mercredi 14 octobre 2020

«La vision d’un vaccin efficace dans quelques mois est illusoire»


 


Par Nathalie Raulin — 

Les industriels doivent avoir au moins deux mois de recul après l’injection de la dernière dose aux volontaires des essais cliniques de phase 3 avant de demander la commercialisation.

Les industriels doivent avoir au moins deux mois de recul après l’injection de la dernière dose aux volontaires des essais cliniques de phase 3 avant de demander la commercialisation. Photo PA Photos. Abaca

Pour le directeur scientifique de l’entreprise de biotech TheraVectys, le virologue Pierre Charneau, la course aux vaccins «tue l’innovation». Et selon lui, la méthode utilisée pour savoir s’ils sont protecteurs n’est pas la bonne.

Attendu un peu partout sur la planète, le vaccin anti-Covid que l’industrie pharmaceutique promet pour 2021 sera-t-il à la hauteur des espérances ? Selon Pierre Charneau, le directeur du laboratoire de vaccinologie commun à l’institut Pasteur et à l’entreprise de biotech Theravectys, rien n’est moins sûr. Selon lui, le critère retenu pour juger de l’efficacité des candidats vaccins ne présume pas de leur capacité à protéger les individus.

Aujourd’hui, neuf candidats vaccins sont entrés en phase 3, dernière étape de la validation chez l’homme. Cela signifie-t-il que l’on pourra disposer rapidement d’un vaccin efficace contre le Sars-CoV-2 ?

Je l’espère, même si je suis assez pessimiste. Cette apparente diversité est trompeuse. Les technologies vaccinales utilisées par les candidats vaccins actuellement en phase 3 sont en fait seulement de trois types : il y a d’abord les vaccins de type ARN, ensuite les vaccins basés sur les technologies de vecteur adénoviral - on modifie un virus pour le rendre non infectieux et on insère à l’intérieur l’enveloppe du virus corona pour générer des réponses immunes - et enfin les vaccins à base de virus inactivés, technologie du vaccin «à l’ancienne».

Toutes ces techniques induisent de bonnes réponses anticorps neutralisants dans le sang, ce que la communauté scientifique, y compris moi-même, a longtemps considéré comme l’arme fatale contre le coronavirus. C’est donc le critère qu’ont retenu les autorités sanitaires pour qu’un candidat vaccin en phase 2 soit jugé prometteur et admis à passer en phase 3. Or il y a un problème.

Lequel ?

Nous venons de démontrer en laboratoire que les anticorps neutralisants présents dans le sang ne participent que très partiellement à la protection d’un individu. Ce sont en réalité les anticorps présents dans les muqueuses nasales et pulmonaires, ainsi que les cellules cytotoxiques, qui contribuent le plus à bloquer l’entrée du virus ou à éliminer les cellules infectées… Je crains donc que l’on juge l’efficacité de ces candidats vaccins sur un mauvais corrélat de protection.

Comment êtes-vous arrivé à cette conclusion ?

Contre le Covid, il y a de multiples approches vaccinales, près de 150 en phase préclinique. Theravectys a choisi de ne pas griller les étapes de développement. On a décidé de mettre au point d’abord un vaccin très efficace dans les modèles animaux, une stratégie classique dans le monde d’avant Covid. En testant notre candidat, basé sur un vecteur dit lentiviral, nous avons fait une découverte inattendue. Quand on a injecté notre vaccin aux animaux par voie intramusculaire, on a vu qu’on générait de très fortes quantités d’anticorps neutralisants, très au-dessus de l’immunité des patients guéris du Covid. On s’est dit que c’était gagné, que c’était très simple, qu’il suffisait d’une seule injection intramusculaire pour protéger. Pour confirmation, on a infecté les animaux avec le virus du Sars-CoV-2 et là, coup dur : alors que le virus aurait dû être indétectable, on a réalisé que la protection obtenue était en réalité très faible, de l’ordre d’un facteur 10 [ce qui correspond à une division par 10 de la présence du virus, un chiffre peu satisfaisant, ndlr].

On était d’autant plus loin du compte qu’il fallait une démonstration d’efficacité plus que convaincante chez les animaux pour que cela ait une chance de fonctionner chez l’homme, a fortiori dans la cible vaccinale du Covid, à savoir des personnes âgées ou très âgées dont on sait qu’elles répondent moins bien au vaccin. Pour tenter d’améliorer l’immunité, on a administré aux animaux une injection rappel intramusculaire classique. On a de nouveau observé une nouvelle très forte augmentation des anticorps neutralisants.

Mais là encore, quand on a «challengé» les animaux avec le virus, la protection ne s’est pas améliorée. On a alors testé l’impact d’une injection rappel par voie intranasale. Cette fois, nous n’avons observé aucune augmentation des anticorps neutralisants dans le sang.

En revanche, on avait une réduction de la réplication du virus dans le poumon d’un facteur 100 000, et même un virus indétectable pour certains animaux. On avait donc là une très forte protection. On a ensuite montré qu’elle était due à un type d’anticorps que l’on retrouve dans les muqueuses pulmonaires, qu’on appelle des IgA, qui s’avèrent être beaucoup plus protecteurs contre le Covid que les anticorps qu’on trouve dans le sang. La grande leçon, c’est que pour avoir un vaccin efficace, il faut absolument amener les réponses immunes protectrices à la porte d’entrée du virus, donc les voies respiratoires supérieures.

Les candidats vaccins en phase 3 ont-ils cette approche ?

Non. Aucun ne stimule l’immunité dans les muqueuses pulmonaires, et pas non plus les vaccins en phase 1 ou 2. Ils tablent tous sur l’injection intramusculaire qui vise à stimuler la production d’anticorps neutralisants dans le sang. Surtout, la plupart, et en particulier les vaccins ARN ou Adéno, provoquent des réactions trop inflammatoires à mon avis pour être administrés par voie nasale.

Quels autres problèmes soulèvent les candidats vaccins les plus avancés ?

On peut s’interroger sur la durée de protection qu’ils assurent. Sans en avoir encore de preuve formelle, quoiqu’on y travaille, nous avons aujourd’hui la conviction que la protection à long terme relève davantage d’une réponse cellulaire, via l’activation de cellules cytotoxiques qui vont tuer les cellules infectées, que des anticorps neutralisants qui en réalité disparaissent assez rapidement après infection ou vaccination.

Or les candidats vaccins actuellement en phase 3 ne stimulent pas ce type de réponse cellulaire : les technologies à base d’ARN sont réputées pour n’en générer aucune, et pas de façon durable s’agissant des vecteurs Adéno ou de virus inactivé. On en aura le cœur net après publication des premiers résultats de la phase 3 : on pourra alors juger du taux de contamination d’un groupe témoin par rapport à un groupe vacciné sur un très grand nombre d’individus. On aura ainsi une idée précise de la protection réelle qu’offrent ces vaccins putatifs, mais pas de la durée de la protection.

On peut aussi s’interroger sur la faisabilité industrielle de distribution de ces vaccins à grande échelle. L’ARN est une molécule fragile. Idem pour les particules de vecteurs adénoviraux. On doit donc les conserver dans le très grand froid, ce qui interdit quasiment leur distribution hors hôpitaux ou structures spécialisées. Cette vision d’un vaccin efficace inondant la planète dans quelques mois est complètement illusoire.

Néanmoins, cette course au vaccin ne stimule-t-elle pas la recherche partout dans le monde ?

Je considère au contraire que cette précipitation dans le développement vaccinal tue l’innovation. Cela profite largement à des technologies déjà présentes depuis longtemps dans les Big Pharma [les grandes industries pharmaceutiques, ndlr], quand bien même certaines, comme les techniques ARN ou Adéno, n’ont pour l’heure généré aucun vaccin humain commercialisé. Les petites biotechs ne sont pas entendues et n’ont pas accès aux centaines de millions de subventions dont bénéficient les Big Pharma.

Pourquoi selon vous ?

C’est qu’avant de penser efficacité et sécurité du produit, les autorités pensent capacité de production. J’ai eu récemment au téléphone un des organismes qui financent très largement les développements vaccinaux Covid. Leur première question est : «Etes-vous capables de produire 300 millions de doses en trois mois ?» Evidemment la réponse est non. Et je doute que même les Big Pharma en soient capables. Mais que ce critère soit un prérequis pour accéder à des financements, freine considérablement l’innovation, aucune petite biotech n’ayant de capacité de production et de distribution planétaire.

Dans ce contexte, que pensez-vous des précommandes réalisées par les Etats-Unis ou par l’Union européenne auprès des Big Pharma ?

Cela m’attriste. En fait, le risque financier et industriel est davantage pris par les gouvernements que par les entreprises bénéficiant de ces précommandes. Je comprends la panique après la première vague et surtout la nécessité impérieuse de relancer l’économie pour éviter des conséquences sociales et même sanitaires dramatiques. Mais cette course au vaccin sans preuves d’efficacité et de sécurité réelles est pour le moins surprenante. J’espère que ces précommandes sont au minimum conditionnées par une validation en phase 3 de l’efficacité et de l’innocuité de ces vaccins.


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