathique» et «particulièrement compétent», aux dires de toutes les personnes interrogées.

Rousseau est jeune (44 ans), chaleureux, sans effet ni emphase. La silhouette massive, il sait ironiser sur ses kilos, qu’il prend et qu’il perd, et sur la pratique sportive, qui l’intéresse peu. S’il se dit«flatté» que Libération fasse son portrait, il est à mille lieues de la prétention courtoise de certains hauts fonctionnaires. Ce jour de février, il porte des grosses chaussettes rouges qui jurent avec son costume. Son après-midi est un rien hachée, entre une conversation dans les locaux de l’ARS, interrompue par une conférence téléphonique avec les directeurs d’hôpital, puis un départ précipité pour accompagner le Premier ministre dans un centre de vaccination à Suresnes. Il n’empêche, ce haut fonctionnaire envoie deux heures plus tard un long SMS pour s’excuser «de ne pas avoir eu assez de temps». Et quelques jours plus tard, un autre pour évoquer ce qu’il préfère dans son travail : «Personne ne parle de ces agents qui se battent tous les jours. On ne les classe pas parmi les héros, mais ils ne lâchent rien.»

Nous voilà perplexe, et nous le sommes encore plus lorsque l’on interroge ses proches. Ainsi Nicolas Revel, directeur de cabinet de Jean Castex : «Aurélien est hors-norme, il est d’une très grande intelligence, avec une vraie attention aux autres.» Même tonalité chez le communiste Pierre Mansat, ancien adjoint à la mairie de Paris : «Il a une qualité de contact exceptionnelle. Aurélien maintient la belle tradition de la haute fonction publique.» Diantre… Ou Pierre Pribile, directeur de l’ARS de Bourgogne-Franche-Comté : «Il est génial, il a la capacité d’entrer dans la technique des choses mais ne s’y perd pas.» «Il n’aime pas les conflits, analyse Michel Fournier, ancien conseiller médical à l’ARS. Mais il sait être courageux. Il a été l’un des rares à défendre les prérogatives des ARS quand l’Elysée a tenté de donner le pouvoir sanitaire aux préfets.» En grattant un peu, on trouve la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui le critique pour l’avoir quittée en 2016 afin de devenir directeur adjoint du cabinet de Manuel Valls, puis de Bernard Cazeneuve à Matignon. Mais c’est bien la seule.

Que faut-il penser de ce déluge de compliments ? N’est-ce pas un petit entre-soi qui s’auto-admire ? De plus, Aurélien Rousseau serait drôle, très drôle même. Bref, à n’y rien comprendre. D’autant que, lorsqu’on l’interroge sur la bureaucratie sanitaire, celui qui n’a pas eu le Covid-19 écoute avec attention : «Cette critique me trouble. J’ai parfois le sentiment que l’on dénonce un Etat qui n’existe plus. On reproche aux ARS des missions qui ne sont pas les leurs. Il y a des décisions politiques et on les applique.»

Peut-être notre perplexité va-t-elle trouver un début de réponse dans l’histoire même d’Aurélien Rousseau. C’est une belle histoire, celle d’une famille d’Alès, ancienne cité ouvrière protestante, devenue communiste avec la Résistance. Il y a une grand-mère, élue locale pendant trente ans, une mère professeure de philo, exclue du PCF en mai 1968, un père ingénieur divorcé. Et lui, le jeune Aurélien, qui cherche une place : «J’ai toujours voulu être haut fonctionnaire, mais j’ai vécu une pression symbolique autour de l’idée que le pouvoir corrompt.» Il rêvait de Sciences-Po, il va faire de l’histoire. Il quitte Alès, monte à Paris, enseigne dans un collège de banlieue, milite au PCF, où il rencontre Pierre Mansat.

Nous sommes en 2001. Bertrand Delanoë vient d’être élu. Pierre Mansat est chargé du dossier Paris-banlieues. «Il me demande de le suivre. C’était la gauche plurielle, on arrivait à faire des choses.»Aurélien Rousseau adore ce travail. Nicolas Revel, alors directeur adjoint du cabinet du maire, le pousse à passer le concours interne de l’ENA. Reçu. Mais, en stage de préfecture à Bobigny, il est pris de douleurs bizarres. Il consulte son généraliste qui a le bon réflexe de l’envoyer aussitôt en neurologie à la Pitié-Salpêtrière. «J’arrive à l’hôpital à 17 heures sur mes deux jambes, quelques heures plus tard, je suis ventilé, intubé.» On diagnostique un syndrome de Guillain-Barré, une saloperie neurologique. Dix mois d’hospitalisation, dont de longues périodes en réa, avec des douleurs délicates à soulager. «J’y pense tous les jours, avoue-t-il. A mon retour, les gens croyaient me retrouver comme avant. Or vous n’êtes plus à la même place.» Il reprend sa scolarité à l’ENA, choisit le Conseil d’Etat, revient à la mairie de Paris, avant d’être débauché par Valls et Cazeneuve pour Matignon.

«Cela paraît un parcours linéaire, insiste Aurélien Rousseau, mais pour moi, cela ne l’est pas du tout. Il y a eu plein de contingences, les choses auraient pu se passer différemment.» Et cela va continuer un peu dans la même veine. Emmanuel Macron élu président, il est nommé à la tête de l’ARS, quelques mois avant l’arrivée du Covid-19. Entre-temps, il s’est remarié avec Marguerite Cazeneuve, brillante personnalité devenue conseillère sociale à Matignon, fille de Jean-René, député LREM. Voilà. Un couple au cœur de l’Etat de droit. Mais pour lui qui fut militant communiste, n’y a-t-il pas là un gros décalage ? N’a-t-il pas été directeur adjoint de cabinet de Valls pendant la loi travail ? Il s’en défend : «J’ai dit à Manuel ma position. Ensuite, je suis fonctionnaire et je n’ai pas eu le sentiment de franchir la ligne jaune.» Bref, non pas droit dans ses bottes, mais pleinement à l’aise dans ses souliers. Et lorsque surgit le Covid-19, qui va tout chambouler, il s’adapte. «Mon boulot, c’est de recevoir des paquets de tension de partout, puis de les rendre constructifs pour les équipes.»Il ne le dit pas, mais ça, il sait faire.

«Vous voulez une anecdote pour le comprendre ? C’est son humour», tente de nous aider Pierre Mansat. «Quand il a quitté Matignon, il a fait un discours qui nous a tous pliés de rire. Cela commençait ainsi : “Le Komintern m’avait donné une mission : celle de détruire la social-démocratie. Je ne pensais pas que j’allais réussir aussi vite”.» Dans la voiture qui le ramène fissa chez lui, – il a la garde partagée de ses deux premières filles, Clémentine et Valentine –, il lâche : «Ce qui m’importe, c’est le rapport au doute. Paradoxalement, nous avons plus douté du côté des responsables administratifs ou politiques que du côté de certains responsables médicaux.» Comment ne pas lui donner l’absolution ?

1976 Naissance à Alès.

2008 Hospitalisé pendant dix mois.

2009 Conseil d’Etat.

2018 Directeur de l’ARS Ile-de-France.


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