jeudi 28 janvier 2021

La sorcière, de créature maléfique à icône féministe


 



Par     Publié le 26 janvier 2021

Après avoir été persécutée pendant des siècles, celle « qui dit des sorts » – du mot latin « sors » désignant les sortilèges – incarne, sur les réseaux sociaux, la lutte contre le patriarcat et séduit les adeptes du développement personnel.

Elles sont partout, les sorcières. Ici, en 2017, lors d’une manifestation contre la réforme du code du travail, un collectif de sorcières – le Witch Bloc Paname – défile en chapeaux pointus et banderoles « Macron au chaudron ». Là, elles s’activent au sein du mouvement Black Lives Matter, défendent l’environnement ou l’égalité femmes-hommes, le qualificatif de sorcière étant devenu l’étendard du féminisme postmoderne.

Sorcières ou plutôt « néosorcières ». Car, de la fin du Moyen Age au XVIIIe siècle, les premières ont fait l’objet d’une persécution si méthodique que plus aucune femme n’aurait osé revendiquer publiquement ce nom jusqu’aux années 1960. La sorcière est en effet celle « qui dit des sorts » – le mot vient du latin sors désignant la divination ou les sortilèges. Mais si l’imaginaire collectif les a dépeintes comme de vieilles femmes terrifiantes au nez crochu, affairées autour de chaudrons fumant d’un liquide visqueux ou fendant les airs avec leur balai magique, la réalité est beaucoup plus prosaïque.

Mises en marge d’une société dont elles n’épousaient pas les codes, marginales, elles représentaient un danger pour l’ordre social et moral

Sous l’Ancien Régime, celles que l’on affuble du titre de « sorcière » sont en réalité, pour la plupart, « des femmes illettrées » et rurales, explique l’historien Robert Muchembled, auteur de La Sorcière au village (Gallimard, 1991). « Elles n’étaient pas révoltées contre la religion », mais souvent mises en marge d’une société dont elles n’épousaient pas les codes, vivant dans une forme de marginalité, et représentaient donc un danger pour l’ordre social et moral. Détentrices d’un savoir occulte qui se transmettait de femme en femme – et qui concernait essentiellement la fertilité, les accouchements, la pharmacopée des plantes –, ces « bonnes femmes » « sont accusées d’avoir vendu leur âme au Diable » en échange de ces connaissances, poursuit l’historien.

Si le Moyen Age se montre relativement peu coercitif face à celles qui ne font que perpétuer des traditions issues du paganisme antique, un net raidissement se fait sentir à la fin de la période après la parution du Malleus maleficarum (« Le Marteau des sorcières »), publié en 1486 par Henry Institoris et Jacques Sprenger, deux inquisiteurs dominicains.

Et c’est « en pleine Renaissance, à partir de 1560, que la chasse aux sorcières explose, dans l’un des temps les plus antiféministes qui ait jamais existé dans le monde occidental », relève Robert Muchembled. Des dizaines de milliers de femmes vont ainsi finir sur les bûchers – on estime entre 50 000 et 100 000 le nombre des victimes, sachant que 80 % des sorciers jugés sont… des sorcières.

Réhabilitation

Si Louis XIV publie, en 1682, un édit interdisant de condamner à mort les prétendues sorcières, les persécutions subsistent, souvent aux allures de règlement de comptes. A une époque où bien des phénomènes (maladies, décès, épidémies) restent inexpliqués, ces boucs émissaires catalysent la fureur. En 1850, une femme accusée de pactiser avec le Malin est ainsi jetée dans un four à Camalès (Hautes-Pyrénées).

Mais la réhabilitation des guérisseuses ne va plus tarder. En 1862, Jules Michelet publie La Sorcière, « hommage vibrant à l’insoumission de la femme », écrit l’essayiste Jean-Philippe de Tonnac, qui préface et commente une réédition de ce livre que l’historien voyait comme un « hymne à la femme, bienfaisante et victime » (Véga, 2020).

Les sorcières continuent de pratiquer leur art sous le manteau, en particulier dans des régions rurales comme la Mayenne, étudiée par l’anthropologue Jeanne Favret-Saada dans les années 1970.

Au même moment, dans les pays anglo-saxons, la sorcellerie connaît un étonnant revival avec la Wicca, mouvement spirituel dont le nom dérive du vieil anglais wiccian, « ensorceler », et qui entend ressusciter le paganisme préchrétien. Portée par la contre-culture américaine, la Wicca devient un phénomène de société. Selon sa figure de proue, l’activiste Starhawk, « se définir comme sorcière, c’est affirmer le droit des femmes à être puissantes et dangereuses en en faisant des héritières des guérisseuses, des sages-femmes et de toutes les formes de savoir non approuvées par les autorités »« Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler », dit un slogan de l’époque.

Une forme de réenchantement

Ce slogan s’exporte : en France, les petites-filles de Carabosse clament haut et fort ce titre. Xavière Gauthier fonde la revue Sorcières, éditée de 1975 à 1982. Plus récemment, la journaliste Mona Chollet publie Sorcières. La puissance invaincue des femmes(La Découverte, 2018), brillant essai qui montre comment ce qualificatif humiliant est devenu un symbole de la lutte contre le patriarcat.

Cette vogue s’explique aussi par le besoin de distiller une forme de réenchantement dans nos sociétés en quête de sens. La sorcière est maintenant la coqueluche de femmes qui, d’Instagram à TikTok, revendiquent la reconquête de leur « puissance personnelle » ou de leur « féminin sacré ».

Un symbole peu à peu galvaudé, néanmoins. Car la sorcière s’est muée en un concept juteux dans lequel se sont engouffrés nombre d’éditeurs ou d’organisateurs de stages de développement personnel – quitte à transformer les guérisseuses d’autrefois en ersatz de sorcières égocentriques. Pendant ce temps, de l’Inde au Népal, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée au Cameroun, loin des effets de mode propres à l’Occident, on continue à lyncher des femmes accusées de sorcellerie.


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