jeudi 3 décembre 2020

Viols sur mineur : «Un enfant ne peut pas consentir, point barre»

Par Virginie Ballet — 3 décembre 2020

Manifestation avant le début d'un procès pour viol sur mineure commis par trois pompiers, à Versailles, le 24 septembre.

Manifestation avant le début d'un procès pour viol sur mineure commis par trois pompiers, à Versailles, le 24 septembre. Photo Christophe Archambault. AFP

En 2018, la majorité renonçait à mettre en place un âge de non-consentement dans la loi renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Juristes et associations dénoncent un texte aux contours juridiquement flous, qui a compliqué les choses. La députée Alexandra Louis présente ce vendredi les conclusions de sa mission d’évaluation.

Son entourage promet «des propositions fortes», issues d’un«travail de fond» mené pendant plusieurs mois auprès de près de 200 acteurs de terrain, avocats, magistrats, militants associatifs ou encore policiers. Et promis : «Pas question que ce rapport serve à caler une armoire.» Ce vendredi, la députée LREM des Bouches-du-Rhône Alexandra Louis doit remettre au garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, ainsi qu’à la ministre chargée de l’Egalité, Elisabeth Moreno, les conclusions de sa mission d’évaluation sur la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Porté par l’ex-secrétaire d’Etat à l’Egalité Marlène Schiappa, le texte, dont Alexandra Louis était rapporteure, avait notamment créé une infraction d’«outrage sexiste» pour lutter contre le harcèlement de rue, et allongé les délais de prescription des crimes sexuels sur mineurs, de vingt à trente ans après leur majorité. Mais pour beaucoup d’associations féministes et de protection de l’enfance, il reste un gros angle mort : les viols et agressions sexuelles commises sur les plus jeunes. Selon l’enquête Violences et rapport de genre de l’Ined (Virage), 3,7 % des femmes ont déjà été victimes d’un viol ou d’une tentative de viol au cours de leur vie, dans 40 % des cas avant 15 ans. 0,6 % des hommes ont été victimes des mêmes faits au cours de leur vie, survenus dans 75 % des cas avant leur majorité.

«Mieux protéger»

Tout en saluant des avancées dans la loi Schiappa, la Dr Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV) décèle une bataille qu’il reste à ses yeux à mener, et pas des moindres : l’instauration d’un seuil d’âge de non-consentement, comme c’est le cas en Belgique, en Espagne, en Allemagne, au Danemark ou encore en Angleterre. La mesure, un temps envisagée par le gouvernement, a finalement été abandonnée en cours de route, au grand dam des associations. «Il faut que ce soit clair : un enfant ne peut pas consentir. Point barre, appuie Emmanuelle Piet, prônant l’âge de 13 ans. Qu’on puisse arguer qu’une gamine de 12 ans peut consentir à un rapport sexuel avec un majeur, ça me dépasse.»

Dans un avis publié le 20 novembre dernier, le Haut Conseil à l’égalité, instance nationale consultative indépendante, prônait lui aussi, comme il l’avait déjà fait en 2016, l’inscription dans la loi d’une présomption de contrainte lorsqu’une personne majeure commet un acte sexuel sur un enfant de moins de 13 ans, afin de «mieux protéger les enfants victimes de violences sexuelles». Dans le viseur des partisans d’une modification législative : le trop grand nombre de qualification en «atteinte sexuelle» sur mineurs de faits d’agression sexuelle, voire de viols. Ce qui, pour le HCE, «ne permet pas la représentation de la gravité de l’acte commis et imposé à l’enfant. Il faut nommer le viol ou l’agression sexuelle avec les peines correspondantes». Bien souvent, les conditions requises pour qualifier le viol, les mêmes que pour les adultes, semblent compliquées à appliquer sur de très jeunes mineurs, d’où, arguent les défenseurs d’un seuil d’âge, la nécessité de clarifier la loi. L’atteinte sexuelle, passible de sept ans de prison et de 100 000 euros d’amende, est un délit qui réprime un acte sexuel commis sans violence, contrainte, menace ou surprise, entre un adulte et un mineur de moins de 15 ans. Pour que le viol (passible de vingt ans de prison sur une personne de moins de 15 ans) soit caractérisé juridiquement, il faut démontrer que la victime, qu’importe son âge, a subi une «contrainte, une violence, une menace ou une surprise». Ce sont ces éléments qui permettent de déterminer le consentement, ou non, des mineurs.

Lors de l’élaboration de la loi de 2018, le gouvernement a renoncé à un seuil d’âge mais a quand même tenté d’ajouter des critères spécifiques pour les plus jeunes. Ainsi, désormais lorsque les faits sont commis sur un mineur entre 15 et 18 ans, la contrainte morale ou la surprise «peuvent résulter» de la différence d’âge entre la victime et l’auteur, ou d’une relation d’autorité. En dessous de 15 ans, l’article 2 dispose que la contrainte morale ou la surprise «sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes».

«Fiasco»

Mais loin de simplifier, le texte semble avoir créé des circonvolutions et de nouvelles notions à prendre en compte, aux contours juridiquement flous, loin de la revendication simple de départ : écrire clairement qu’en dessous d’un certain âge, un mineur ne peut avoir consenti. Les victimes, elles, doivent toujours apporter la preuve qu’elles ne disposaient pas du discernement nécessaire ou étaient vulnérables. Pour Me Carine Durrieu-Diebolt, avocate pénaliste, il faudrait clarifier une loi devenue difficilement compréhensible, et faisant appel à une notion de discernement trop vague et sujette à interprétation. «Pour l’apprécier, il faut passer par des expertises psychologiques, ainsi qu’un examen de la vie privée du mineur, des sites qu’il fréquente à sa correspondance. Or, souvent, ces jeunes révèlent les faits des années après. Comment évaluer leur discernement a posteriori ?» questionne-t-elle. Sans compter que pour certaines victimes, cette procédure intrusive peut faire l’effet «d’une nouvelle violence», alerte l’avocate, qui se souvient d’un procès aux assises au cours duquel la manière de s’habiller de deux sœurs de 13 et 16 ans, victimes d’un septuagénaire, a été passée au crible.

Pour Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, la loi de 2018 «est un fiasco, qui n’a strictement rien changé : la charge de la preuve continue de reposer sur les victimes, ce qu’elles peuvent ressentir comme une forme de remise en cause de leur parole. On leur oppose souvent qu’elles ne se sont pas défendues, alors que la sidération ou le phénomène de dissociation les en empêchent tout bonnement». Pour cette spécialiste des violences sexuelles, partisane d’un seuil à 15 ans, la loi méconnaît les mécanismes du psychotraumatisme chez les victimes : «Beaucoup de jeunes ayant connu des violences sexuelles dans leur enfance, par exemple vers 5 ans, vont développer des comportements sexualisés dans leur préadolescence, qui peuvent ensuite être utilisés pour arguer de leur discernement», explique-t-elle. Edouard Durand, juge des enfants à Bobigny (Seine-Saint-Denis) et membre du Haut Conseil à l’égalité, estime lui aussi que la loi «doit être plus claire, pour ne plus laisser de marges qui conduisent à interroger la conduite de l’enfant victime, plutôt que celle de l’adulte» et mieux prendre en compte «la prise de pouvoir» des adultes sur le corps des enfants.

«culture du viol»

Laurence Rossignol, ex-membre d’un groupe de travail sénatorial sur le sujet, voit dans la loi française des «relents de culture du viol : le viol est l’une des rares infractions criminelles dans lesquelles le comportement de la victime est plus observé que celui de l’auteur», s’insurge-t-elle. La sénatrice socialiste de l’Oise entend prochainement déposer une proposition de loi remettant sur le tapis la création claire d’un seuil d’âge de 15 ans, pour que le débat sur la contrainte, la menace ou la surprise «n’ait plus lieu d’être» s’agissant de jeunes victimes. En mars 2018, le Conseil d'Etat avait toutefois pointé le risque d’inconstitutionnalité d’une telle mesure, qui selon eux pourrait se heurter à la présomption d’innocence, conduisant au recul du gouvernement. «Une présomption de contrainte irréfragable n’est pas une présomption de culpabilité, mais l’un des éléments constitutifs de l’infraction. L’enquête se chargera de déterminer s’il y en a d’autres», rétorque Edouard Durand. Interrogée par Libération la semaine dernière, la ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Elisabeth Moreno, s’était dite favorable, «à titre personnel», à l’inscription d’un âge de consentement de 13 ans dans la loi, ajoutant : «Cela pose des questions juridiques importantes qu’on ne peut pas mettre de côté.» Ou comment relancer le débat dans les mêmes termes qu’il y a trois ans.


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