mercredi 6 janvier 2021

Cinq livres pour éveiller les jeunes lecteurs à la poésie

Des haïkus pour bébés, des vers libres et drôlement décalés, un répertoire classique pour se bercer, des propositions ouvertes à toutes les interprétations… Florilège d’ouvrages joliment illustrés pour découvrir la diversité des poèmes. 

Par  et 

Publié le 03 janvier 2021  

Désaxez-vous

Extrait de « 33 poèmes et demi », de Julien Baer et Laurent Moreau.

A ceux qui auraient du mal à définir la poésie à leurs enfants – voire à ceux qui auraient du mal avec la poésie tout court –, ce livre est la solution. Car la réponse est dans chacun de ces courts textes, illustrés par des dessins limpides au crayon noir. La poésie, c’est sortir de l’axe. Le monde, très légèrement décalé, apparaît soudain dans toute sa vérité. Et les poèmes de Julien Baer, en vers libres, sont drôlement désaxés. Il suggère par exemple le port de la grenouillère à « l’homme d’affaires occupé », à « la mère un peu dépassée » et « pour les soirs de première ». Mais « pour les enfants en poussette, la turbulette ». Cela n’a l’air de rien, mais si l’image suscite le rire (surtout accompagnée du dessin d’un homme pressé, attaché-case à la main, en combinaison à pois), c’est parce qu’elle fait naître une question : et pourquoi pas ? Pourquoi s’embarrasse-t-on de costumes, de cravates et de talons ? Serions-nous les mêmes en grenouillère ? Pas plus à 60 ans qu’à 7, il n’est aisé de répondre à cette question.

« 33 poèmes et demi », de Julien Baer et Laurent Moreau. Hélium, 80 pages. Dès 7 ans.

Souris militante

Extrait de « Domino », d’Eva Offredo.

Quelque part entre Oslo et Bamako, sur une île au milieu de l’eau, habite la souris Domino. Elle répare des vélos, mange des légumes bio, apprécie le chou romanesco et les poireaux sauce mayo. Mais l’époque est dingo, les saisons partent en méli-mélo (à cause du réchauffement climatique) et « Domino ne peut pas rester là sans rien faire à attendre la fin des haricots ». C’est un drôle d’ouvrage que l’on tient là, un long poème tout en « o », aux illustrations bleues, structurées par des formes géométriques. Il commence de manière un peu perchée, en décrivant l’île où on trouve des « esquimaux-choco », puis prend une tournure écolo-militante que l’on n’avait pas vue venir, tutoie le roman d’aventure en s’envolant dans l’espace et finit sur une note romantique. Ces péripéties un peu désordonnées offrent la possibilité de lire et relire cette épopée foisonnante sans se lasser. En bonus, à la fin du livre, un lexique des mots en « o » que le jeune lecteur est susceptible de ne pas connaître.

« Domino », d’Eva Offredo. La Joie de lire, 40 pages. Dès 5 ans.

La versification version nourrisson

Extrait de « Poèmes pour bébé - haïkus d’automne », de Thierry Dedieu.

Voilà un album pour les moins de 3 ans qui change des livres musicaux (que les parents apprécient particulièrement le jour où les piles tombent à plat…). Très grand – 38 cm de haut, 28 cm de large – , il déploie des doubles pages aux larges illustrations en noir et blanc, pour s’adapter à la vision contrastée du bébé. Les mots s’ajustent aussi aux nouveau-nés qui, à défaut de comprendre leur sens, sont sensibles à leur musicalité. « Début d’automne, elles font leur valise, les grandes grues grises »,racontent les premières pages, dans lesquelles un oiseau immense déploie ses ailes si amples qu’elles ne rentrent pas dans l’espace imparti. « Les feuilles tombent, mais si on leur demande, elles disent : nous volons ! » Lesdites feuilles ont des formes ambiguës, elles pourraient tout autant représenter la gueule d’un chien, une queue de reptile, un volcan en explosion. Tout cela est aussi simple que beau.

« Poèmes pour bébé - haïkus d’automne », de Thierry Dedieu. Seuil, 12 pages. Pour les 0-3 ans.

Une anthologie au jour le jour

Extrait d’« Une année en poésie », une sélection d’Emmanuelle Leroyer. Illustré par Frann Preston-Gannon.

Pas d’initiation à la poésie chez les petits sans une anthologie qui baguenaude à travers les époques et les continents. Ce florilège-ci a été conçu sur le principe de l’éphéméride : à chaque jour de l’année, un poème. On veillera bien, du coup, à suivre la posologie recommandée d’un seul ou deux textes à chaque fois, afin d’éviter la surdose. Proposée par Emmanuelle Leroyer, la sélection de 365 textes n’omet ni les « grands » (Verlaine, Rimbaud, Hugo, Lamartine…) ni les célébrités des cahiers d’écolier (Desnos, Prévert, Carême…), sans oublier d’offrir des poèmes traduits du russe ou du bengali. Les images de l’illustratrice britannique Frann Preston-Gannon offrent ce qu’il faut de délicatesse à un ensemble par ailleurs enrichi de textes spécialement créés pour l’occasion. On retiendra, (presque) au hasard, celui-ci de la grande poétesse contemporaine Valérie Rouzeau, intitulé Pic : « Tam tam tam tam toc toc toc toc/Toc toc toc toc tam tam tam tam/Pas de colle et très peu de grammes/Libre et léger/Pic tambourine ! »

« Une année en poésie », une sélection d’Emmanuelle Leroyer. Illustré par Frann Preston-Gannon. Gallimard, 336 p. Pour les 4-7 ans.

La vie mode d’emploi

Extrait de « Peut-être », de Martine Delerm.

C’est un petit format qui peut atterrir dans toutes les mains. Peu de texte, une phrase par double page, pas de ponctuation, une répétition du « peut-être » qui berce la lecture. Beaucoup de blanc, des aquarelles douces où revient sans cesse cette femme – à moins qu’il ne s’agisse d’une jeune fille ou d’une enfant, les illustrations sont suffisamment imprécises pour laisser libre cours à l’interprétation. « Peut-être faudrait-il dessiner. Peut-être laisser s’égoutter les chagrins, laisser s’envoler les regrets. » Chaque proposition est illustrée par une mise en situation : le personnage féminin contemple son matériel de peinture, regarde ses pinceaux d’où s’échappent de grosses gouttes, laisse ses feuilles partir dans le vent. Enfants et adultes ne saisiront sans doute pas le même sens : les plus jeunes apprécieront un ouvrage léger et ésotérique ; les anciens y verront un mode d’emploi convaincant pour résister à une époque peu conciliante. « Peut-être tenir le monde à distance. Peut-être ne pas sortir. Devenir son propre espace. (...) Peut-être endimancher la semaine. » 

« Peut-être », de Martine Delerm. Seuil Jeunesse, 72 pages. Tout public.



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