mercredi 14 octobre 2020

En Suède, haro sur le « style gangster » dans des écoles privées

Alors que la loi interdit l’uniforme, des établissements la contournent et imposent une tenue réglementaire, en l’utilisant comme un argument marketing pour attirer les meilleurs élèves.

Par  Publié le 14 octobre 2020

Une cour d’école à Stockholm.

LETTRE DE STOCKHOLM

Il n’y a pas qu’en France que les tenues des élèves font polémique. En Suède, un e-mail envoyé aux parents par le proviseur d’une école privée de Göteborg suscite la controverse. Il n’y est pas question de « crop tops », laissant voir le nombril des filles, ou de shorts trop courts, dévoilant des bouts de cuisse. Mais du « style gangster » adopté par certains élèves, que la direction veut bannir. Visés : les pantalons de jogging et les sacs banane.

Pour le principal de l’école Jensen, Sebastian Nyrén Vanneryr, ce look est « associé à une culture macho, à l’exclusion et à la criminalité ». Il crée « un environnement moins bon et une image négative de l’élève », alors qu’une tenue plus appropriée, assure-t-il dans son courriel, aura « un effet positif sur les résultats, le sentiment de sécurité et la confiance en soi ». Il recommande que chaque élève dispose ainsi d’un « ensemble de vêtements portant la marque Jensen, par exemple deux tee-shirts et un polo ».

Interrogé sur ces recommandations, Mats Rosén, chef du primaire et du collège auprès de Jensen Education, un des principaux groupes scolaires privés en Suède, a assuré qu’elles avaient pour objectif de « préparer les élèves à la réalité, où on adapte son style vestimentaire à chaque situation ».

Concernant les tenues mises à l’index, il estime que « certains attributs et styles vestimentaires sont associés à certains groupes et l’attention se concentre plus sur les vêtements dans le groupe que sur les études ». Exit donc le survêt et le sac banane.

Un mouvement « Ne touche pas à ma casquette »

En Suède, les discussions sur la tenue des élèves ne sont pas nouvelles. Le port de la casquette, par exemple, revient régulièrement à l’ordre du jour. De nombreuses écoles l’avaient bannie en classe, avant que des pédagogues clament, en 2018, qu’elle pouvait aider certains élèves souffrant de troubles de concentration. Un mouvement « Ne touche pas à ma casquette » a vu le jour, poussant les établissements à réhabiliter le couvre-chef.

Concernant l’uniforme, l’Agence nationale de l’éducation (Skolverket) précise, sur son site Internet, que le droit de choisir ses vêtements est, « jusqu’à une certaine mesure, couvert par la liberté d’expression, garantie par la Constitution ». Elle rappelle également que « selon la loi scolaire et les programmes, la liberté et l’intégrité de l’individu font partie des valeurs qui doivent imprégner l’école » et que la mission de l’école est de permettre à chaque élève de « trouver son identité ». « Choisir ses vêtements peut être une façon d’y parvenir », ajoute encore l’agence nationale.

Ainsi, à l’automne 2017, l’inspection scolaire avait rappelé à l’ordre la direction du groupe Nordic International School, pour avoir imposé l’uniforme dans ses écoles. Trois ans plus tard, les élèves continuent de le porter. La direction s’est contentée de retirer les quelques lignes du règlement prévoyant une sanction en cas de non-respect de la tenue réglementaire, la rendant optionnelle.

Plus que l’uniforme, c’est la manière dont il est utilisé par certains établissements privés, pour assurer leur promotion, qui provoque la controverse. Dans son courriel, le principal de l’école assume, précisant que son établissement « n’est pas pour tout le monde ». Son site Internet fait l’éloge de « la discipline et la tranquillité ». Seuls les élèves appréciant « un rythme élevé, un niveau avancé, beaucoup de devoirs et plus de tests » sont les bienvenus.

Financement à 100 % par les communes

Rien de choquant, à première vue, pour une école privée. Sauf qu’en Suède, les établissements, publics et privés, sont financés à 100 % par les communes. En échange, les parents ne paient aucun droit d’inscription et les écoles ne peuvent pas choisir leurs élèves. En théorie, en tout cas. Car dans la réalité, ce genre de message a surtout pour effet d’attirer les familles issues de milieux socio-économiques privilégiés, qui inscrivent leurs enfants sur la liste d’attente de ces établissements le plus tôt possible.

Le principal de l’école Jensen de Göteborg, installée en plein centre-ville, s’en réjouit. Dans son courriel, il rappelle que, il y a quelques années, « 90 % des élèves venaient de quartiers défavorisés et l’ambiance à l’école n’était pas caractérisée par la sécurité et le calme, dont nous sommes tellement fiers aujourd’hui ». La discipline et le niveau d’exigence élevé ont changé les choses : « Désormais, au moins 90 % des élèves viennent du quartier et nous attirons sans aucun doute les élèves les plus ambitieux et attentifs », précise MNyrén Vanneryr.

Révoltés par le message, plusieurs parents ont contacté la mairie, qui a elle-même alerté l’inspection scolaire. « Si on commence à avoir des écoles en Suède où certains enfants, avec certains vêtements, ou qui vivent dans certains quartiers, ne se sentent pas les bienvenus, alors on rate le fait que l’école est un moyen d’unifier la Suède », a réagi Anna Ekström, la ministre sociale-démocrate de l’éducation.

Dans les faits, c’est pourtant déjà le cas. A plusieurs reprises, ces dernières années, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a mis en garde contre la ségrégation scolaire en Suède. Une enquête réalisée par la radio publique, en septembre, montre qu’elle n’a fait qu’empirer ces dix dernières années. Pour tenter d’y remédier, les communes ferment certains établissements et imposent des cartes scolaires. Sans beaucoup de résultats pour le moment.



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