vendredi 8 janvier 2021

Euthanasie : les malades demandent à avoir le choix






Publié le 7 janvier 2021

Véronique D’Hondt, spécialiste des cancers, rappelle, dans que l’exercice de la médecine, qu’elle soit curative ou palliative, requiert, pour l’essentiel, humilité, tolérance, et disponibilité.

 Tribune. Le débat autour de la mort assistée tient aux conditions parfois très pénibles de souffrance physique et/ou psychique en fin de vie, qui se prolongent, sans que le malade y trouve sens, au point qu’il demande d’y mettre fin. La question n’est pas celle de la mort, inéluctable, mais celle de décider comment on voudrait terminer sa vie, ce qui peut paraître identique à mourir mais ne l’est pas.

Il n’est pas naturel de décider du moment, ni de la façon dont on va mourir et c’est probablement la seule façon de vivre sans être obnubilé par la mort. Pour celui dont la mort, suite à une maladie incurable, est si proche qu’il n’est plus possible de l’éviter, la situation est toute autre. Le plus souvent, les conditions de fin de vie, même douloureuses, sont supportables, et la demande peut même être de prolonger la vie à tout prix. D’autres fois cependant, la fin de vie s’accompagne d’une souffrance telle que le malade demande à écourter sa vie.

Décider pour soi-même

Pour le malade qui souhaite une aide active à mourir, la demande est celle de vivre le dernier acte de sa vie conformément à ce qu’il a vécu, en tant qu’acteur doté d’un certain degré de liberté, selon l’idée qu’il se fait de sa dignité. Voilà ce qui guide la démarche : la dignité. Le premier article de la Déclaration des droits de l’homme décrète que « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Cette valeur intrinsèque de l’être humain, qui impose le respect, qui le différencie de l’animal ; cette valeur inaliénable qui en fait un sujet et non plus un objet. Ce mot englobe une liberté, des choix, un certain degré d’autonomie. Chacun en a une représentation et la définition est plurielle selon les cultures, les époques, les individus mais elle englobe tout cela.

Le malade souhaite décider, pour lui-même, jusqu’où la vie en vaut encore la peine, jusqu’où elle contient suffisamment d’humanité pour garder du sens. La perte de dignité sera parfois la dépendance extrême pour tous les gestes de la vie jusqu’aux besoins vitaux que sont l’alimentation, l’élimination intestinale, ou encore l’intolérance à la douleur. Le plus souvent ces situations sont très intriquées et souffrances physique et psychique sont mêlées.

Accompagnement

Dans certains pays, l’euthanasie ou le suicide assisté sont légalisés et cette aide active à abréger la vie est alors apportée par le médecin qui vérifie au préalable que le cadre légal de cette démarche soit bien respecté, à savoir une situation médicale sans issue, qui résulte d’une affection grave et incurable et provoque une souffrance physique et/ou psychique insurmontable.

Si l’on veut aborder le point de vue du médecin face à cette situation, il s’agit probablement de l’acte le moins anodin que l’on puisse avoir à réaliser. D’ailleurs est-ce vraiment un acte médical ? Il va même à contresens des actes de soins qui visent à promouvoir la vie. Il s’agit de l’accompagnement, sans défection, dans les derniers moments de vie de celui que l’on a soutenu dans son combat préalable contre la maladie et que l’on n’abandonnera pas au moment où la médecine n’a plus rien à offrir pour le contrôle de cette maladie. C’est le moment où le médecin se rend disponible pour respecter le choix du malade, où il décide de ne pas esquiver, de ne pas fuir, de poursuivre la rencontre et l’accompagnement… jusqu’au bout.

Cette pratique reste rare lorsqu’elle est disponible. En Belgique par exemple, en 2018, environ 5 % des décès par cancer étaient liés à une euthanasie (1 522 pour 29 617 décès par cancer), ce qui signifie surtout que dans 95 % des cas, les malades atteints de cancer sont décédés sans recourir à cette procédure. L’aide à mourir répond à des situations non contrôlées, à des impasses qui sont somme toute rares heureusement.

Les témoignages de malades allés hors de France pour obtenir une euthanasie ou un suicide assisté insistent sur la liberté de pouvoir choisir. Anne Bert, euthanasiée en Belgique à 59 ans suite à une sclérose en plaques, écrivait : « Quand il n’y a plus aucun espoir, demander à bénéficier de soins palliatifs ou demander à bénéficier d’une aide active à mourir doivent coexister et cohabiter. »

Courage et lucidité des malades

Pour avoir accompagné et aidé à plusieurs reprises des malades dans cette démarche, j’ai à chaque fois ressenti énormément d’humanité, de dignité dans la démarche elle-même. J’ai été impressionnée par le courage et la lucidité des malades qui la demandaient. Ce n’était pas facile pour eux et ils m’ont chaque fois remerciée de réaliser cet acte dont ils imaginaient la difficulté pour moi aussi. Si je me retrouvais un jour dans pareille situation, que je ne peux imaginer aujourd’hui – car nous pourrions, tous, être un jour ce malade en détresse –, je souhaiterais qu’une démarche de ce type soit légale et disponible en France et si ce n’était pas le cas, j’irais probablement la demander là où on peut me l’accorder.

Ce débat demande à être abordé avec humilité, avec tolérance et en acceptant la charge émotionnelle et la disponibilité qu’il requiert. Avec humilité car nous sommes, nous soignants, redevables aux malades. Ce métier nous demande de nous placer au même niveau d’humanité que ceux que l’on soigne, de descendre de ce piédestal où nous siégeons trop souvent. Avec tolérance car comment accepter cette demande si l’on ne remet pas la parole du malade au centre du débat. Avec le courage et la disponibilité nécessaires pour assumer cette charge émotionnelle intense d’un accompagnement au-delà du soin, qui ne laisse pas indemne.

Humilité, tolérance, disponibilité… qualités si précieuses à l’exercice de la médecine qu’elle soit curative et/ou palliative. Hippocrate résumait ainsi la complexité de la vie et du soin : « La vie est courte, l’art est long, l’occasion fugitive, l’expérience trompeuse, le jugement difficile. »

Véronique D’Hondt est oncologue médicale (UCL et ULB en Belgique jusqu’en 2012 et, depuis, à l’institut régional du cancer de Montpellier, ICM).






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