mardi 1 décembre 2020

Au Cameroun, un carnet de coloriage pour devenir un superhéros en lutte contre le Covid-19

Aider les enfants à comprendre les enjeux de la pandémie et devenir acteur de leur éducation dès la maternelle, c’est l’ambition de ce petit livret. 

Par   Publié le 27 novembre 2020

Maternelle du groupe scolaire Le Globe, à Douala au Cameroun, fin novembre 2020.

Frida est concentrée sur le fascicule ouvert devant elle. Crayon rouge à la main, elle colorie « le monstre ». « C’est le coronavirus. C’est un vilain microbe », murmure la fillette âgée de 4 ans, sans lever les yeux. Par moments, elle s’interrompt pour observer les « petites cornes, les yeux et la bouche du méchant ». Dans cette salle de classe de maternelle du groupe scolaire Le Globe, un établissement privé primaire et bilingue de Douala, la capitale économique du Cameroun, les 19 élèves se familiarisent avec « Fight Covid Cameroon, le livret de coloriage des superhéros contre le covid-19 » de 24 pages.

« Depuis le début de la pandémie, les enfants entendent parler du coronavirus à la maison, à la télévision et même dans leur école depuis la rentrée d’octobre, mais ils n’avaient pas encore vu d’image en face d’eux. Ils sont très émus », sourit Florence Cécile Kameni, l’une des deux maîtresses, en déambulant entre les tables un œil sur le travail de ses petits élèves. Yvan, 4 ans, est fasciné par la couverture du livre. On y voit un petit garçon et une petite fille, tous masqués, entourés de fleurs et sautillant de joie. « Chacun de vous est soit lui, soit elle, leur explique Prodencia Ngoh, l’enseignante d’expression anglaise. Vous êtes les superhéros qui luttent contre le méchant coronavirus. »

« Expliquer le Covid de manière ludique »

Si l’initiative semble anecdotique, elle marque pourtant une nouvelle approche éducative, en train de se faire une place dans la société camerounaise. Marylène Owona veut que les enfants deviennent « acteurs » de la lutte contre cette pandémie qui a tué 437 personnes et en a contaminé 24 022 autres au Cameroun, selon les chiffres du 27 novembre du ministère de la santé publique. Bien qu’a priori simpliste, l’idée du coloriage positionne les très jeunes en acteurs et non plus en simples récepteurs de consignes. Lorsque les premiers cas ont été déclarés, le gouvernement a annoncé, mi-mars, la fermeture des frontières – qui n’ont toujours pas rouvert officiellement – et des établissements scolaires. A l’époque, Marylène voit bien qu’Ayo, sa fille de 2 ans, ne comprend pas pourquoi il ne faut plus s’embrasser, jouer avec les autres enfants ni sortir de la maison.

« Je cherchais un moyen de lui expliquer de manière ludique ce qu’il se passait et surtout de lui faire accepter les gestes barrières non pas comme une contrainte, mais comme une nécessité intéressante », se souvient la jeune femme de 34 ans, promotrice de Ma Famille, magazine africain dédié à la famille moderne, mais également conceptrice de jeux made in Cameroon. Cette mère de deux enfants pense aux autres parents plongés dans la même situation. Elle décide alors de concevoir ce cahier de coloriage et fait appel à une illustratrice.

Ensemble, elles dessinent avec pour objectif de faire vivre une aventure aux enfants à travers « un parcours initiatique pour devenir un superhéros contre le covid-19 », précise Marylène. Dès les premières pages, le décor est planté : l’image sombre du « vilain virus », le chamboulement observé à travers le monde, la fermeture des écoles.

« Mais, qui va nous sauver du Covid-19 ? s’interroge le livret. Le monde entier attend encore un superhéros. Et c’est toi super… qui vas nous sauver. Ta mission, si tu l’acceptes, est d’appliquer les mesures pour stopper le virus. » La « première arme » du héros est le salut du Wakanda, ce signe consistant à croiser le bras droit sur le bras gauche devant la poitrine, poings fermés. Un geste popularisé par le film Black Panther du superhéros noir des studios Marvel. « Les enfants qui ont vu le film adorent ce signe et ça cadre avec le contexte du coronavirus », souligne Marylène.

Le 28 mars, le livret, qui intègre de l’audio en français, anglais et en langues locales camerounaises (douala, ewondo) et sénégalaise (wolof), est mis en ligne avec un accès gratuit. Plus de 2 500 parents l’ont depuis téléchargé à travers le monde, comme Pechens Owona (sans lien de parenté avec Marylène). Sohan Sahel, son garçon de 4 ans, l’a tout de suite « adoré » et maîtrise désormais sur le bout des doigts les gestes barrières. « Il ne faut plus embrasser. Il faut se laver les mains avec de l’eau et du savon ou utiliser un gel hydro-alcoolique. Il faut éternuer et tousser sous son coude », récite-t-il.

« Kit des kids »

En juin, Marylène Owona a réalisé une version physique du livret. Le projet a remporté un prix de la Banque africaine de développement (BAD) et l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT). Cette dernière institution a déjà financé de par le monde des initiatives qui permettent les enfants de mettre « la main à la pâte », partant du principe qu’on apprend mieux en faisant, en s’engageant physiquement, que lorsqu’on reste spectateur ou simple auditeur. Au Cameroun, deux pharmacies le commercialisent 1 500 francs CFA l’unité (2,29 euros) et une centaine de familles et écoles l’ont commandé, accompagné d’un « kit des kids », pack de décoration et de coloriage constitué de peintures, de colle, de bâtonnets en bois, et de mousses, entre autres choses.

D’après Jeanne Bell, inspecteur pédagogique chargé de l’enseignement en maternelle pour la région du Littoral, ce carnet de coloriage est une « forme de sensibilisation » qui tient compte « de l’intérêt, de la maturité et du niveau de développement » des tout-petits. « Plus c’est du jeu avec des couleurs, plus c’est attrayant, plus c’est facilement retenu », précise cette professeure des écoles normales d’instituteurs de l’enseignement général. Peu à peu, l’esprit ludique se fait en effet une place dans les enseignements.

L’objectif de Marylène Owona est de faire intégrer l’ouvrage dans le programme de l’éducation nationale camerounaise et de concevoir « un ensemble d’outils pédagogiques adaptés aux enfants et enseignants camerounais et africains ». Après la pâte à modeler à base de produits 100 % locaux, elle compte lancer un jeu dînette pour Noël et finaliser un autre livret tourné vers l’apprentissage des langues. Pour financer tous ces projets, elle lancera prochainement une levée de fonds


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