jeudi 19 novembre 2020

Isolement des patients positifs au Covid-19 : le gouvernement n’exclut pas des « mesures coercitives »

Dans le fameux triptyque « tester, tracer, isoler », c’est le dernier volet qui ne fonctionne pas en France. Prenant acte de cet échec, Matignon réfléchit à rendre l’isolement des malades obligatoire.

Par  Publié le 19 novembre 2020

Lors de la première vague de Covid-19, une équipe de bénévoles du dispositif « Covisan » mis en place par l’AP-HP, à Paris, le 21 avril.

A la réception, derrière la paroi en Plexiglas, un mot de bienvenue attend les clients. Il s’étale en lettres noires sur une light box, ces boîtes lumineuses qui ornent les chambres des ados : « #Allsafe Mercure ». Port du masque obligatoire, gel hydroalcoolique à tous les étages, désinfection régulière des ascenseurs et des sanitaires, nettoyage à fond des chambres et du linge de lit, sens de circulation marqué au sol par des flèches…

« Nos hôtels sont capables de garantir des normes d’hygiène quasiment aussi élevées que celles des hôpitaux, assure Matthieu Menal, le directeur du Mercure de la porte d’Orléans, à Paris. Le label Allsafe a été validé par Bureau Veritas [spécialisé dans la certification], qui a contrôlé tous nos process. Ce ne sera pas ici qu’il y aura des contaminations. »

Et pour cause. Hormis quelques employés, l’hôtel quatre étoiles est désespérément en panne de clients, à l’instar de son bar et de son restaurant, fermés depuis le début du reconfinement, vendredi 30 octobre. Quand on demande à M. Menal quel est le taux de remplissage actuel de son établissement, un grand soupir s’échappe du masque chirurgical : « Difficile de partager là-dessus, disons qu’il est très faible. » Au point que le directeur vient de décider de fermer l’Ibis, juste à côté, également déserté.

En mai, quelques jours après la fin du premier confinement, Le Monde avait déjà rendu visite à M. Menal dans son hôtel de la porte d’Orléans. Fermé depuis le 19 mars, son établissement avait eu le droit de « rouvrir » avant les autres pour pouvoir accueillir des clients pas comme les autres : des patients atteints du Covid-19 dont l’état de santé ne nécessitait pas d’hospitalisation.

Trois étages (soit 65 chambres sur un total de 188) avaient été réagencés selon « un protocole très strict » pour héberger les malades pendant une durée d’une à deux semaines. Derrière son comptoir, pas encore protégé par du Plexiglas mais enrubanné de film plastique, Félix, le réceptionniste, attendait son premier « client » atteint du Covid-19. Il n’est jamais venu. Au bout de quatre semaines, l’expérience a pris fin.

« Dans les faits, il n’y a pas d’isolement »

L’hôtel était le dernier maillon du dispositif Covisan mis en place par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour casser les chaînes de transmission en isolant les personnes potentiellement contaminantes jusqu’au sein des familles. Le patron du groupe Accor, Sébastien Bazin, avait annoncé la mise à disposition de « plus de trois cents hôtels ». L’expérimentation devait essaimer dans toute la France avec un objectif : éviter que le déconfinement ne débouche sur une deuxième vague.

Son échec illustre celui, plus global, de la stratégie d’isolement à l’œuvre dans le pays. Dans le fameux triptyque « tester, tracer, isoler », c’est le volet qui fonctionne le moins bien. Un doux euphémisme pour Philippe Juvin, le chef des urgences de l’hôpital Georges-Pompidou, à Paris : « Aujourd’hui, dans les faits, il n’y a pas d’isolement. Ça ne sert à rien de tester des millions de Français si c’est pour ensuite les renvoyer chez eux lorsqu’ils sont positifs et infecter leur entourage. » Pour le professeur Juvin, il faut « proposer des alternatives », comme l’hébergement en hôtel, dont la piste a, selon lui, été trop rapidement abandonnée.

« Les Français sont raisonnables, si on leur propose des chambres d’hôtels, ils iront. Mais il faut leur expliquer et associer les élus locaux, estime celui qui est aussi maire (Les Républicains) de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine). L’expérience Covisan a duré quelques semaines seulement, c’est tombé d’en haut, sans impliquer les maires. Je n’ai jamais reçu d’instruction, ni en tant que chef des urgences, ni comme élu. Il fallait être détective privé pour savoir où ça se passait et dans quelles conditions. »

Chef du service de parasitologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Renaud Piarroux est à l’origine de Covisan : « Les gens n’ont pas envie d’aller à l’hôtel. Et encore moins durant ce deuxième confinement où personne n’est vraiment coincé. » L’épidémiologiste rappelle que l’hôtel (« un coup de com’du patron d’Accor ») était, dès le départ, « seulement une option » proposée par les équipes de Covisan aux personnes ne pouvant pas organiser leur isolement à domicile. Il n’en reconnaît pas moins que « la stratégie est complètement à repenser ». Avec l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), il vient de préparer une note à l’attention du ministère de la santé pour « une autre approche du “contact tracing” ».

Une amende de 10 000 euros

La recherche des personnes ayant été en contact avec des cas positifs est assurée par les « brigades » de l’Assurance-maladie et des agences régionales de santé. « Aujourd’hui, les gens reçoivent un SMS pour leur demander de s’isoler, ça ne peut pas marcher. En revanche, si vous prenez le temps de discuter pour expliquer que le but n’est pas de les isoler, eux, mais le virus pour ne pas le transmettre à leurs proches en faisant chambre à part à la maison ou en renonçant à la pause-café avec les collègues pendant dix jours, alors vous devenez beaucoup plus efficace », poursuit le professeur Renaud PiarrouxC’est en tout cas le message qu’il s’efforce désormais de faire passer aux équipes de Covisan et à ses étudiants en médecine. « Le mot isolement, ça fait un peu peur », admet l’infectiologue.

Pour le député (Agir) du Haut-Rhin Olivier Becht, c’est au contraire « la peur du gendarme » qui fait défaut à la doctrine française pour combattre l’épidémie : « On est en France, pas au Japon. Sans sanction, pas d’effet. » Le président du groupe parlementaire Agir ensemble, qui regroupe vingt députés de la majorité, a écrit au gouvernement pour lui demander la mise en place d’un « contrôle coercitif » : rendre l’isolement obligatoire (quatorze jours pour les personnes positives, une semaine pour les cas contacts), avec une amende de 10 000 euros en cas de non-respect. Le député rappelle que certains pays européens se sont déjà engagés dans cette voie : « Les sanctions peuvent aller jusqu’à 600 000 euros en Espagne, voire des peines de prison en Italie. »

Il plaide pour des « visites aléatoires des forces de l’ordre ou de l’Assurance-maladie, comme elle le fait parfois pour les arrêts de travail ». Au ministère de l’intérieur, on renvoie vers Matignon. A l’Assurance-maladie, on assure que sa mission actuelle n’est « pas de vérifier si les assurés respectent les règles d’isolement mais d’identifier les chaînes de contamination ».

« Le but n’est pas de fliquer les Français ni de les massacrer avec des amendes mais d’être suffisamment dissuasif pour empêcher qu’une personne positive ne sorte de chez elle et contribue à propager le virus, se défend Olivier Becht. Il faut changer de stratégie sinon on va continuer à enchaîner confinement, déconfinement, confinement… Ce n’est pas tenable dans la durée. » Le député alsacien propose de « réquisitionner » des hôtels et de faire appel au service civique pour porter assistance aux personnes isolées à domicile.

« Volontariat et civisme »

Cette approche coercitive se heurte à la question des libertés publiques. « Au lieu de priver de liberté toute la population, mieux vaut limiter celle des malades en les mettant en quarantaine dans des hôtels pendant une semaine ou deux, estime M. Becht, magistrat de formation. C’est comme ça que les pays d’Asie, y compris des démocraties comme la Corée du Sud ou Taïwan, ont pu juguler la contagion. »

Le ministre de la santé, Olivier Véran, s’est dit « pas intimement convaincu » par cette approche : « Cela n’a jamais été fait dans l’histoire de notre pays, y compris pour des maladies très infectieuses comme la tuberculose. » A Matignon, toutefois, selon nos informations, on n’exclut pas la mise en place de « mesures coercitives »« Rendre obligatoire l’isolement est une option qu’on travaille juridiquement. C’est sur la table », indique-t-on dans l’entourage du premier ministre.

Lors de son audition devant la commission d’enquête sur la gestion de la crise, mardi 17 novembre, Jean Castex a cependant indiqué qu’une telle approche se heurterait aux « mentalités de nos concitoyens ». Les arbitrages devraient être rendus « dans les prochaines semaines ». Au sujet des sanctions, « on regarde ce qui se pratique à l’étranger mais aucun pays n’a trouvé la martingale. Surtout, cela pose une question constitutionnelle et démocratique ». Comprendre : si cette piste était retenue, il faudrait en passer par la loi et un débat au Parlement.

Avant de « sortir l’artillerie lourde », l’exécutif continue à privilégier une approche fondée sur « le volontariat et le civisme ». Dans son allocution du 12 novembre, Jean Castex en avait appelé, « au-delà des contrôles », « au civisme de chacun » pour le respect du confinement.

Congé rémunéré

Dans la communauté enseignante, des professeurs s’indignent du comportement de « certains parents qui préfèrent envoyer leurs enfants à l’école alors qu’ils sont positifs ou cas contacts pour pouvoir travailler plus tranquillement à la maison ». Dans l’entourage du premier ministre, on reconnaît avoir péché sur « la pédagogie »« L’isolement est la question la plus compliquée, admet-on au sein de l’exécutif. On travaille à une nouvelle stratégie : tester, alerter, protéger. » Au passage, un changement sémantique s’est opéré : « isoler » a été remplacé par « protéger », moins anxiogène.

Dès septembre, le conseil scientifique alertait sur le « non-respect des mesures d’isolement par une partie (…) possiblement importante des personnes atteintes par le virus ou contacts à risque [qui] fragilise notre capacité à maîtriser les chaînes de transmission ». Mise en place par le gouvernement pour l’orienter dans la gestion de la crise sanitaire, l’instance ne soutient pas pour autant une approche plus contraignante.

« Notre position n’est absolument pas d’appeler à des mesures coercitives. Au contraire, assure Laëtitia Atlani-Duault, une de ses membres. Nous demandons la mise en œuvre d’une vraie stratégie faite de devoirs (l’auto-isolement à domicile) et de droits, couplant une stratégie de communication adaptée et surtout des mesures d’incitation et de compensation. » Parmi ces droits, celui de demander un congé rémunéré pendant la période d’isolement ou la prise en charge de services à domicile comme la livraison de repas.

Pour accroître l’acceptabilité sociale de l’isolement, le gouvernement s’est rangé derrière l’avis du conseil en réduisant, en septembre, la période de quarantaine de deux semaines à une semaine. Il n’a en revanche pas suivi ses recommandations sur des mesures incitatives. Il écarte aussi le recours aux hôtels : « C’est une mesure qui peut susciter une résistance et donc s’avérer contre-productive. » Le réceptionniste du Mercure de la porte d’Orléans n’est pas prêt de voir arriver son premier client atteint du Covid-19.


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