samedi 19 décembre 2020

Pourquoi tant de haine contre l’école maternelle ?

Par Sylvie Plane, professeure émérite de sciences du langage, ancienne vice-présidente du Conseil supérieur des programmes — 18 décembre 2020

Un enfant dans une école maternelle à Marseille en 2014.

Un enfant dans une école maternelle à Marseille en 2014. Photo Anne-Christine Poujoulat. AFP

La réforme des programmes de l’école maternelle vise notamment à multiplier les évaluations avant d’entrer au cours préparatoire, à coups de tests et de bilans de compétences.

Tribune. L’école maternelle bénéficie d’une image très positive et est appréciée de tous, comme l’atteste le fait que quasiment tous les enfants âgés de 3 ans et plus soient scolarisés, et cela depuis près de deux décennies, comme le notait en 2017 un rapport de l’Inspection générale. Malgré cela, le Conseil supérieur des programmes (CSP) vient de publier un document consternant appelé «Note d’analyse et de propositions sur les programmes de l’école maternelle». Il a pour visée de réformer l’école maternelle de façon à l’enfermer dans une seule de ses missions, celle de préparer au cours préparatoire, ou plus précisément aux tests d’entrée au cours préparatoire. C’est donc un changement d’identité de l’école maternelle qui se prépare.

La concomitance de deux événements qui, apparemment, n’ont rien à voir entre eux doit nous alerter : pile au moment où le Parlement examine une loi qui interdit l’instruction à domicile, le CSP publie un projet de refonte des programmes de l’école maternelle. Mais d’abord, pourquoi réformer l’école maternelle ? Le CSP est bien embarrassé pour répondre à cette question. Les auteurs de la note justifient la refonte des programmes par l’obligation d’instruction à partir de 3 ans inscrite dans la loi de 2019, puis par l’obligation de scolarisation qui va être votée. Mais eux-mêmes ne semblent pas croire à cet argument, d’autant que toutes les études montrent que ces mesures ne peuvent avoir d’incidence sur la fréquentation de l’école.

On se souvient qu’en 2019, le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, avait tenté d’introduire dans sa mal nommée loi sur «l’école de la confiance», une mesure rendant obligatoire la scolarisation à partir de 3 ans afin que les municipalités soient obligées de financer l’école maternelle privée. Le Conseil constitutionnel avait retoqué cette mesure et le ministre avait dû se contenter du fait que la loi porte uniquement sur l’obligation d’instruction. Mais il n’allait pas en rester là : l’obligation de scolarisation réapparaît par le biais de l’article 21 du projet de loi «respect des principes de la République» (anciennement appelée loi sur le séparatisme) qui stipule : «l’instruction obligatoire est donnée dans les établissements ou écoles publics ou privés». Ainsi chassée par la porte, l’obligation de scolarisation revient par la fenêtre et est invoquée à point nommé pour justifier une refonte des programmes de l’école maternelle. Mais ce n’est qu’un prétexte. La refonte des programmes vise à satisfaire trois partis pris ministériels : concentrer l’enseignement sur les «fondamentaux» ; accélérer les apprentissages avec l’idée que cela ferait gagner des points dans les comparaisons internationales, piloter le système éducatif par l’évaluation.

A l’épreuve des tests

Le ton est donné par le mantra ministériel «lire, écrire, compter», (ou sa variante «lire, écrire, compter, respecter autrui») que les auteurs de la note psalmodient à intervalles réguliers. Mais que signifie «lire» ou «écrire» dans le texte du CSP ? On connaît la boutade d’Alfred Binet, le psychologue qui mit au point les premiers tests de QI, et qui, lorsqu’on lui demandait de définir l’intelligence, répondait : «c’est ce que mesure mon test», avec humour. Mais c’est sans humour que le CSP envisage la lecture uniquement sous l’angle des tests que passent désormais les élèves à l’entrée du cours préparatoire. De la riche palette des activités scolaires destinées à initier les enfants de maternelle au fonctionnement de l’écrit et à la culture de l’écrit, notamment grâce à la fréquentation de la littérature de jeunesse, il ne devrait donc subsister que les exercices qui visent à des apprentissages strictement techniques puisque ces derniers sont mesurés par les tests.

S’il est vrai que l’école maternelle prépare les élèves à entrer au cours préparatoire, est-il bien raisonnable de focaliser toute la scolarité en maternelle sur ce seul objectif, surtout si l’unique indicateur retenu est la réussite aux tests d’entrée au CP ? Les auteurs de la note en sont persuadés et ils fulminent contre les enfants de maternelle dont ils dressent un portrait calamiteux, quasiment haineux, parce que les résultats nationaux aux tests ne répondent pas à leur attente. Et au lieu de se demander si des tests auxquels l’ensemble des élèves échoue sont bien adaptés à leur âge, ils préfèrent croire que ce sont les élèves qui ne sont pas adaptés aux tests…

Les auteurs de la note ne se sont autorisés à consulter que trois chercheurs en grâce auprès du ministre et en ont interprété les propos, se privant ainsi des apports de la recherche en sociologie, linguistique de l’acquisition, didactique, etc. qui permettent de comprendre l’école maternelle. C’est dommage. Ils nous auraient épargné des remarques qui confinent souvent à l’absurde ou des propositions puisées dans le répertoire de l’école élémentaire, voire du collège, comme si cela pouvait hâter la croissance des petits de maternelle. Ils se seraient abstenus de se plaindre que les élèves de maternelle ne maîtrisent pas les marques des relations de cause et de conséquence, parce qu’ils auraient su qu’elles s’acquièrent plus tard. Ils auraient évité de préconiser aux maîtres de petite section d’exiger d’enfants de 3 ans qu’ils reformulent leur propos jusqu’à arriver à une forme correcte, car ils auraient su que le grand défi des enseignants de petite section est d’amener les enfants à oser prendre la parole en classe. Ils auraient évité de dire des élèves qui ne savent pas encore écrire qu’ils doivent tenir un «cahier de mots» comme on le fait à l’école élémentaire ou au collège…

Le bilan de compétences des enfants

Tous ceux qui connaissent l’école maternelle sont atterrés par cette note du CSP, qui s’attache à détruire toute l’expérience acquise par l’école maternelle à travers une attaque frontale contre un programme qui avait reçu l’assentiment de la communauté éducative. Cela pour satisfaire une frénésie évaluative qui trouve son point d’orgue dans la proposition de faire un bilan de compétences des enfants de 3 ans, lors de leur entrée en petite section. Pour terminer sur une note optimiste, on signalera qu’il reste malgré tout un passage à sauver de cette note du CSP, celui où est formulé le souhait que les enseignants bénéficient de plus de formation et que les effectifs des classes soient moins nombreux.



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