samedi 18 avril 2020

Dans "le monde d’après", il faudra repenser la prise en charge en santé mentale

Fichier:MARIANNE LOGO.PNG — Wikipédia

Publié le 17/04/2020




Entre un cinquième et un tiers de la population adulte souffre déjà d’une pathologie mentale. Dans la période d’épidémie et de confinement, des troubles mentaux vont se révéler chez certains de nos concitoyens. Il est temps de faire évoluer la prise en charge en santé mentale dans notre pays et repenser tout notre système de santé.

La crise sanitaire ouverte par l’irruption du coronavirus révèle cruellement les insuffisances de l’offre de soins en santé mentale en France. Le confinement décrété pour l’ensemble de la population a d’ores et déjà des conséquences pour tous les patients et ceux qui les aident et les accompagnent. Difficultés de suivi pour ceux confinés à domicile, impossibilité de recevoir des visites pour ceux suivis en établissements. Les aidants se retrouvent quant à eux trop souvent démunis, les personnels de soins subissent de leur côté la tension et la surcharge de travail liés au contexte… Sans parler de toutes les personnes qui révèlent des troubles mentaux liés au confinement et dont la prise en charge est impossible, faute de parcours de soins adaptés à cette période exceptionnelle.


Confinement : "On sent que l’isolement et le manque d’interactions commencent vraiment à se faire sentir", témoigne une psychiatre hospitalière

franceinfo:  Gaële Joly  publié le 


Psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine, Lucie Joly observe notamment un changement du profil des patients qu'elle prend en charge. Des patients angoissés ou en état de stress aigu. Une conséquence de la crise du coronavirus. 

Lucie Joly, 32 ans, est psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris (APHP). Elle fait aussi des gardes aux urgences. Mobilisée depuis le début de la crise sanitaire due au coronavirus, elle s’inquiète de l’impact du confinement sur les Français. Elle sait que pour elle, le travail ne fait que commencer.
franceinfo : est-ce que le profil et les symptômes des patients qui arrivent en psychiatrie a changé avec le confinement ?
Lucie Joly : Avec l’annonce de la prolongation du confinement, décrété par Emmanuel Macron (lundi 13 avril), on s’attend clairement à une forte augmentation de l’activité en psychiatrie. Jusque-là, on avait une baisse d’activité de 40 à 50% aux urgences, avec principalement des patients psychotiques en décompensation délirante, amenés par la police ou les pompiers et nécessitant souvent des hospitalisations sous contrainte.
Mais depuis quelques jours, on a des patients qui viennent d’eux-mêmes, trop angoissés.
Lucie Joly, psychiatre
à franceinfoLire la suite ...

Un "autre projet" pour la santé ?

  • 17 AVR. 2020
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  • BLOG : UN AUTRE PROJET POUR LA SANTÉ ?
  • Au moment même où l’on déplore la fermeture de lits dans les hôpitaux, la direction du Centre Hospitalier du Vinatier a décidé de la fermeture d’une unité supplémentaire contre l’avis des médecins en responsabilité dans ce pôle de psychiatrie. La décision tombe par courriel vendredi 10 avril, sans aucune discussion préalable avec les personnes concernées du pôle : « Cette fermeture devra être effective le vendredi 17 avril à 17h. Les services techniques procéderont ensuite à la sécurisation des locaux. » Dans une unité au 10 avril, il y a 22 patients et toute une équipe pluri-professionnelle au travail. Cette fermeture d’unité serait la 3ème sur le Vinatier au cours de cette crise, soit 80 lits fermés, plus de 10% des lits de l’établissement. 
    À Lyon, dans ce deuxième hôpital psychiatrique de France, les fermetures d’unités se sont multipliées depuis le début de la crise sanitaire. 

    D’abord il s’est agi de « se réorganiser » et nous y avons participé, comme toujours.

    La logique a été la suivante : créer des unités où les patients atteints de troubles psychiatriques et contractant le COVID pourraient être hospitalisés. Deux unités se sont d’abord transformées pour être ainsi dédiées au COVID. Le haut de notre vague a été de 15 patients hospitalisés dans ces unités. Mais la direction ne s’est pas arrêtée là. Deux autres unités se sont vidées, les patients ont été déplacés pour pouvoir accueillir de futurs patients COVID ; Au cas où.

Protection de l'enfance : «J’ai l’impression de les abandonner au pire moment»

Par Marie Piquemal Hala Kodmani et Anaïs Moran — 

Dessin Cat O’Neil


A l’ASE, les professionnels s’inquiètent des conséquences du confinement pour les enfants en foyer, dans une famille d’accueil ou avec leurs parents. Les mesures du gouvernement se mettent en place lentement, avec des disparités régionales.

«Plus les jours passent, plus les enfants sont en danger.» Sonya (1), éducatrice spécialisée dans l’Essonne pour l’Aide sociale à l’enfance (Ase), trépigne d’impuissance et d’inquiétude. D’ordinaire, elle suit à la semelle des familles aux histoires compliquées, souvent sur le fil : les enfants restent chez leurs parents, mais avec des mesures d’accompagnement imposées par le juge, pour les protéger. L’étape avant un placement, souvent. «Avec le confinement, tout s’est arrêté brutalement. Je ne peux plus aller les voir, seulement les appeler, raconte Sonya, catastrophée. Comme si personne n’avait pensé un instant à ces enfants. Comme s’ils étaient invisibles, et notre travail avec.» Elle pense à cette famille de cinq, confinée dans une chambre d’hôtel de 10 m2, sans ressources, ni possibilité de se faire à manger.

Coronavirus en Touraine : pour la psychiatrie, "la goutte de trop"

Publié le 

En psychiatrie, les sorties jouent le rôle de soupape.
© (Photo archives NR)
Les services de psychiatrie se sont adaptés pour éviter les contaminations au coronavirus. Mais les soignants craignent les conséquences du confinement.
Une poudrière, décrit Charlie, militant du syndicat Sud Santé à l’hôpital Bretonneau. Comme tous les secteurs hospitaliers, les unités de psychiatrie sont sur le qui-vive. Là comme ailleurs, on craint le premier cas de Covid-19. « Les mesures de confinement et les gestes barrières sont impossibles à mettre en place », s’alarme le soignant en psychiatrie. Les règles d’hygiène sont variables selon les patients ; le contact physique reste nécessaire dans leur prise en charge.
Les services d’hospitalisation de jour en psychiatrie du CHRU ont fermé, le contact se fait par téléphone. Au Centre hospitalier intercommunal d’Amboise - Château-Renault, des décisions similaires ont été prises. « Les structures qui faisaient appel à l’hospitalisation de jour ont été suspendues, indique son directeur, Frédéric Mazurier. Dans certains cas, les consultations sont maintenues dans les centres médico-psychologiques, sur rendez-vous. » Le lien, quoi qu’il en soit, est maintenu pour tous par des téléconsultations.

La psychiatrie publique ne doit pas être la victime collatérale du covid-19

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PAR   PUBLIÉ LE 17 AVRIL 2020



[Tribune] Pierre Micheletti médecin, auteur et président d’Action Contre la Faim dénonce le délaissement de la psychiatrie par les pouvoirs publics. Avec le coronavirus ce secteur, autant impacté par les réformes hospitalières que les autres, ne bénéficie pourtant d'aucune revalorisation. Pire encore, le pouvoir administratif tente à nouveau d'imposer ses choix contre la logique des soignants.


Médicaments utilisés en psychiatrie et Covid19

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le 16 avril 2020

Foire aux questions, recommandations et conduites à tenir concernant les médicaments utilisés en psychiatrie pour les personnes suspectes et/ou confirmées d'être atteintes du COVID19.
  • Foire aux questions Covid19 et médicaments : Site d'information grand public permettant de vérifier si un médicament présente des risques en cas de symptômes de Covdi19 (Société française de pharmacologie et de thérapeutique)
  • COVID19 et médicaments  : En cas de Covid19, pour vérifier si un médicament pourrait présenter un risque potentiel d’aggraver vos symptômes (Société française de pharmacologie et de thérapeutique)

Angoisses décuplées ou effet libérateur : des psychologues racontent les répercussions du confinement sur leurs patients

franceinfo:

Juliette Campion  publié le 17/04/2020

Pour certaines personnes suivies en psychothérapie, l'enfermement contraint se révèle étonnamment libérateur et leur permet d'amorcer de profonds changements dans leur vie. 

Franceinfo s\'est plongé dans la psyché des confinés en interrogeant des psychologues. 

Quel est l'impact du confinement sur les patients suivis en psychothérapie ? En moyenne, et plus d'un mois après les mesures mises en place le 17 mars pour enrayer la propagation du coronavirus, les dix psychologues interrogés par franceinfo suivent encore un bon tiers de leurs patients, avec qui ils communiquent via les applications de visioconférence, comme Skype ou Whatsapp, ou tout simplement par téléphone, sans contact visuel. Une situation inédite.
"J'étais moi-même réticent à la téléconsultation et j'arrêterai une fois le confinement levé", explique Guillaume Chaboud, psychologue clinicien à Lyon."Quand ils viennent au cabinet, les patients laissent chez nous ce qu'ils amènent. En nous parlant depuis chez eux, ils polluent, en quelque sorte, leur espace", note-t-il. Pour d'autres praticiens, la distance n'a rien changé dans le déroulement des séances : "Pour moi, ça ne prive pas de grand-chose. L'essentiel est que la thérapie se poursuive car beaucoup de patients développent de l'anxiété", constate Laurence Grégoire, psychothérapeute à Paris. 

Dans un texte drôle et déjanté, une institutrice imagine l'école à partir du 11 mai

POSITIVR : initiatives positives, causes, innovations et inspiration


Photo : shutterstock.com



C'est officiel, l'école reprend à partir du 11 mai. Pour décompresser avant le grand jour, une institutrice a imaginé à quoi ressemblera sa classe. 

Le 11 mai, les enfants reprendront la route de l’école. Oui, mais dans quelles conditions ? Une institutrice a imaginé à quoi pourraient ressembler les journées scolaires après le confinement. Un texte drôle et décalé qui fait indéniablement réfléchir.
Qu’est-ce qui attend réellement les élèves et professeurs à partir du 11 mai ? Une question qui reste en suspend depuis l’annonce faite par Emmanuel Macron ce lundi 13 avril. Pour décompresser avant l’arrivée du grand jour, une institutrice (sous le pseudonyme Desperate maîtresse) a imaginé une journée type en compagnie de ses écoliers.
Dans un texte humoristique partagé sur sa page Facebook, la professeur décrit sa routine post-confinement avec sa classe. Cela donne lieu à une situation purement cocasse : elle passe la majeure partie de son temps à répéter les gestes-barrière pour minimiser les risques de contamination entre ses élèves.
Bref, on vous laisse découvrir cette petite perle de l’écriture :
Voici la publication retranscrite ci-dessous :
« Allez, on va commencer la dictée.


Kevin, va écrire la date au tableau. T’as mis tes gants ? Prends une nouvelle craie surtout.

Marvin, éternue DANS TON COUDE ! C’est la 3ème fois qu’on change de masque depuis ce matin ! Va te laver les mains, AVEC DU SAVON cette fois-ci ! 

Oui, je sais qu’il n’y avait plus de savon la dernière fois…

Vous avez écrit la date, c’est bon ?

Qu’est-ce qu’il y a Cyrielle ? Je ne comprends rien avec ton masque, ARTICULE ! 

T’as pas de stylo ? Prends un crayon. T’as pas de crayon ? Bah prends un feutre, n’importe quoi, je sais pas moi… Non Julie, tu ne peux pas lui prêter un stylo, vous savez bien ! On a relu les règles Covid ce matin en arrivant.

Bon, Kevin, ton masque !

T’as lavé tes mains Marvin, ça y est ? Comment ça y a la queue aux toilettes ? C’est sûr qu’avec un lavabo pour 60 élèves, forcément y a du monde. Bon d’accord, prends une noisette de gel hydroalcoolique mais tu ne le LÈCHES pas cette fois !

Où j’en étais déjà ? Ah oui, la date ! C’est bon pour tout le monde ?

Lucas, c’est la dernière fois que je le dis ! Le masque, ce n’est pas un LANCE-PIERRE pour GOMME ! La prochaine fois, je te le confisque… Ah ben non !

Leçons du monde d’avant pour préparer le monde d’après






Paris, le samedi 18 avril 2020 - Imprévisible. Crise inédite. Les commentateurs n’ont de cesse de répéter que la crise sanitaire à laquelle nous faisons face n’avait été (et n’aurait pu être ?) envisagée par aucun spécialiste, aucun institut. De telles déclarations sont notamment destinées à nuancer la violence de certaines critiques formulées contre les gouvernements. Il est vrai que les réactualisations fréquentes par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) de ses informations sur le niveau de préparation du monde à une "pandémie" n’ont semble-t-il pas été assez convaincantes pour inciter la plupart des pays du monde à une attention soutenue.

Souviens-toi de 69

Néanmoins, parallèlement à cette conviction forte régulièrement exprimée du caractère imprévisible de cette pandémie, en raison de notre habitude d’analyser le présent en utilisant les enseignements du passé, beaucoup ont rappelé y compris dans ces colonnes que de précédentes épidémies au cours du siècle dernier avaient pu entraîner d’importantes surmortalités et un dépassement des capacités de soins. Satisfaisantes pour l’esprit, et permettant de mesurer combien nous vivons un éternel recommencement, ces comparaisons pourraient cependant ne pas être totalement suffisantes pour convaincre que la situation actuelle aurait pu être mieux préparée, tant les évolutions ont été nombreuses.

Des fléaux réguliers

Pourtant, même l’histoire très récente comptait des éléments révélateurs de quelques-uns des points clés de la crise actuelle, notamment concernant les capacités des hôpitaux. Il suffisait ainsi de se pencher sur le récit des épidémies de grippe du siècle actuel pour préjuger que les hôpitaux français pourraient être rapidement dépassés par une crise plus grave. « Depuis mi 2013, les grippes saisonnières de l’hiver 2013/2014, et dans une moindre mesure celles de l’hiver 2015/2016 comme celle de l’hiver en cours ont eu peu d’impact sur la mortalité. C’est loin d’être le cas pour les quatre autres hivers de la période, à commencer par ceux des trois dernières années : sur les premiers mois de 2019, Santé publique France a observé un « excès de mortalité », toutes causes confondues, de 12 000 environ au cours de l’épidémie de grippe, à comparer à celui observé en 2016-2017 (21 000 environ) et 2017-2018 (18 000 environ). En croisant ces données d’état civil avec celles qui remontent du système de soins (médecins et hôpitaux du réseau « sentinelle »), Santé publique France produit une estimation du nombre de décès qui peut être attribué en première intention à la grippe, et qui représente environ 70 % de cet « excès de mortalité ». La grippe n’est en effet pas la seule épidémie hivernale, et une modélisation est nécessaire : elle est permise par l’observation répétée, sur de nombreuses années, de la succession d’épidémies de grippe et de gastro-entérite notamment » analyse l’INSEE dans une note récente publiée sur son blog (qui invite donc par ailleurs à ne pas précipiter les interprétations concernant la mise en évidence de surmortalités).



Ignis sacer, le feu pestilentiel

Publié le 18/04/2020




« Si l’on accorde, dans la pathologie médiévale, une juste importance aux grandes épidémies de peste, aux ravages des cruelles famines, aux mutilations de la lèpre et même aux prétendues ‘‘terreurs de l’an mille’’, on oublie trop vite l’un des fléaux les plus redoutés au Moyen Âge : la peste de feu, ou mal des ardents, ou feu de saint-Antoine » (Paul F. Girard)

Durant ce confinement « long comme un jour sans pain », songeons aux malades du Moyen Âge frappés par la terrible « peste de feu », due à l’ingestion de pain empoisonné : confinés dans une cathédrale, ils prient avec ferveur pour leur salut. Écartons le brouillard tourmenté de l’Histoire, pour évoquer l’une des épidémies les plus effroyables de tous les temps : ignis sacer, le feu pestilentiel...

Le dragon de Satan

En 945, Flodoart de Reims donne le premier tableau de cette « étrange et redoutable maladie » d’apparence épidémique. Fléau essentiellement médiéval inspirant une abondante iconographie, le mal des ardents sévit depuis l’Antiquité (où plusieurs textes latins semblent l’avoir décrit) jusqu’au XVIIIème siècle, avec une ultime flambée épidémique en 1951 à Pont-Saint Esprit[1] (Gard). Il frappe des pays consommateurs de pain, comme le monde gréco-romain antique (avec la « peste » d’Athènes de 430 avant J.C) et la France médiévale où une trentaine de foyers épidémiques sont recensés du Xème au XIVème siècle. Mais contrairement à d’autres maladies épidémiques réellement contagieuses comme la variole, l’Extrême-Orient (où le riz occupe la place du blé dans l’alimentation) semble épargné. Rares sont les affections avec autant de dénominations : mal des ardents, feu sacré (ignis sacer), feu de saint-Antoine, raphanie, peste de feu (ignis plaga), feu invisible, ardeur pestilentielle, arsura (du latin ardere, à l’origine des mots français ardeur, ardent et arsin : bois endommagé par le feu), feu caché, feu perse, mal injuste (comme s’il existait une maladie justifiée !), feu divin, feu sous-cutané, feu infernal, feu de Géhenne (du nom d’un ravin proche de Jérusalem, lieu de sacrifices d’enfants, puis décharge publique pour l’incinération d’immondices : Géhenne finit par désigner une situation intenable, infernale), mal sylvestre (se propageant tel un incendie de forêt, avec les membres nécrosés du patient se détachant de son corps, comme le bois mort d’un arbre : voir arsura et arsin). Problème de société au Moyen Âge, le mal des ardents interpelle médecins, prêtres, dirigeants, chroniqueurs, alchimistes. Il reçoit son nom explicite au XIXème siècle : ergotisme gangréneux, ou empoisonnement par le seigle atteint d’une affection cryptogamique, l’ergot. L’ergotisme est donc une maladie au second degré, une pathologie (humaine) consécutive à une autre pathologie (végétale). Mais les praticiens médiévaux ignorent l’existence des alcaloïdes de l’ergot, même s’ils soupçonnent le rôle du « pain de disette », fait d’une farine avariée ou d’un méteil (mélange de seigle et de blé) de mauvaise qualité. Relatant l’épidémie frappant Blois en l’an de disgrâce 1039, le chroniqueur Raoul Glaber écrit : « Cette ardeur mortifère touche les grands comme les médiocres : Dieu les laisse amputés pour servir d’exemples à l’avenir, tandis que presque toute la terre souffre d’une disette due à la rareté du pain. » Les tableaux cliniques de l’ergotisme ont le feu pour dénominateur commun : comme sur des charbons ardents, le patient est en proie à des douleurs et brûlures intolérables (qualifiées aujourd’hui de causalgies) prédominant aux extrémités des membres. Malgré cette chaleur étrange justifiant le terme « ardent », car le malade semble « s’embraser sous les flammes du Malin », ses extrémités sont « froides comme glace » et une nécrose du membre atteint succède souvent à cette acrocyanose. Moine de Cluny, Raoul Glaber écrit en l’année de Dieu 994 : « Un feu occulte consume et détache le membre du corps ; en une nuit, les malades sont dévorés par cette affreuse combustion. Dans le souvenir de nos saints, on trouve l’apaisement du mal. » Quel rapport entre l’ergotisme et la vie de saint-Antoine ? Car il devient éponyme de cette maladie. Ce rapprochement semble opéré à la fin du XIème siècle par Gaston, Seigneur de la Valloire, dont le fils survit miraculeusement aux atteintes du redoutable fléau. Guérison attribuée à l’effet thaumaturgique des reliques du saint qu’on vient de déposer dans l’église de la Motte-sous-Bois, rebaptisée plus tard Saint-Antoine-en-Dauphiné. Pour remercier le saint, Gaston de la Valloire s’adonne à l’assistance des déshérités, à une époque où la médecine se résume presque à la charité. Il fonde l’ordre des Antonins dont PF Girard[2] rappelle qu’il comptera au XVème siècle près de 400 hôpitaux répartis dans l’Ancien Monde, et jusqu’à dix mille religieux. Les Antonins adoptent la croix en Tau, évoquant « la béquille des malades estropiés par le feu de saint-Antoine. » Parmi les souvenirs toponymiques de cet ordre médico-caritatif, il reste l’Hôpital et le Faubourg Saint-Antoine à Paris, la Commanderie des Antonins et le Quai Saint-Antoine à Lyon, la Préceptorerie des Antonins à Issenheim (la ville du célèbre retable de Grünewald dont un tableau évoque le « miracle du pain » partagé entre les deux ermites Antoine et Paul). Pour les historiens de la médecine, la relation entre l’ergotisme et la vie d’Antoine n’est pas fortuite : il existe un parallèle entre la symptomatologie de l’ergotisme et des caractéristiques de la vie d’Antoine, l’anachorète. Retiré du monde, Antoine ne connut sûrement ni l’infarctus du myocarde ni l’ulcère gastro-duodénal. Mais de quels maux souffrit-il ? Mort à l’âge (fort canonique pour le IVème siècle) de 104 ans, saint-Antoine fit beaucoup d’envieux, on l’invoquait pour devenir centenaire. Sauf à tout expliquer par des interventions divines ou diaboliques, il faut subodorer quelque pathologie dans la vie d’Antoine, narrée par son biographe Athanase, sous le titre Vie et conduite de notre père Antoine, écrites et envoyées à des moines étrangers. Saint-Antoine est célèbre pour résister aux tentations du Malin. Cité par Girard[2], ce texte d’Athanase évoque des hallucinations auditives et visuelles (notamment des zoopsies), avec ces velléités d’intrusion du démon : « Antoine vit les murs s’entrouvrir, et une foule de démons firent irruption, ayant revêtu l’apparence de bêtes sauvages et de reptiles. Le lieu fut rempli de spectres de lions, ours, léopards, taureaux, serpents, scorpions, loups... Ces apparitions farouches faisaient un bruit affreux et montraient leur férocité. » Or, fait capital, les hallucinations font aussi partie de la sémiologie de l’intoxication ergotée, comme du tableau psychiatrique lié au « voyage » suscité par la mouture moderne de l’ergotisme : son dérivé de synthèse tristement célèbre, « l’acide » ou LSD. Dans l’épidémie de feu sacré frappant les Flandres en 1088, la chronique décrit l’apparition d’un « dragon satanique, dragon de feu vomissant des flammes par la bouche, envoyé par le Malin pour tenter les bons Chrétiens ». Durant la dernière épidémie d’ergotisme, à Pont-Saint-Esprit en 1951 (nom prédestiné pour un mal rattaché à la religion !), ces thèmes démoniaques n’ont plus cours : les patients voient une « boule de feu » attribuée parfois à un OVNI, et les médecins diagnostiquent causalgies et troubles ischémiques des extrémités : à chaque siècle sa vérité...

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