vendredi 1 janvier 2021

Au lit, les hommes aussi font leur âge

Le mythe d’une éternelle jeunesse sexuelle flatte l’ego masculin, mais invisibilise les effets du vieillissement et de l’andropause, laquelle débute dès 40 ans, nous explique la chroniqueuse de La Matinale Maïa Mazaurette, qui observe que tout se passe comme si seules les femmes subissaient les assauts du temps.

Publié le 2 janvier 2021


LE SEXE SELON MAÏA

Après 50 ans, un tiers des hommes ont régulièrement des problèmes d’érection. Après 60 ans, 41 % ont des complexes concernant la fermeté de leur sexe. Après 70 ans, 29 % recourent à des médicaments pour améliorer leurs performances (enquête IFOP/Charles.co, 2019).

Au cas où le message resterait cryptique, je vais clarifier : les hommes vieillissent sexuellement, et, comme le veut la formule, cette vieillesse est un naufrage. Ça ne signifie pas que les hommes aient une date de péremption (« à consommer de préférence avant 30 ans »). Ni même que leur sexualité devienne insatisfaisante. Mais si le cœur, les muscles et le cerveau vieillissent, alors le pénis aussi. Logique ? Certainement. Et, pourtant, le monde de la rencontre comme celui des représentations semblent ignorer ce facteur. Tout se passe comme si seules les femmes subissaient les proverbiaux assauts du temps.

Observons plutôt. En France, 46 % des femmes de plus de 50 ans n’ont plus de rapports sexuels… mais seulement 24 % des hommes du même âge (enquête IFOP/Marianne 2014). Après 40 ans, ces derniers sont plus souvent en couple que les femmes (Insee Références, 2015). Les données du site de rencontre OkCupid démontrent que les hommes vieillissent sans réellement adapter leurs recherches à leur âge : ainsi, en 2010, les hommes de 48 ans cherchaient essentiellement des femmes entre 30 et 50 ans.

Hugh Hefner et sa femme de 60 ans de moins que lui

Pas mieux du côté des représentations ! Il y a deux ans, les Décodeurs du Monde avaient mené l’enquête et concluaient que « les acteurs dépassant la cinquantaine occupent régulièrement les rôles de mari, d’amant ou de séducteur, aux côtés de femmes souvent de dix ans leur cadette ». Cette vigueur traverse la figure du « bachelor » popularisée par la télé-réalité : en anglais, on désigne ainsi un homme qui n’a jamais été marié, mais dont le statut de « vieux garçon » est présenté non comme la marque d’une inaptitude, mais comme celle d’une exigence et d’une indépendance particulièrement désirables (contrairement aux « vieilles filles », forcément désespérées, il va sans dire).

L’archétype de ce bachelor, c’est bien sûr Hugh Hefner, le fondateur de Playboy, traînant en peignoir dans sa villa de Los Angeles, entouré d’un aréopage de très jeunes femmes. Sa dernière épouse avait soixante ans de moins que lui. La légende veut que Hugh Hefner ait consommé des quantités industrielles de Viagra. En 2018, une de ses bagues en or, comportant un compartiment spécialement destiné à la petite pilule bleue, s’est vendue aux enchères pour la bagatelle de 22 400 dollars.

Même le langage entretient l’idée d’hommes éternellement jeunes : le mot « manther », équivalent masculin de « cougar », n’a jamais percé dans le vocabulaire courant (un homme qui couche avec des femmes plus jeunes n’a pas besoin de désignation particulière, c’est juste un homme). Les « vieux beaux » répondent aux « beaux restes » (sic) des femmes. Autre exemple : ceux dont les moyens leur permettent de disposer d’un pied-à-terre secret (et de quelques amantes) désignent cet espace comme une « garçonnière » – soit, littéralement, un lieu où ils redeviennent des garçons (pas encore adultes, donc sans obligations… et possiblement irresponsables).

Baisse de la libido, perte musculaire, peau sèche…

Si le double standard à l’œuvre dans les représentations et dans le langage suscite tant de polémiques, c’est parce qu’il structure les fantasmes. Nous apprenons ce qui est désirable à travers le cinéma, la musique, la littérature : reste à savoir qui dicte les règles du jeu.

La démographie des métiers de l’art devrait nous mettre la puce à l’oreille : selon le portrait-robot réalisé en 2015 par le site ActuaLitte, l’écrivain français moyen est un homme de 55 ans. Au générique des 250 films les plus regardés en 2019 aux Etats-Unis, 79 % des postes importants (au scénario, à la réalisation ou à la production) étaient occupés par des hommes. Faut-il vraiment s’étonner d’y trouver une surreprésentation d’histoires où des nymphettes se liquéfient de désir devant des protagonistes qui (au mieux) pourraient être leur père ? Ce n’est pas une question morale. Mais c’est une question politique.

Car les représentations sont descriptives… autant que prescriptives. On entend ainsi régulièrement que les hommes « se bonifient avec le temps, comme le vin » (une phrase qui, personnellement, me donne envie de dégainer mon tire-bouchon). Traduction : par une miraculeuse inversion des lois de la gravité, les effets de l’âge seraient favorables aux hommes, seulement aux hommes. Pratique ! Sans surprise, la moitié des Français et Françaises estiment que le vieillissement installe une différence de traitement entre femmes et hommes (enquête MGEN/Kantar, février 2020).

Revenons donc à nos données factuelles. Les hommes vieillissent, et pas « en bien ». Dès 30 ans, leur niveau de testostérone baisse : les fluctuations hormonales ne sont pas réservées aux femmes… les désagréments non plus. Je vous laisse vous familiariser avec la liste des symptômes associés à l’andropause (qui commence dès 40 ans) : « baisse de la libido, troubles de l’érection, prise de poids, perte musculaire, diminution de la pilosité, ostéoporose, peau sèche, transpiration excessive, bouffées de chaleur, troubles du sommeil, irritabilité, indifférence… » (cette liste ne provient pas d’une antenne féministe radicale, mais de Wikipédia, dont 90 % des contributeurs sont des hommes).

Bénédiction et malédiction à la fois

Malgré cette ribambelle de souffrances potentielles, l’andropause persiste à naviguer sous le radar médiatique. Pour la sociologue Cécile Charlap (autrice de La Fabrique de la ménopause, aux éditions du CNRS, février 2019, 272 pages), « le corps masculin est pensé avant tout comme stable et du côté de la raison, quand le corps féminin serait le lieu de la “nature”, des tourments, de l’instabilité » (propos tirés du Journal du CNRS, janvier 2020). C’est donc pour des raisons idéologiques que la catégorie andropause a « du mal à s’imposer » : la logique d’opposition systématique des sexes empêche de penser, et même d’observer leur continuité.

Pour les hommes, ce n’est pas forcément une bonne nouvelle. Chaque signe de vieillissement renvoie à leur vécu individuel – et rapidement, à leurs défaillances (« si je mangeais moins gras, si j’arrêtais de fumer, ma libido se porterait mieux »). Ils ne bénéficient ni de transferts de savoir entre pairs ni d’espaces où partager – donc relativiser – les changements de leur corps. Pour comparaison, il existe une bonne dizaine de médias français dévolus aux femmes ménopausées (le magazine SSerengo, J’ai piscine avec Simone, Les Boomeuses, No Pause…).

Voilà qui nous amène au paradoxe du jour : le mythe de l’éternelle jeunesse sexuelle des hommes est une bénédiction (elle flatte leur ego) et une malédiction (elle invisibilise les effets de l’âge, avec lesquels il faudra pourtant composer). Résumons encore : le stéréotype du « vieux beau fringant » permet aux hommes d’accéder à des femmes qu’ils seront terrifiés de ne pas pouvoir satisfaire. Ce n’est pas une fable cruelle de Noël… mais ça pourrait.


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