jeudi 14 janvier 2021

« Les cheveux, c’est l’une des premières choses que l’on voit et c’est encore plus vrai avec le masque »

A la tête de deux salons de coiffure parisiens, Delphine Courteille coiffe anonymes et personnalités de la mode et du cinéma. La crise sanitaire l’a poussée à être plus présente sur les réseaux sociaux, avec des live réguliers sur Instagram. 

Par    Publié le 16 janvier 2021


Delphine Courteille, directrice de salons de coiffure.

Jamais on n’avait autant parlé de cheveux que depuis le premier confinement et la fermeture brutale des salons de coiffure, fréquentés chaque jour par un million de clients soudainement livrés aux caprices de leur chevelure. Mal vécue par de nombreux Français, cette crise capillaire a eu le mérite de redorer l’image d’une profession trop souvent dévalorisée. « Les cheveux, c’est l’une des premières choses que l’on voit et c’est encore plus vrai avec le port du masque », constate Delphine Courteille, formée il y a vingt-cinq ans par Charlie, coiffeuse superstar de la décennie 1990.

Dans son ravissant salon du quartier des Tuileries, à Paris, Delphine Courteille reçoit aujourd’hui une clientèle fidèle d’anonymes et de personnalités de la mode et du cinéma, dont Inès de La Fressange, Nathalie Rykiel ou Sofia Coppola. « Avec le confinement, on s’est rendu compte de notre savoir-faire et de notre utilité. Vouloir être bien coiffé n’est pas quelque chose de futile, c’est important pour l’estime de soi, la relation aux autres. »

« J’ai fait la psy aussi, beaucoup de personnes allaient très mal et l’état de leurs cheveux cristallisait leur mal-être. »

La reconnaissance fait certes chaud au cœur, mais elle ne paie pas les factures. « Mes sept salariés ont été mis au chômage, mais moi, en tant que patronne, si je ne travaille pas, je ne gagne rien. Je n’ai pas d’actionnaire mais deux salons dont je dois acquitter les loyers. Mes propriétaires sont de gentilles retraitées qui ne peuvent pas m’en faire cadeau… » Rue du Mont-Thabor, Delphine est installée aujourd’hui au numéro 28, mais elle a gardé son précédent salon, situé un peu plus loin, au 34, pour y proposer bientôt une offre de soins et de coloration végétaux (la réouverture est prévue en mai prochain).

Clientèle Instagram

Le 17 mars 2020, comme l’ensemble de sa confrérie, la coiffeuse a posé ciseaux et séchoirs mais n’a pas vraiment soufflé. Avides de conseils, beaucoup de femmes – et pas seulement ses clientes – ont alimenté en continu sa messagerie Instagram et la boîte e-mail du salon. « J’ai fait la psy aussi, beaucoup de personnes allaient très mal et l’état de leurs cheveux cristallisait leur mal-être », confie-t-elle.

Poussée par son amie, la journaliste Sophie Fontanel – rompue à l’exercice des réseaux sociaux avec les 230 000 abonnés qui suivent quotidiennement ses leçons de style –, la discrète Delphine Courteille s’est lancée dans des live Instagram. Elle a aussi tenu à répondre à un maximum de messages privés, allant jusqu’à guider les femmes dans les rayons coiffure de la grande distribution.

« Avec ses kits de coloration, Garnier a probablement fait de très bons chiffres pendant cette période… », ironise la cheffe d’entreprise, qui a craint de ne jamais voir revenir ses clientes. La réalité fut tout autre : elle a même gagné une nouvelle clientèle drainée par Instagram. De quoi compenser la baisse de fréquentation d’une partie des clientes habituelles, plus prompte à réclamer des coupes et des couleurs « vieillissant bien » pour pouvoir tenir en cas d’autres confinements… et limiter leurs dépenses.

Consultations vidéo et click and collect

Entre deux vidéos, pendant le premier confinement, Delphine Courteille a préparé la réouverture de son salon, guidée par un protocole sanitaire ultra-strict : une série de mesures détaillées sur pas moins de 80 pages. « Vu tout ce que nous avons dû mettre en place pour sécuriser le parcours, ça ne s’est pas fait sans surcoût »,insiste la coiffeuse, qui reconnaît avoir la chance de posséder des locaux spacieux adaptés à la distanciation sociale. Ainsi, la zone consacrée au shampooing est aménagée depuis l’ouverture du lieu comme la cabine affaires d’un avion : « Je déteste l’idée qu’un client qui cherche à se relaxer au bac soit gêné par un voisin qui raconte sa vie ».

Delphine Courteille est installée au 28, rue du Mont-Thabor (ici), à Paris, mais a conservé son précédent salon, situé au 34.

Mais les salons ont dû de nouveau baisser le rideau le 1er novembre 2020 pour un deuxième confinement, heureusement plus souple. Les activités des coiffeurs de studio ont cependant pu se poursuivre : « J’ai toujours pensé que continuer à travailler sur des tournages, des défilés ou d’accompagner des célébrités en promotion était une façon de nourrir mon travail mais aussi d’assurer mes arrières. »

La chute du chiffre d’affaires de l’année 2020 ne sera malgré tout pas compensée par ces missions, qui se sont de toute façon elles aussi raréfiées avec la pandémie. Quant aux défilés, c’est la première fois, après seize ans à collaborer avec des maisons de mode (Rabih Kayrouz, Lanvin, Bouchra Jarrar, ou autrefois Sonia Rykiel…), que Delphine Courteille n’a pas travaillé. A défaut, elle a poursuivi ses live Instagram chaque mercredi, avant de passer au rythme de deux fois par mois depuis la réouverture des commerces « non essentiels », fin novembre.

Professionnalisant l’expérience, elle a aussi mis en place des consultations vidéo, payantes, pour les femmes qui habitent loin de Paris et souhaitent profiter de son expertise. Et, comme beaucoup, elle a instauré un système de click and collect pour maintenir son chiffre d’affaires et, surtout, permettre à sa clientèle de récupérer ses colorations sur-mesure, une façon d’éviter « les catastrophes capillaires du premier confinement ».

Une ligne de produits capillaires

Ces initiatives sont venues s’inscrire dans un quotidien déjà lourd. « Aujourd’hui, un coiffeur doit être sur tous les fronts s’il ne veut pas couler. Etre bon ne suffit plus, il y a trop de concurrence. Il faut aussi être un excellent gestionnaire et en même temps hyperactif sur les réseaux sociaux, savoir se démarquer, créer de la nouveauté, former, dynamiser et fidéliser son personnel, tout en cherchant à évoluer pour faire toujours mieux… Car le plus petit faux pas est relayé sur les réseaux : on est mal noté, sanctionné à la moindre faiblesse, c’est devenu très dur ; il faut avoir les nerfs solides… », constate l’entrepreneuse, qui a reçu en 2017 la médaille de Chevalier de l’ordre du Mérite.

Des produits de la marque de soins capillaires de Delphine Courteille.

A l’inquiétude des derniers mois s’est ajoutée celle du lancement, début novembre, de sa propre marque de produits, sur laquelle elle travaille depuis quatre ans. « Je voulais créer des soins capillaires pour accompagner mes clientes au quotidien. J’ai mis beaucoup de temps à obtenir des formules naturelles qui donnent de la brillance. Ces dernières années, où j’ai aussi effectué énormément de travaux dans mon salon actuel, ont été une période de gros investissements. J’ai eu très peur que la crise annule tous ces efforts et que mes produits ne voient jamais le jour… »

La première production, réduite par prudence, devrait bientôt être écoulée, et l’accueil très positif de la clientèle s’avère encourageant. Une éclaircie qui fait dire à Delphine Courteille qu’il faut réussir à tenir, coûte que coûte.


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