jeudi 14 janvier 2021

L’Irlande demande pardon pour les victimes de ses « maisons pour mères et bébés »

Par   Publié le 13 janvier 2021

Une commission d’enquête officielle a rendu, mardi, un rapport sur ces institutions catholiques dans lesquelles plus de 9 000 bébés sont morts de 1922 à 1998.

Une mère et sa fille rendent hommage au cimetière de Tuam, en Irlande, aux bébés qui ont été découverts dans la « maison pour mères et bébés ».

C’est un moment historique pour l’Irlande. Un siècle après son indépendance, la République affronte un passé sombre et pas si lointain : sa société fut, jusqu’à la fin du XXe siècle, profondément catholique et rurale, mais surtout brutalement misogyne. Après cinq années de travail, une commission d’enquête officielle a rendu, mardi 12 janvier, un énorme rapport (3 000 pages) décortiquant le fonctionnement de dix-huit « maisons pour mères et bébés », la plupart gérées par des congrégations catholiques, où ont été placées des dizaines de milliers de femmes sur le point d’accoucher entre 1922 et 1998.

Rejetées par leur famille et par les géniteurs des bébés, les jeunes femmes (parfois encore des enfants, et pour la plupart issues de milieux pauvres) y cachaient des grossesses considérées comme honteuses. Elles étaient durement traitées et souvent les enfants étaient placés ou adoptés sans leur consentement.

Le taux de mortalité infantile y était affolant. A Bessborough dans le comté de Cork (sud du pays), dans une maison gérée par la Congrégation des sacrés-cœurs de Jésus et Marie, les trois quarts des bébés nés en 1943 sont morts dans l’année. En tout, 9 000 enfants sont décédés dans ces maisons, soit 15 % du total de ceux y ayant séjourné. Et beaucoup n’ont pas eu droit à une sépulture décente.

Ce qui se passait derrière les murs de ces institutions briseuses de destins était connu et toléré « des autorités locales et nationales à l’époque », précise le rapport, en accès public depuis mardi, après avoir été transmis aux familles des victimes.

Mercredi, le premier ministre, Micheál Martin, a présenté des excuses solennelles au nom de l’Etat irlandais, « pour la honte et les stigmates » dont ces générations de femmes ont été l’objet. « Vous étiez dans une institution par la faute des autres. Vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez pas à avoir honte, chacune d’entre vous mérite tellement mieux », a ajouté M. Martin, en s’adressant aux victimes, depuis le Dail, la chambre basse du Parlement irlandais à Dublin. La veille, le dirigeant avait reconnu que « toute la société irlandaise s’est montrée complice » et que le rapport d’enquête décrivait un pan « sombre, difficile et honteux de notre histoire récente ».

« Il s’agit d’un holocauste irlandais »

Le premier ministre irlandais, Micheál Martin, tient une copie du rapport de la commission irlandaise d’enquête sur les « maisons pour mères et bébés  », à Dublin, le 12 janvier 2021.

En 2013 déjà, Enda Kenny, le premier ministre de l’époque, avait prononcé des excuses nationales à la suite de la publication d’un rapport dénonçant l’existence d’un autre système national d’oppression des femmes : les « Magdalene laundries ». Censées recueillir des filles-mères, des veuves sans revenus ou des prostituées, elles étaient en réalité de vraies maisons de travail forcé.

« Il s’agit d’un holocauste irlandais », a déclaré Carmel Larkin à la chaîne de télévision RTE, à propos des maisons de naissance. Cette femme est née au milieu du XXe siècle dans une institution tenue par les Sœurs du bon secours à Tuam (dans le comté de Galway, à l’ouest du pays). C’est grâce à la persévérance d’une autre habitante de Tuam, Catherine Corless, que ce passé honteux et dramatique a été exhumé. Au début des années 2010, cette historienne locale commence à fouiller l’histoire d’une institution à côté de laquelle elle a passé toute sa vie – la maison des Sœurs du bon secours. Un à un, elle recueille les certificats de décès des centaines d’enfants qui y sont morts (978 en tout, selon le rapport rendu mardi).

Depuis, elle réclame, inlassablement, une sépulture pour leurs restes, dont certains ont été retrouvés entassés dans une fosse septique sous le site de l’institution. « Cela aurait dû être fait il y a si longtemps », a réagi Mme Corless dans les colonnes de l’Irish Times, mercredi, alors que les responsables politiques multipliaient les hommages à son égard. « Elle est une héroïne nationale », a ainsi estimé le leader du Parti travailliste irlandais Alan Kelly.

Histoire déchirante

Le 6 octobre 2018, à Dublin, des hommes, des femmes, et des enfants tiennent des boîtes funéraires pour rendre hommage aux nourrissons découverts dans une fosse septique, en 2014, dans une institution pour « mères et bébés » tenue par les Sœurs du bon secours à Tuam.

Les maisons de naissance ont existé ailleurs en Europe. Ce qui, en revanche, est unique dans le cas de l’Irlande, c’est la quantité de jeunes mères qui y ont séjourné (plus de 50 000 dans les dix-huit institutions recensées par l’enquête, mais il en a existé d’autres dans le pays) et le taux de mortalité, probablement lié à un manque d’hygiène et à la promiscuité, qui facilitaient la propagation des maladies infantiles. « La proportion des mères irlandaises non mariées admises dans ces maisons au XXe siècle est probablement une des plus élevées au monde », selon le rapport d’enquête.

Le pays, qui avait pourtant été un des premiers à autoriser le vote des femmes (en 1922), n’a changé que tout doucement. En 1973, l’Etat introduit une pension pour les mères non mariées, leur donnant une toute petite autonomie financière. Mais l’avortement ne sera définitivement légalisé qu’en 2018.

Mercredi, le gouvernement irlandais s’est engagé à créer un fonds d’indemnisation pour les victimes des maisons de naissance. Fintan Gavin, l’évêque de Cork, a déclaré qu’il avait « honte » de la manière dont l’Eglise et l’Etat avaient traité les femmes irlandaises. Les Sœurs du bon secours ont aussi, pour la première fois, présenté leurs « profondes excuses ». 

« J’attends ce moment [de reconnaissance nationale] depuis des années », assure Philomena Lee, une des victimes les plus actives dans la reconnaissance de ses droits, dans un long communiqué publié le 10 janvier. Elle y raconte à nouveau son histoire, déchirante. Enceinte et terrifiée, elle est placée à 18 ans à Sean Ross Abbey (centre du pays), reléguée « au rôle de servante non payée, privée de [s]a liberté ». Elle y donne naissance à Anthony, qu’elle aime « instantanément ». Il lui est enlevé trois ans plus tard et adopté aux Etats-Unis. Jamais les nonnes ne lui donneront de nouvelles de son fils, alors que, devenu adulte, Anthony a repris contact avec elles. Il est mort avant que sa mère ait pu le revoir. Ces blessures ne se refermeront pas facilement.


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