dimanche 27 décembre 2020

Parents handicapés : une aide qui fait grincer

Par Elsa Maudet — 26 décembre 2020

Photo d’illustration. Le nombre de familles qui pourraient bénéficier de l’aide est évalué par le gouvernement à 17 000 au niveau national.

Photo d’illustration. Le nombre de familles qui pourraient bénéficier de l’aide est évalué par le gouvernement à 17 000 au niveau national. Photo Madcat Madlove. Getty Images

Le 1er janvier sera lancée une prestation destinée à aider les personnes en situation de handicap à donner le bain à leur enfant, l'accompagner à l’école ou chez un médecin. La réponse à une demande vieille de près de vingt ans, mais largement sous-dotée aux yeux des intéressés.

La dire déçue serait un doux euphémisme. «Dix-huit ans de combat pour en arriver à ça. Je suis très blessée parce que j’ai l’impression qu’on nous fait l’aumône et qu’on n’a rien compris», lâche Agnès Bourdon-Busin, administratrice d’APF France Handicap. Cette mère de quatre grands enfants, en fauteuil roulant, déplace des montagnes depuis le début de ce millénaire pour que soit créée une aide aux parents handicapés. Une somme mensuelle qui leur permettrait de rémunérer des professionnels afin de les assister au moment de donner le bain, le repas ou faire le trajet jusqu’à l’école. En février, l’annonce tant attendue est arrivée : Emmanuel Macron actait la mise en place d’une prestation de compensation du handicap (PCH) parentalité. Restait à en définir les contours.

Le mois dernier, un projet de décret indiquait ceci : à partir du 1er janvier, certains parents porteurs d’un handicap (1) recevront 1 200 euros à la naissance de leur enfant pour s’équiper (en table à langer ou baignoire adaptées, par exemple) et pourront bénéficier d’une heure d’aide humaine par jour entre 0 et 3 ans, puis une demi-heure entre 3 et 7 ans ; moitié plus pour les familles monoparentales. Loin, très loin, des besoins exprimés. «Pour moi, c’était censé être un aboutissement et j’ai pris une grande douche froide», lâche Agnès Bourdon-Busin.

Aider à donner le bain, changer l’enfant, l’accompagner à l’école, l’emmener chez le pédiatre… La PCH parentalité peut couvrir un grand nombre de situations du quotidien. «Beaucoup de parents handicapés expliquent qu’avant 4 ans, c’est très compliqué de sortir seuls en se sentant en complète sécurité pour l’enfant, qui bouge beaucoup et n’a pas forcément conscience du danger», indique Florence Méjécase, présidente de l’association Handiparentalité. C’est le cas d’Amandine Joly, 40 ans et mère d’une fille de 3 ans. «Je ne fais pas encore de trajets en extérieur seule avec elle, pour sa sécurité, donc je suis soit avec mon mari, soit avec une nounou, indique cette Grenobloise. Je ne suis pas en capacité physique de changer une couche, de préparer les biberons, il y a beaucoup de choses du quotidien que je ne peux pas faire, donc c’est mon mari qui les a prises en charge.»

Fatigue et efforts

Lui a cessé de travailler depuis la grossesse, afin de pouvoir s’occuper de leur enfant à temps plein et d’aider sa femme, pour la mettre au lit le soir notamment. Afin de permettre au mari d’avoir un peu de temps pour lui, le couple a parfois embauché des techniciennes de l’intervention sociale et familiale (TISF), des professionnelles spécialisées dans l’accompagnement parental. «Elles venaient quatre heures d’affilée. On allait dans un parc avec ma fille, on en profitait pour lui donner le bain, raconte Amandine Joly. Ça me permettait d’avoir des temps où j’étais un peu plus en relation directe avec elle, parce que sinon, vu que c’est mon mari qui fait beaucoup de soins, qui peut l’attraper au sol quand elle tombe, elle réclame les bras de son papa et pas forcément les miens.» Une situation qui la fait souffrir. Elle reprend une place privilégiée aux yeux de sa fille lorsque, son mari absent, elle demande à son frère ou à des amies de venir à la maison pour l’aider.

Mais le dépannage familial n’est pas la solution miracle non plus.«Dès lors qu’on demande de l’aide, on prend le risque d’être un peu destitué de son rôle de parent. La mère ou la belle-mère peut faire à la place et prendre un peu plus d’espace qu’elle ne devrait. Un couple me disait que depuis qu’il a une TISF, les choses ont retrouvé un certain équilibre», affirme Florence Méjécase.

Les personnes handicapées n’ont pas attendu la création d’une PCH dédiée pour devenir parents. Mais, pour ceux qui ont le courage de se lancer, «au prix de beaucoup de fatigue et d’efforts»,souffle Florence Méjécase au téléphone. «Ma fille est en train de s’éclater à son cours de musique, moi de me geler dans la voiture, mais ça va moins me coûter que de faire un transfert de mon fauteuil. J’ai besoin d’énergie pour le reste de la journée et je suis plus lente qu’une autre maman qui n’a pas de handicap.»

«Qu’est-ce que vous faites en une demi-heure ?» 

Pour faire face à tous ces besoins, les parents handicapés espéraient donc une aide individualisée, adaptée aux capacités de chacun. A la place, on leur propose un forfait, uniquement indexé sur l’âge de l’enfant – seulement le plus jeune s’il y a une fratrie. «Qu’est-ce que vous faites en une demi-heure ? Rien, tacle Malika Boubekeur, conseillère nationale APF France Handicap en charge de la prestation de compensation. Et votre enfant a encore besoin de vous, que vous puissiez l’accompagner dans son développement, au-delà de l’âge de 7 ans.» Agnès Bourdon-Busin illustre : «J’ai quatre enfants, je n’ai pas les mêmes besoins qu’une maman qui n’en a qu’un. C’est la négation de la réalité de la vie.» Amandine Joly juge «inadmissible d’oser proposer ça. Il vaut mieux ne rien proposer. Une heure, ça ne donne même pas le temps d’accompagner l’enfant à la crèche et d’aller le récupérer».

Face aux critiques, le secrétariat d’Etat aux Personnes handicapées exprime son incompréhension : «On met en place une mesure attendue depuis un moment, quelque chose qu’aucun gouvernement n’avait fait. On n’a pas lésiné sur les moyens : une heure, une heure et demie par jour, ce n’est quand même pas rien. En une heure, vous pouvez faire prendre un bain et donner à manger.» Une enveloppe de 184 millions d’euros est prévue pour 2021. Le buget de 2022 dépendra de ce qui aura été consommé l’an prochain.

Petit bout de la lorgnette

En Ille-et-Vilaine, on observe cette PCH parentalité nationale avec circonspection. Dans le département, ça fait quatorze ans que ça existe, et plus généreusement : cinq heures par jour jusqu’aux 3 ans de l’enfant, deux heures jusqu’aux 7 ans. Et le département aimerait faire plus, trouvant que «7 ans, c’est un peu juste». «Si on ne donne pas les moyens d’assister ces parents-là, des gamins vont devoir être confiés à une assistante maternelle avec des journées à rallonge, alors que le parent est là, ou ils seront mis en institution parce que la situation va se dégrader», présage Anne-Françoise Courteille, première vice-présidente du conseil départemental, en charge des solidarités et des politiques d’autonomie.

La Gironde aussi propose une PCH parentalité, depuis deux ans, qui bénéficie à une trentaine de familles. Elles sont une dizaine chaque année en Ille-et-Vilaine.«Ce n’est pas ça qui va impacter notre budget», dit Sébastien Saint-Pasteur, conseiller départemental et président de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées de Gironde. Lui aussi aimerait proposer plus et mieux – actuellement, les parents peuvent bénéficier d’une ou deux heures quotidiennes selon leur degré de handicap, jusqu’aux 3 ans de l’enfant. «C’est une approche expérimentale, on a voulu concentrer l’aide là où le besoin est le plus important. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de besoin après 3 ans», reconnaît l’élu.

A l’échelle nationale, le gouvernement évalue le nombre de potentiels bénéficiaires de la PCH parentalité à 17 000. Dans un premier temps du moins, l’aide devant permettre à des personnes handicapées d’enfin oser se lancer dans un projet parental. Reste que le problème est plus profond. «La PCH, c’est un petit bout de la lorgnette. S’il y avait de l’accessibilité partout – dans les crèches, les écoles –, on n’aurait pas besoin d’autant d’aides», rappelle Agnès Bourdon-Busin. L’éternel problème.

(1) Ceux qui bénéficient déjà de la PCH, pour leurs propres besoins.


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