jeudi 11 février 2021

A bout de souffle, les accompagnants d’élèves en situation de handicap se mobilisent

Par    Publié le 11 février 2021

Précarisation, manque de reconnaissance, mépris au sein des établissements… Après des années de contestation, la situation des AESH ne s’est pas améliorée. Ils appellent à manifester, jeudi, à l’occasion des 16 ans de la loi sur le handicap.

« Nous sommes les pions invisibles de l’éducation nationale »,enrage Elisabeth Garnica, présidente du collectif AESH France. Ecartés de la revalorisation salariale pour les enseignants et personnels annoncée par le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, en novembre 2020, les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) veulent se faire entendre du gouvernement. Après une première journée de manifestation locale organisée à Bobibny, mardi 9 février, à l’initiative du SNES-93, les AESH se mobilisent à nouveau jeudi 11 février à l’appel de la CGT Educ’action, à l’occasion des 16 ans de la loi sur le handicap.

Tous les AESH que Le Monde a interrogés ont le même mot à la bouche : les PIAL. Ces « pôles inclusifs d’accompagnement localisés » constituent un point de crispation majeur depuis leur mise en place en 2019. L’objectif initial, explique la chercheuse en éducation inclusive à l’Institut catholique de Paris, Fabienne Serina-Karsky : apporter un dispositif qui puisse regrouper les professionnels qui travaillent autour de l’école inclusive. Mais dans les faits, la mise en place s’avère compliquée. Selon elle, « l’idée est bonne mais ça complexifie beaucoup les choses d’un point de vue administratif ».

Création massive de postes

Le fonctionnement des PIAL correspond à une stratégie gouvernementale de mutualisation des professionnels qui consiste à répartir les AESH sur les établissements d’un même secteur. Une démarche particulièrement contestée par le personnel : « Nous devons faire preuve d’une forte capacité d’adaptation avec des emplois du temps qui changent du jour au lendemain », explique Perrine Crinquette, AESH dans un lycée de Lomme, dans le Nord.

Sans cesse transférés d’un établissement à l’autre, les AESH déplorent un accompagnement qui ne peut être individualisé. « Certains AESH doivent parfois jongler entre sept ou huit élèves par semaine, raconte Elisabeth Garnica. C’est l’horreur, les enfants ont besoin de repères. » Cette gestion des AESH a également un impact néfaste sur la scolarisation des enfants. « C’est le monde à l’envers. Nos enfants n’ont pas assez d’heures notifiées auprès d’accompagnants, alors que sur les réseaux sociaux, nous voyons que beaucoup d’AESH sont en recherche d’un poste », remarque Adeline Drapeau, mère d’un enfant reconnu en situation de handicap il y a un an.

Les besoins sont là. Jean-Michel Blanquer a même annoncé, en septembre 2020, la création massive de 4 000 nouveaux postes d’AESH, dans le cadre du projet de loi de finances 2021, qui s’ajouteraient aux 8 000 postes déjà annoncés pour répondre à des besoins croissants de scolarisation des élèves en situation de handicap. Une annonce qui ne satisfait pas les personnels mobilisés : « Déjà faudrait-il faire quelque chose pour les postes existants et précarisés », souligne Sébastien Cazaubon, AESH depuis janvier 2019 dans les Landes et membre de la CGT Educ’action.

Dépourvues de véritable statut, les AESH souffrent aussi d’un manque de reconnaissance de la part de la hiérarchie. « Nous sommes très mal traités. Parfois, quand nous arrivons dans l’établissement, on ne nous donne même pas de casiers pour ranger nos affaires », raconte Elisabeth Garnica. « Tous les jours, nous nous rendons au travail avec la boule au ventre », ajoute une AESH d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui a requis l’anonymat. Après cinq ans d’exercice, l’accompagnante est aujourd’hui en arrêt maladie depuis un mois après avoir été maltraitée par le personnel de l’école. Avec un salaire de 753 euros par mois, elle admet devoir cumuler deux emplois pour pouvoir élever son fils.

Formation « trop superficielle »

A la question salariale, s’ajoute une collaboration avec le corps enseignant compliquée, voire impossible, selon certains AESH. « Les enseignants ne connaissent pas nos missions. Et pour beaucoup d’entre eux, c’est difficile de travailler avec un adulte dans la classe », admet-elle. Un manque de reconnaissance professionnelle qui va de pair avec le trop peu de formation dont ils disposent. Les AESH sont embauchés parmi les candidats titulaires d’un diplôme d’aide à la personne de niveau CAP, le Diplôme d’état d’accompagnant éducatif et social (DEAES), qui s’adresse à toutes les professions accompagnant les personnes handicapées. Hormis cette certification, les AESH effectuent une formation de soixante heures au moment du recrutement, que beaucoup jugent « trop théorique » ou encore « trop superficielle ».

Beaucoup déplorent également un diplôme au rabais, qui écarte la profession de véritables possibilités d’évolution de salaire. « Selon la grille, en vingt-quatre ans de travail, nous gagnons à peine 110 euros nets si nous sommes à plein temps, soit moitié moins quand nous sommes à vingt-quatre heures par semaine », rapporte Alain Catherin, AESH membre de la CGT Educ’action. Côté ministère, le dernier communiqué, en date du 26 octobre, fait état d’une nouvelle indemnité annuelle de 600 euros, mais celle-ci ne concerne que les AESH référents, chargés d’accueillir les nouveaux accompagnants dans les PIAL : « En réalité, pas grand monde ne la touche », affirme Sébastien Cazaubon.

Selon la chercheuse Fabienne Serina-Karsky, ce manque de considération est dû à des préoccupations gouvernementales qui excluent les professions d’accompagnants : « Nous sommes tellement obnubilés par les disciplines scolaires et la qualité de l’enseignement qu’on en occulte toute la partie éducative, explique-t-elle. L’éducation nationale s’intéresse plutôt à former des professionnels de l’enseignement que des professionnels de l’éducation, comme les AESH. »


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