mercredi 6 janvier 2021

Le religieux à l'école, entre contestations des élèves et autocensure des profs

Par Elsa Maudet — 6 janvier 2021

Une salle de classe du lycée de Bréquigny à Rennes, Ille-et-Vilaine, le 1er septembre 2020.

Une salle de classe du lycée de Bréquigny à Rennes, Ille-et-Vilaine, le 1er septembre 2020. Photo Damien Meyer. AFP

Une enquête de l'Ifop baptisée «Observatoire des enseignants» met en lumière la hausse des contestations des enseignements pour motif religieux.

Contestations de la laïcité, autocensure, séparatisme religieux : quelques semaines après l’assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), et six ans après l’attentat de Charlie Hebdo, l’Ifop publie ce mercredi une enquête pour l’hebdomadaire satirique et la Fondation Jean-Jaurès sur l’expérience et le ressenti des enseignants des premier et second degrés sur ces sujets (1).

De laquelle il ressort notamment que quatre enseignants sur dix se sont déjà autocensurés sur des questions de religion afin d’éviter de possibles incidents avec des élèves. Ils sont même 49% dans le secondaire (collèges et lycées) public, un chiffre en hausse de 13 points par rapport à une enquête Ifop-Cnal (Comité national d’action laïque) de 2018. Le phénomène est plus marqué chez les jeunes enseignants, puisqu’il touche 68% des moins de 30 ans.

Un peu plus de la moitié des profs (53%) ont déjà vu, au cours de leur carrière, leurs enseignements contestés au nom de la religion. Les cours de sport arrivent en tête : les enseignants signalant des contestations pour motif religieux disent à 49% que cela a eu lieu lors de séances d’éducation physique, un chiffre en hausse de 14 points par rapport à 2018.

Piscine buissonnière

L’enquête ne précise pas les motifs des contestations, mais l’Ifop suggère de regarder du côté des séances de natation : 45% des enseignants affirment que des jeunes filles n’y ont pas pris part. Sous-entendu pour motif religieux, même si la chose est difficile à étayer et que des adolescentes pratiquent aussi la piscine buissonnière pour cause de menstruations ou de complexes.

Si les contestations ont baissé en histoire-géographie (34%, -4 points par rapport à 2018), elles ont augmenté dans les cours abordant la laïcité (32%, +12 points), dans l’enseignement moral et civique (29%, +10 points) et en sciences (29%, +6 points). Dans une note analysant l’étude de l’Ifop, Iannis Roder, prof d’histoire-géo et directeur de l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean-Jaurès, note «qu’il s’agit ici d’enseignements qui peuvent heurter de front des visions absolutistes de la religion, c’est-à-dire non négociables car faisant partie intégrante des pratiques ou de la vision du monde, qu’il s’agisse de la visibilité partielle du corps à la piscine, de la laïcité et des valeurs républicaines ou encore des questions liées au darwinisme ou à la création du monde».

Six profs sur dix (59%) affirment que, dans leur établissement actuel, des élèves ont fait preuve d’au moins une forme de «séparatisme religieux». Une expression forte qui recouvre des réalités différentes, allant de l’absence pour exercer un culte ou célébrer une fête religieuse (42%) à l’organisation des tables en fonction de la religion des élèves à la cantine (4%), en passant par le refus d’entrer dans un lieu à caractère religieux lors d’une sortie scolaire (12%) ou la contestation du repas de Noël ou de la galette des rois pour leur caractère chrétien (10%).

Iannis Roder, coauteur en 2002 des Territoires perdus de la République, ouvrage collectif dénonçant l’antisémitisme, le racisme et le sexisme à l’œuvre dans le milieu scolaire, juge ainsi que les profs sont «sous la pression de la religion», assurant qu'«être enseignant aujourd’hui demande donc d’intégrer cette éventualité d’être un jour amené à faire face à des remarques voire à des revendications d’ordre religieux».

Tous les territoires concernés

Enfin, lors des hommages à Samuel Paty, tué pour avoir montré des caricatures du prophète Mohamed à ses élèves, un prof sur cinq (19%) affirme avoir constaté au moins une forme de contestation ou de désapprobation (34% en réseau d’éducation prioritaire).

«Tous les territoires semblent aujourd’hui concernés par ces formes de contestation [basées sur la religion] : écoles, collèges et lycées, territoires urbains et ruraux, et ce quelle que soit la région, indique Iannis Roder. Néanmoins, si les revendications liées aux questions religieuses tendent ainsi à se manifester aujourd’hui sur l’ensemble du territoire, les problèmes se révèlent avec une plus grande acuité encore dans les banlieues populaires, les établissements classés en REP (réseaux d’éducation prioritaire) et certains grands espaces régionaux comme l’Ile-de-France et le Sud-Est.»

La contestation de l’école publique par des groupes religieux n’est pas neuve, rappelait l’historien de la laïcité Ismail Ferhat à Libérationen octobre dernier, mais difficile de savoir si le phénomène s’amplifie, faute de données chiffrées objectives. Le compte des «atteintes à la laïcité» effectué par le ministère de l’Education nationale, par exemple, est contesté.

L’Ifop, Charlie Hebdo et la Fondation Jean-Jaurès sortiront deux autres volets de cette enquête baptisée «Observatoire des enseignants», d’ici au mois de mars. Le deuxième sera consacré au moral des profs et aux conditions d’exercice de leur travail, le troisième à leurs opinions quant à la place de la laïcité et de la religion dans l’enceinte scolaire. De quoi mettre en lumière les différences de perception sur ce sujet hautement inflammable.

(1) Etude Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et Charlie Hebdo, réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 10 au 17 décembre 2020 auprès d’un échantillon de 801 personnes, représentatif des enseignants des premier et second degrés en France métropolitaine.


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