mardi 29 décembre 2020

Se vacciner ou non, un choix impossible pour les «oubliés de la vaccination»

Par Emmanuel Hirsch, Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris Saclay— 29 décembre 2020

A Kampala, en Ouganda, un représentants des autorités lance un appel sur les gestes barrière et les mesures à adopter pour réduire la propagation du Covid-19, le 24 mars.

A Kampala, en Ouganda, un représentants des autorités lance un appel sur les gestes barrière et les mesures à adopter pour réduire la propagation du Covid-19, le 24 mars.Photo Badru Katumba. AFP

Les pays riches ont préempté la majeure partie des doses de vaccin contre le Covid-19. Pour le professeur d'éthique médicale Emmanuel Hirsch, la solidarité internationale impose de repenser notre stratégie vaccinale.

Tribune. Quelle injure à l’égard des populations oubliées de la vaccination ! Parce que nous bénéficions en Europe du privilège de pouvoir exercer ce choix, nous tergiversons à propos de la liberté de se faire ou non vacciner. Nous revendiquons le droit individuel de ne pas être vacciné, là où d’autres aspireraient à être reconnus dans le droit d’être vaccinés afin de limiter leur exposition aux risques de contamination.

Les personnes vulnérables du fait de leurs conditions d’existence éprouvent le plus urgent besoin d’une vaccination : pour elles, ne pas être vacciné est un risque vital. Je pense que si nous avions anticipé le temps de la vaccination dans le cadre d’une concertation publique, chacun aurait été en mesure d’apprécier en responsabilité ce qu’il lui apparaîtrait important, juste et acceptable, pour lui comme pour les autres. La médiatisation des premières vaccinations de personnalités politiques, de professionnels de santé ou d’anonymes en Ehpad donne à penser qu’il s’agirait d’une compétition entre pays qui ont les moyens de se le permettre et s’affichent exemplaires. Quelle injure à l’égard des populations oubliées de la vaccination ! Quelle exemplarité en termes de solidarité !

«Un bien public mondial»

Oxfam international indiquait le 17 septembre que 13% des pays du monde les plus riches ont déjà préempté 51% de la production des vaccins en développement. 4,6 à 5,4 milliards de personnes devraient être vaccinées dans le monde pour parvenir à une immunisation satisfaisante. L’Union européenne a préempté l’achat de 1,5 milliard de doses de vaccins pour ses 447 millions d’habitants (dont 200 millions seront attribuées à la France). En termes de précaution, il est difficile d’en faire davantage. Le programme international Covax qui «collabore pour un accès mondial et équitable aux vaccins contre le virus du Covid-19» annonce que seulement 20% des populations vivant dans les 92 pays à revenu faibles pourraient bénéficier de l’accès à un vaccin en 2021.

N’avons-nous pas à considérer comme notre responsabilité, l’exigence d’une solidarité internationale suffisamment ambitieuse et volontariste pour surmonter les considérations souverainistes et les individualismes nationaux ? Comment s’est-on préparé à ce défi éthique et politique qui ne devait pas se limiter à déterminer les règles de répartition des doses vaccinales entre les nations qui en avaient les moyens, et d’organiser les négociations économiques avec les firmes pharmaceutiques ? Certaines d’entre elles ont du reste bénéficié pour leur recherche et développement d’un concours financier de la part des Etats de l’ordre de 6 milliards de dollars. Ne sont-elles pas moralement obligées à une pratique commerciale tenant compte des réalités humaines et sociales de la précarité ? Le 20 novembre 2001 à Doha, la conférence ministérielle de l’OMC était parvenue à une résolution reconnaissant «la gravité des problèmes de santé publique qui touchent de nombreux pays en développement et pays les moins avancés», et proposant des modalités qui favorisaient leur accès aux traitements indispensables. Les acquis significatifs dans la lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose tiennent pour beaucoup à ces engagements.

L’après-Covid-19 sera conditionné par les arbitrages que la communauté internationale aura été ou non en capacité d’assumer en termes de justice, de solidarité et de sollicitude. Certains Etats l’ont compris, d’un point de vue géopolitique et afin de renforcer leur soft power, en proposant de soutenir les pays économiquement dépendants pour lutter contre la pandémie et envisager la vaccination de leurs populations.

Bien que négligé par le gouvernement dans sa gestion de la pandémie, l’Assemblée nationale a présenté le 20 octobre une «proposition de résolution pour l’accès universel, rapide et équitable du vaccin contre le Covid-19». Le 18 mai, le président de la République avait en effet exprimé le souhait que le vaccin puisse être considéré comme «un bien public mondial». Je retiens les points 13 et 14 de cette résolution qui proposent des repères importants :

«13 - Proclame que, face à une pandémie, la réalisation d’un vaccin est un défi prioritaire pour la communauté internationale et que l’égalité dans l’accès au vaccin est un droit humain fondamental et imprescriptible ;

14 - Invite le gouvernement à proposer, au travers de l’Organisation mondiale de la santé, un dispositif adéquat en vue de racheter le brevet du futur vaccin de manière à le rendre accessible à toute l’humanité et, le cas échéant, à indemniser raisonnablement les investissements privés consacrés à sa recherche.»

L’organisation internationale Gavi, l’Alliance du vaccin, estimait que 7 milliards de dollars seraient nécessaires pour permettre un accès équitable au vaccin contre le Covid-19. La solidarité économique s’impose dans la mise en œuvre d’une mobilisation internationale, l’éthique de la vaccination devant intégrer cet impératif.

Cette mise en perspective de nos controverses prudentielles, de ces débats qui avaient lieu d’être avant que ne soit arrêtée notre stratégie vaccinale, y compris du point de vue de ses priorisations, devrait en appeler à une autre approche de l’exercice de nos responsabilités : pour nous, avec les autres.


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