jeudi 7 janvier 2021

Gare à «l'état de connexion perpétuelle»


 


Par Charles Delouche-Bertolasi — 8 janvier 2021

Journée de la presse en ligne, en novembre 2014 à Paris.

Journée de la presse en ligne, en novembre 2014 à Paris. Albert Facelly pour Libération

La pandémie a accru notre usage des objets connectés. Une étude britannique pointe l'impact de l'omniprésence en matière de stress.

«Restez connectés», «Gardez le contact», «Surfez toujours plus vite». Du fournisseur internet aux constructeurs de voitures nouvelle génération, en passant par les applications de développement personnel, la liste des arguments pour adopter un mode de vie ultraconnecté ne cesse de s’étendre au fil des années et des campagnes de pub.

Une étude publiée le 30 décembre dans la revue Human Communication Research, éditée par la prestigieuse université anglaise d’Oxford, s’est intéressée à près de 1 800 personnes et à leur manière de vivre dans ce monde omninumérique. Ses résultats démontrent un lien important entre la façon dont les personnes interrogées organisent leur vie en ligne et leur stress ressenti au quotidien.

Elle pointe en particulier le rôle joué par le phénomène d'«online vigilance», comprendre «vigilance connectée», le fait de penser constamment à Internet et aux réseaux sociaux, de guetter le moindre mail, de réagir à chaque notification ou de constamment rafraîchir son fil Instagram ou Twitter. Plus encore que la quantité de sollicitations, c’est «l’état perpétuel de connexion»qui est en cause dans le stress et «les effets négatifs» sur l’attention, soulignent les chercheurs.

Pour Valentin Flaudias, psychologue et docteur en neurosciences au CHU de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), «le fait d’être passé au numérique pour tous les aspects de la vie encourage cette hyperconnexion. Lorsqu’on est surstimulé, on est obligé d’apprendre à traiter plus d’informations en même temps. On passe moins de temps sur un cas unique, on en étudie plusieurs. Ce sont deux compétences différentes du cerveau». Le psychologue rappelle que le cerveau n’est pas immuable et qu’il s’adapte à son environnement et à son mode «automatique» imposé par cette vie connectée.

«Pour nous faire rester le plus longtemps possible sur les réseaux sociaux, ce qui est l’objectif des leaders du numérique, du marketing et des médias, la clef est de procurer des émotions, détaille-t-il. Plus on en procure, plus le cerveau doit les gérer et c’est extrêmement énergivore.»

«L’hyperconnexion peut conduire à des usages problématiques d’Internet»

Aujourd’hui, 92% des foyers ont une connexion internet en France, qui compte 53,1 millions d’internautes mensuels. Près de 6 Français sur 10 se connectent chaque jour sur les réseaux sociaux et les messageries instantanées. Le site de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) rappelle que les usages se concentrent majoritairement sur le smartphone, rendant ainsi plus facile la connexion perpétuelle, «en tout lieu et à tout moment de la journée». Et précise : «Pour les enfants et les adolescents, le temps passé devant un écran peut empiéter sur des apprentissages essentiels à leur développement physique, psychique et social. Un usage excessif peut avoir des conséquences sur le développement du cerveau des enfants, leur apprentissage des compétences fondamentales et leur capacité d’attention.»

La Mildeca rappelle que l’usage des écrans a augmenté de manière sensible pendant la crise sanitaire. Et parmi ceux qui ont augmenté leur temps d’usage, 15,3% ont peiné à garder le contrôle pendant le confinement. «L’hyperconnexion peut conduire à des usages problématiques d’Internet. Il s’agit d’une utilisation compulsive et excessive qui affecte différents pans de la vie quotidienne. Il n’y a plus de régulation de ses activités sur Internet, ce qui provoque de la culpabilité, des conflits dans le couple et la famille, et également des conflits au niveau scolaire et professionnel», analyse Séverine Erhel, maître de conférences en psychologie cognitive et ergonomie à l’Université Rennes-II.

«Ces usages problématiques s’expliquent par une forme de "coping" dysfonctionnel, qui est une stratégie de gestion du stress, complète la chercheuse.Au lieu de se centrer sur le problème à résoudre ou sur la régulation de ses émotions, des individus vont développer des usages problématiques comme une stratégie d’évitement, les poussant à se réfugier dans le numérique afin de gérer certains aspects difficiles de leur vie quotidienne.»

«Il nous faut réapprendre à nous servir des objets connectés»

Le phénomène n’est pas nouveau. En 2018, une étude menée par la Fondation April, spécialisée dans les enjeux sociétaux en matière de santé, et l’institut de sondage BVA montrait que 72% des Français interrogés pensaient qu’il serait bénéfique pour leur santé et leur bien-être de limiter leur temps de connexion sur les écrans. Mais dans le même temps, 7 Français sur 10 se disent incapables de se passer d’outils connectés plus d’une journée. «Plusieurs facteurs peuvent intervenir dans l’hyperconnexion. Il n’y a pas de déterminisme technologique,assure Séverine Erhel. Ce phénomène est lié à des facteurs biologiques, psychologiques comme l’anxiété, socioéconomique, et, on peut en convenir, un peu technologiques avec le rôle joué par les algorithmes.» Dans ses recommandations du 25 avril 2019, l’OMS a rappelé les effets nocifs d’une exposition prolongée sur la santé et a préconisé d’interdire tout écran avant l’âge de 2 ans.

Le sondage BVA pointait également le fait que les personnes interrogées étaient majoritairement défavorables aux restrictions de mails et à la déconnexion forcée. «Notre vie s’est construite autour de ces accessoires connectés. Si on s’en sert, c’est qu’il y a une utilité. Mais nous sommes arrivés à un tel niveau de sollicitation qu’il nous faut réapprendre à nous en servir, explique Valentin Flaudias. Des journées sans téléphone ou sans autres outils permettent de nous rappeler qu’il faut qu’on en soit maître et non esclave.»

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