lundi 12 octobre 2020

«Les Hallucinés», délires au sommet

Par Fabrice Drouzy — 

La chaîne de l'Himalaya en novembre 2014.

La chaîne de l'Himalaya en novembre 2014. Photo Roberto Schmidt. AF

Spécialiste de l’Himalaya, Thomas Vennin raconte les mirages subis lors d’expéditions par des alpinistes à cause de la raréfaction de l’oxygène.

Un alpiniste qui tente de prendre Snoopy en photo. Un autre qui dialogue avec ses orteils (qui évidemment lui répondent) pendant qu’un troisième s’assoit pour commander une bière au beau milieu du ressaut Hillary (ultime difficulté technique de l’Everest située à 8 790 mètres d’altitude, juste en dessous du sommet). Un vieillard sorti de nulle part qui se transforme en musicien assis sur son violoncelle pour accompagner un summiter à la descente. Un Français qui offre à une cordée épuisée du Saint-Nectaire. Une vieille dame qui exige une chaussure contre une tasse de thé (ce que l’alpiniste transie, en l’occurrence Elisabeth Revol lors d’un bivouac dramatique sur le Nanga Parbat en février 2018, accepte bien volontiers)…

On pourrait continuer longtemps ce savoureux inventaire. Bienvenue «au pays de l’air rare», pour reprendre le titre du célèbre récit de Jon Krakauer, pays dans lequel les éléphants roses sont plus courants que les yétis ! Car les lois de la physique sont catégoriques : celui qui monte croise indubitablement la pression atmosphérique qui descend. Conséquence : l’oxygène diminue, de l’eau s’infiltre dans le cerveau et les poumons. Ajouter la déshydratation, l’épuisement, le stress, les températures glaciales… et vous obtenez ces étonnants cocktails composés, au choix, d’œdèmes, d’hypoxies, rêves hypnagogiques, psychoses, autoscopies ou décorporations diverses, que médecins et neurologues tentent d’analyser depuis que les hommes se sont mis en tête de gravir les plus hauts sommets.

C’est le récit de ces «rencontres» que Thomas Vennin, grand connaisseur de l’Himalaya et brillant conteur, détaille dans son ouvrage. Mais attention, si un lapin à chapeau ne détonne guère dans une boucherie apparue au détour d’un sérac pour offrir des saucisses à un alpiniste affamé, toutes les folies n’ont pas la même origine ni les mêmes conséquences. Rêves éveillés, expériences de «réalité étendue» ou divagations avant un coma mortel, le paysage mental des sommets est complexe et fortement lié à la personnalité des summiters. Tel grimpeur épuisé sera ainsi sauvé par l’apparition d’un compagnon ou d’une petite voix qui lui indiquera la marche à suivre ; tel autre apercevra l’au-delà ou un proche disparu avant de se ressaisir et revenir dans le royaume des vivants ; tandis que les derniers sombreront, vaincus par les mauvais génies et le mal aigu des montagnes…

«Il n’y a pas de place dans la haute montagne pour le fantastique, parce que la réalité y est par elle-même plus merveilleuse que tout ce que l’homme pourrait imaginer», écrivait René Daumal. Une affirmation que ne contrediront pas ceux qui ont finalement pu rejoindre le camp de base, avec ou sans orteils. Mais qu’en auraient pensé tous les alpinistes restés là-haut pour rejoindre les étoiles ?

Thomas Vennin Les hallucinés, un voyage dans les délires d’altitude Paulsen, coll. «Guérin», 152 pp.




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