jeudi 28 janvier 2021

Les danses fascinantes des microtubules, à la fois squelettes de nos cellules et autoroutes pour molécules

Par    Publié le 26 janvier 2021

Deux études éclairent le rôle de ces « spaghettis » qui tiennent lieu de squelette et de voies de circulation au sein des cellules. L’une sur une mutation qui fait tourner en rond les spermatozoïdes, l’autre sur un phénomène dynamique de destructions et de réparations.

Les microtubules sont en bleu, les dynéines, qui sont les moteurs moléculaires, sont en rouge et l’ADN du noyau est en jaune.

« Personne n’avait jamais vu ça. On n’y croyait pas nous-mêmes. »Voici ce que se sont dit, sans concertation préalable, deux équipes françaises après la découverte de phénomènes surprenants au cœur de la vie des cellules.

Les deux groupes étudient le même objet aux propriétés déroutantes : les microtubules. Il s’agit de longs tubes (des dizaines de micromètres) fins (25 nanomètres de diamètre), petits « spaghettis » qui tiennent lieu de squelette pour les cellules, mais aussi d’autoroutes pour le transport de diverses molécules en leur sein. Le tout en agitation permanente, faite de déplacements, de créations, de destructions… Les plus connus de ces tubes guident les signaux nerveux le long des axones des neurones ou bien font osciller de nombreux cils ou flagelles, comme ceux de la queue des spermatozoïdes.

La première équipe (Institut Curie, Hôpital Cochin, institut Max-Planck de Dresde et université de Bonn, Allemagne) s’est justement intéressée à cet appendice battant, dont un dérèglement de la machinerie est cause d’infertilité.

Analogue au paquito

Un flagelle bouge et ondule, grâce aux microtubules, qui eux-mêmes oscillent grâce à une technique analogue au sport basque du paquito, où les participants assis à la queue leu leu font avancer un de leurs équipiers, allongé sur leurs bras levés. Cela demande de la force et de la synchronisation. Idem pour le flagelle. Des moteurs moléculaires, appelés dynéines, ont une extrémité bien accrochée sur une première couche de microtubules, quand leurs autres extrémités, les « bras », peuvent s’accrocher ou se détacher d’une seconde couche de microtubules autour de la première. En poussant et tirant régulièrement, l’assemblée des dynéines fait onduler le supérieur et crée le battement de la queue du spermatozoïde, qui ainsi file droit vers les ovules.

Sauf si les microtubules sont très légèrement perturbés, comme les chercheurs l’expliquent à la « une » de Science du 8 janvier. En modifiant génétiquement des souris, ils ont empêché l’arrivée de seulement quelques acides aminés sucrés, des glycines, en surface des microtubules, sans gêner la vie des mammifères. « On avait failli abandonner, car ce changement semblait n’avoir aucun effet. Même les spermatozoïdes semblaient normaux », rappelle Carsten Janke, directeur de recherche au CNRS et responsable de cette équipe. En étudiant mieux le comportement des gamètes, ils ont néanmoins découvert que certains ne se déplacent plus en ligne droite mais tournent en rond. « Il a fallu plonger jusqu’au niveau moléculaire pour comprendre comment une modification, a priori non essentielle, pouvait avoir de telles conséquences physiologiques », explique Carsten Janke.

Ce sont les microtubules (en bleu) qui êrmettent aux flagelles des spermatozoïdes de bouger et d’onduler.

« Cette étude montre qu’il a fallu combiner plusieurs méthodes (modification génétique, biologie cellulaire, microscopie électronique), à plusieurs échelles (de la souris à la molécule), pour identifier et comprendre le problème. C’est magnifique, et cela témoigne bien de l’importance des collaborations. On ne peut pas grand-chose tout seul », apprécie Manuel Théry, chercheur au CEA au laboratoire Cytomorpho (université Grenoble-Alpes/université de Paris), dans l’autre équipe qui a étudié les microtubules.

Dépeçage et autoréparation

Lui aussi a donc repéré un effet que personne n’avait vu jusqu’alors. « Pendant le paquito moléculaire, l’équipier qui avance se fait arracher sa tenue, sa peau, ses bras… au point de finir complètement disloqué ! » Autrement dit, les moteurs moléculaires se fixant aux microtubules pour avancer ou tirer dessus les détruisent… Alors qu’un microtubule reste entier pendant vingt minutes, avec des dynéines sur lui, il se disloque en douze minutes, comme les chercheurs l’ont expliqué dans Nature Materials le 21 janvier.

Cela avait échappé à tout le monde, car, généralement, les expériences figent les microtubules, par ajout de diverses drogues, pour éviter leur destruction. Dans ce cas, seuls des moteurs plus costauds que la dynéine réussissaient à détruire des microtubules, mais seulement par leur extrémité, alors qu’ici le dépeçage a lieu sur tout le parcours.

Mais il y a « mieux » : la route tubulaire se répare toute seule face à ses détériorations. Le phénomène avait déjà été observé il y a plusieurs années par la même équipe, qui en comprend désormais un nouvel intérêt pour les cellules. « C’est comme si les voitures circulant sur une route abîmaient cette route. Plus il y a de voitures, plus la route est abîmée, et donc plus on la répare », résume Manuel Théry. Or les microtubules « neufs » attirent davantage les divers moteurs qui interagissent avec eux, ce qui fait que la détérioration favorise la circulation. « Plus les microtubules sont utilisés, plus ils sont utilisables. Aucun matériau passif ne se comporte comme ça. Cela reste à démontrer, mais nous pensons que ce mécanisme pourrait définir des axes préférentiels qui correspondent aux besoins du système. Une route neuve attire plus de voitures et devient une autoroute, alors que pendant ce temps les routes de campagne sont peu empruntées et s’abîment, ce qui les rend moins praticables… » La démonstration est en cours.

Carsten Janke reste impressionné par ces découvertes. « La vie est dynamique jusqu’au niveau moléculaire. Rien n’est figé. C’est fascinant. »


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