jeudi 26 novembre 2020

Femmes handicapées : plus concernées par les violences et moins protégées

Par Elsa Maudet — 

Au centre Citad’elles à Nantes, qui accompagne des victimes, mardi. La signalétique est adaptée aux personnes handicapées.

Au centre Citad’elles à Nantes, qui accompagne des victimes, mardi. La signalétique est adaptée aux personnes handicapées. Photo Théophile Trossat pour Libération

Les femmes en situation de handicap, davantage victimes que les valides, ont longtemps été les oubliées de la lutte contre les violences et des campagnes de prévention.

C’est un impensé. Alors que la société prend de plus en plus conscience de l’ampleur des violences conjugales et des ressorts psychologiques à l’œuvre, les femmes handicapées restent dans un angle mort. Avec cette idée qu’elles ne sont de toute façon pas en couple ou que, si c’est le cas, leur conjoint les protège. Pourtant, les chiffres en attestent : elles sont davantage victimes que les femmes valides. L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne estimait en 2014 que 34 % des femmes handicapées avaient subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire, contre 19 % des valides. A force d’entendre, dans les médias ou leur entourage, qu’avoir un handicap est une des pires choses qui puissent arriver, nombre de femmes ont intégré l’idée qu’elles ne valaient rien. «Beaucoup sont persuadées que leur conjoint est déjà bien gentil de s’occuper d’elles», constate la présidente de l’Association francophone de femmes autistes, Marie Rabatel. Résultat, face à une insulte, une humiliation, un coup, «elles culpabilisent, elles se disent "c’est normal qu’il en ait marre de temps en temps"», poursuit Claire Desaint, la coprésidente de l’association Femmes pour le dire, femmes pour agir. Une culpabilité dont profitent les agresseurs, à coup de «personne ne voudra de toi à part moi».

«On est des proies faciles»

Lola, 56 ans, a passé dix ans dans une relation toxique. «Comme beaucoup d’autistes, les choses se sont un peu faites à mon insu. Je n’ai jamais demandé à ce mec de s’installer chez moi. Il s’est installé, ça a été insidieux, raconte-t-elle. On est des proies faciles. Je ne connais pas de femmes autistes, surtout de ma génération, qui ne soient pas tombées sur des pervers narcissiques.» Les études montrent qu’elles sont en effet davantage victimes de violences, notamment sexuelles, que les autres. Lola est brillante, parle plusieurs langues, mais ne comprend pas les codes des relations sociales. Son ex en a profité, la rabaissant dès qu’elle manifestait son incompréhension. «Il me disait que je ne valais rien, […] que je n’étais pas une bonne mère, une bonne compagne. Tout ça avec des sous-entendus et du sarcasme, qu’en tant qu’autiste je ne peux pas comprendre. Au bout du compte, sans que vous sachiez ni comment ni pourquoi, vous vous retrouvez tous les soirs broyée.»

Aux ressorts affectifs et psychologiques s’ajoute souvent une dépendance économique. Car l’allocation aux adultes handicapés (AAH) est versée aux personnes ayant un taux d’incapacité d’au moins 80 % et des revenus annuels ne dépassant pas 19 607 euros pour l’ensemble du foyer. Les ressources du partenaire sont donc prises en compte dans le calcul. «Si votre conjoint gagne 1 600 euros, vous avez 0 euro d’AAH, donc vous n’avez plus du tout de ressources personnelles pour envisager de partir», illustre l’administratrice d’APF France Handicap, Pascale Ribes. Les associations demandent justement depuis des années que l’AAH soit décorrélée des revenus du conjoint.

Commissariats pas accessibles

Difficile pour nombre de femmes handicapées de comprendre qu’elles sont dans une relation violente car elles ne sont souvent pas touchées par les campagnes de sensibilisation, qui ne sont généralement traduites ni en langue des signes, ni en français facile à lire et à comprendre (adapté aux personnes ayant un handicap mental), ni en braille… Ce mercredi, Femmes pour le dire, femmes pour agir lance justement le site «Ecoute violences femmes handicapées», accessible à de nombreux handicaps et dédié à ces victimes et à leurs proches. Un centre de ressources et un guide pour aider les femmes à repérer les violences, quitter le domicile, porter plainte.

Car l’étape de la plainte présente, elle aussi, une difficulté supplémentaire. D’une part parce que les commissariats ne sont généralement pas accessibles, que ce soit au handicap moteur ou auditif. «Il n’y a pas d’interprètes en langue des signes dans les commissariats. J’ai vu un policier demander à une femme sourde de mimer un viol», relate la directrice de l’association Droit pluriel, Anne-Sarah Kertudo. D’autre part, parce que les policiers et gendarmes, à l’image de la société, peinent à prendre leurs interlocutrices au sérieux. «Les prédateurs, à l’extérieur, sont très gentils, dévoués, alors les policiers pensent que c’est normal qu’ils en aient marre, affirme Claire Desaint. Ils se disent aussi qu’elles ne sont pas assez jolies ou séduisantes pour qu’on les agresse sexuellement», oubliant que les violences ne sont pas le fruit d’un trop-plein de désir mais d’une domination.

Ultime étape, quand les femmes handicapées ont réussi à traverser les précédentes : se mettre à l’abri dans un lieu d’accueil accessible. Ce qui ne court pas les rues. Des enfants se retrouvent par exemple à servir d’interprète en langue des signes pour leur mère sourde, et ainsi à raconter les agressions commises par leur père. Par ailleurs, peu de chambres sont adaptées aux fauteuils roulants.

Face à toutes ces difficultés, l’ampleur de la tâche semble vertigineuse. Mais l’an passé, un groupe dédié au handicap a planché, lors du Grenelle des violences conjugales, sur un certain nombre de mesures, parmi lesquelles la formation des professionnels intervenant auprès de personnes handicapées à la question des violences. «Les choses bougent. Trop lentement, mais ça bouge», conclut Pascale Ribes.



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