mardi 13 octobre 2020

Thomas Vinterberg : « Boire, c’est accepter l’irruption de l’incontrôlable »

Le réalisateur et scénariste de « Drunk » a voulu explorer tous les effets de l’alcool sur les individus, en évitant toute posture morale.

Propos recueillis par  Publié le 13 octobre 2020


Le réalisateur danois Thomas Vinterberg, en août.

Un bar de grand hôtel à Lyon. Le matin. Trop tôt pour un premier verre avec le Danois Thomas Vinterberg, réalisateur et scénariste de Drunk, qui explique apprécier dans l’alcool l’irrationalité qu’il introduit dans le comportement des consommateurs.

Quels films vous ont guidé pendant l’élaboration de « Drunk » ?

J’avais bien sûr en tête Husbands [1970], de John Cassavetes, sur la virée de trois quadragénaires endeuillésLa Grande Bouffe [1973], de Marco Ferreri, un suicide par l’excèsFight Club [1999], de David Fincher, où la violence est l’exutoire du mal-être. En revanche, je ne voulais surtout pas refaire Les Idiots [1998], de Lars von Trier, même si j’admire ce film.

Vos quatre personnages, qui cherchent à guérir leur dépression par l’alcool, dessinent-ils un portrait du Danemark ?

J’ai essayé. C’est un pays très rationnel, politiquement correct et oppressant, en raison de sa petitesse. Mes personnages se sentent seuls, ils ont perdu l’appétit de vivre, la curiosité, le sens du risque. L’alcool recrée du lien, du vivre-ensemble. De l’inspiration.

« Lorsque Churchill envoie une flottille de petits bateaux récupérer une partie de l’armée britannique à Dunkerque, sommes-nous sûrs qu’il était sobre ? »

Aujourd’hui, nos vies sont contrôlées par la technologie, les réseaux sociaux. Porter une bouteille d’alcool à ses lèvres, c’est accepter l’irruption de l’incontrôlable, comme lorsqu’on tombe amoureux, c’est prendre une direction qui n’était pas prévue, et des risques. C’est retrouver du courage. Lorsque Churchill envoie une flottille de petits bateaux récupérer une partie de l’armée britannique à Dunkerque, sommes-nous sûrs qu’il était sobre ?

Donc buvons sans entraves ?

Le film est une déclaration d’amour à l’irrationalité. En période de Noël se déroulent des quantités de fêtes dans les entreprises. Elles donnent lieu à des beuveries incroyables. C’est quelque chose de la culture de mon pays dont je suis fier, même si je devrais normalement en avoir un peu honte. J’aime aussi mon pays pour cette folie.

On peut aussi mourir de l’alcoolisme…

Evidemment, d’ailleurs un des personnages de Drunk ne se relève pas de cette expérience. J’ai essayé d’explorer tout le spectre de l’alcool, de l’euphorie à la dépression. Mais je ne l’ai pas fait par une sorte d’obligation morale ou par volonté de rééquilibrer le film. En art, l’obligation morale est mauvaise conseillère.

Martin, le personnage principal, est profondément triste. Cette tristesse, est-ce la vôtre ?

Non. Ma fille est morte quatre jours après le début du tournage [elle est morte en mai 2019 dans un accident de voiture], mais lorsque j’ai écrit le scénario, j’avais une belle vie. Même si je partage la peur de vieillir de Martin, le film a une ambition supérieure aux aléas de mon existence.

Les femmes apparaissent comme très castratrices, non ?

Pas d’accord ! Elles ne partagent pas l’ivresse, soit, mais les objectifs de leurs compagnons, oui. Elles sont solidaires de leur projet. La femme de Nicolaj ne supporte pas qu’il ne se contrôle plus, quant à celle de Martin, elle regarde cette entreprise d’un œil extérieur puisqu’elle est suédoise. Mais il s’agit avant tout d’un film d’hommes blancs tentant de résoudre leurs problèmes en buvant systématiquement. Je revendique un droit de rétractation dans ce débat femmes-hommes.

Pourquoi tournez-vous toujours avec les mêmes acteurs, tels que Mads Mikkelsen ou Thomas Bo Larsen ?

J’aime notre complicité, notre confiance réciproque. Lorsque j’écris un scénario, je le fais pour eux, je donne leur nom à mes personnages. Mes acteurs sont mes héros.

Avez-vous testé la théorie fondatrice du film selon laquelle il faudrait toujours avoir 0,5 gramme d’alcool dans le sang ?

Nous avons essayé pendant les répétitions… Je me suis senti plus précis, plus courageux. Je sais ce qui me manque quand je ne bois pas. Mais on peut trouver l’ivresse même sans alcool. Pendant le tournage de la scène où les étudiants font une course autour du lac en vidant des bières, ils étaient littéralement déchaînés, comme s’ils avaient bu.

Redoutez-vous d’être entraîné dans une polémique pour apologie de la biture ?

Je m’y attendais mais, hélas, il n’y en a pas eu. Lors des projections tests, le qualificatif qui revenait le plus souvent dans les commentaires était « touchant » et non pas « provocant ». En fait, il y a autant d’interprétations que de spectateurs. Des gens dont la famille a été détruite par l’alcool se sont retrouvés dans Drunk. D’autres se sont rués sur des packs de bières après l’avoir vu.

A quand remonte votre dernière cuite ?

Au début du printemps, quand j’ai appris que le film était sélectionné à Cannes… Une cuite pour rien, finalement !



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