dimanche 18 octobre 2020

L’Histoire contre l’islamisme

Par Luc Le Vaillant — 

Hommage des enseignants et habitants au professeur assassiné vendredi par un terroriste islamiste

Hommage des enseignants et habitants au professeur assassiné vendredi par un terroriste islamiste Photo Stephane Lagoutte. myop pour «Libération»

Il faut dire l’abjection, et essayer de ne pas désespérer. Il faut pleurer Samuel Paty, professeur de collège, décapité par un terroriste islamiste, et essayer de ne pas désespérer de la nature humaine, de ses dévotions indignes, de ses croyances insupportables, de ses agenouillements abrutis.

Il faut saluer la grandeur d’un enseignement dispensé pour éclairer les consciences, et essayer de ne pas désespérer de parents d’élèves qui, pour des raisons religieuses, contestent la connaissance et le savoir, la raison et la libre pensée, le droit au blasphème et à la satire.

Il faut se convaincre que les fondamentalistes musulmans, leurs tueurs sanguinaires et les pousse-au-crime qui rôdent alentour peuvent être renvoyés dans les limbes d’où ils n’auraient jamais dû sortir. Et il faut essayer de ne pas désespérer de la tolérance démocratique que nous devons maintenir coûte que coûte, de la bienveillance laïque qui est due aux plus obscurantistes d’entre nous.

Un tueur, agissant au nom d’Allah, a décapité un enseignant parce qu'il avait montré et commenté des caricatures de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression. Il n’est pas neutre que Samuel Paty ait été en charge d’enseigner l’histoire. L’histoire est un processus évolutif, ce n’est pas une vérité révélée. L’histoire est pleine de bruit et de fureur, mais elle a des lignes de force et des lignes de crête, une chronologie qui n’empêche pas la mise en perspective et la remise en cause, au contraire. L’histoire n’est pas dieux et diables, paradis et enfer, bien et mal, vices et vertus. L’histoire est d’autant moins une Bible ou un Coran, que ce n’est pas une voie unique ou une morne plaine.

Ensuite, les religions, comme l’histoire, sont des créations humaines, des récits des origines, des champs de forces symboliques. La différence tient au fait que les religions sont des systèmes clos et des dispositifs idéologiques qui visent à régenter l’ensemble des comportements humains -éducation, nourriture, sexualité, procréation, etc. L’histoire, elle, s’essaie comme elle peut à raconter les hommes depuis qu’ils sont hommes. Elle dit comment ils se sont affrontés, entretués, aimés. Elle dit comment ils ont changé, grandi, bâti, et comment parfois ils régressent, périclitent, disparaissent.

Dans sa revendication de l’attentat, le jihadiste aurait présenté Emmanuel Macron comme le «dirigeant des infidèles». Si l’on veut essayer de ne pas désespérer, il faut se féliciter d’être désignés à la vindicte meurtrière comme des infidèles. Cela signifie que nous sommes des individus émancipés que n’encagent pas des soumissions archaïques à des idoles abusives. Cela signifie que nous choisissons nos fidélités et que nous avons le droit de les révoquer, car nous sommes bien conscients que l’éternité n’est pas de ce monde. Cela s’appelle la démocratie ou le divorce, ce dernier n’ayant rien à voir avec la répudiation. Ce droit à l’infidélité signifie que l’apostasie m’est permise, si jamais, que Dieu m’en garde, il m’arrivait de croire, au lieu de ne pas croire.

Devant le collège de Conflans, triturant son masque noir entre ses doigts, visage moite d’émotion et de colère, Macron a répété par deux fois: «Ils ne passeront pas.» Le citoyen que je suis a apprécié, espérant qu’il ne soit pas trop tard, tant l’acceptation d’un concept comme celui d’«islamophobie» peut entraver la nécessaire critique de toutes les religions. En revanche, l’historien que je ne suis pas vraiment a de quoi s’inquiéter. La reprise de ce slogan républicain jeté à la face des partisans de Franco pendant la guerre d’Espagne est un magnifique cri de résistance antifasciste et libertaire. Malheureusement, ceux qui hurlaient «viva la muerte» l’ont emporté et le joug du franquisme a mis longtemps à être levé.

Il faut saluer la mémoire du professeur assassiné et faire le nécessaire pour que l’Education nationale puisse continuer à enseigner paisiblement le Big Bang et Darwin, la reproduction sexuée et la natation, aux filles comme aux garçons, de toutes origines, de toutes confessions. Afin d’essayer de ne pas désespérer.



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