vendredi 2 octobre 2020

Conditions de détention : le Conseil constitutionnel exige une loi pour faire respecter la dignité humaine en prison

 

Après la condamnation historique de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour absence de recours des détenus, la loi sur la détention provisoire est censurée.

Par  Publié le 2 octobre 2020


Une cellule de la prison de Fresnes, dans le Val-de-Marne, en octobre 2018.

Il aura fallu huit ans de procédures devant les tribunaux jusqu’à une condamnation historique de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le 30 janvier, pour que l’Observatoire international des prisons (OIP)-section française obtienne que le droit à la dignité dans les prisons soit reconnu par la loi de façon réelle. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel a censuré, vendredi 2 octobre, un article du code de procédure pénale sur ce point.

Surtout, il donne cinq mois (d’ici le 1er mars 2021) au Parlement pour voter une nouvelle loi permettant aux personnes placées en détention provisoire de faire respecter ce droit à être incarcéré dans des conditions qui ne violent pas la dignité humaine. Si le délai laissé au législateur est si court, c’est que l’institution estime, ici, que l’atteinte à un droit constitutionnel est particulièrement grave. Concrètement, la censure du second alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénale ne prendra effet que le 1er mars.

Dans sa décision, le Conseil rappelle qu’il ressort du préambule de la Constitution de 1946, que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ». Second principe constitutionnel invoqué, le droit à un recours effectif devant une juridiction.

Trente-deux procédures intentées

C’est au nom de ces deux principes que la CEDH a condamné la France dans un arrêt regroupant trente-deux procédures intentées par des détenus de six prisons de métropole et d’outre-mer. A l’audience du 22 septembre devant le Conseil constitutionnel, Maxime Gouache, avocat d’un détenu de la prison de Ploemeur (Morbihan), a raconté que son client partageait avec deux codétenus une cellule de 8 mètres carrés avec un matelas au sol, la cour d’appel de Rennes estimant que ce n’était pas son problème. Patrice Spinosi, avocat de l’OIP et du second détenu à l’origine de la QPC, a rappelé que devant la CEDH, c’était « le même constat à chaque fois : des détenus parqués dans des cellules insalubres, avec souvent des nuisibles : rats, puces de lit, scolopendres ».

Dans sa décision de censure, le collège présidé par Laurent Fabius a rejeté les arguments du premier ministre sur le fait que les détenus peuvent saisir le juge administratif lorsqu’ils estiment leurs conditions de détention contraires à la dignité. « Les mesures que ce juge est susceptible de prononcer (…) ne garantissent pas, en toutes circonstances, qu’il soit mis fin à la détention indigne », constate le Conseil.

De fait, le juge administratif condamnait l’administration pénitentiaire le plus souvent à indemniser le détenu, sans pour autant corriger la situation. « Le juge ne doit plus se contenter de monnayer la honte », avait plaidé Me Spinosi. « Aucun recours devant le juge judiciaire ne permet au justiciable d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire », déplore ainsi la décision de censure.

Revirement de jurisprudence de la Cour de cassation

L’une des difficultés soulevées par cette QPC, qui permet à tout justiciable de saisir les gardiens de la loi fondamentale, pour vérifier si une disposition législative qui lui est opposée est conforme aux principes constitutionnels, était que la Cour de cassation a déjà apporté une réponse dans sa décision du 8 juillet.

Tirant les conséquences de la condamnation par la CEDH, la Cour a opéré un revirement de jurisprudence et jugé qu’il revenait au juge judiciaire de veiller au respect des conditions de détention des personnes incarcérées, le temps d’une information judiciaire ou en attente d’être jugé. Allant jusqu’à dire que s’il ne pouvait pas être remédié à des conditions violant la dignité humaine, le juge devait ordonner la libération immédiate de la personne. Le Conseil constitutionnel a choisi de juger la loi, sans tenir compte de son interprétation par la Cour de cassation.

Un projet de loi particulièrement délicat va désormais devoir être concocté. Car l’alternative ne pourra pas être binaire entre le maintien en détention et une libération pure et simple. Il va falloir donner à l’administration pénitentiaire les moyens de gérer cette situation pour que cela ne se solde pas par l’ouverture des portes des prisons.

« Le but, ce n’est pas de mettre les gens dehors, mais que les personnes détenues le soient dans des conditions dignes », précise Me Spinosi. Toute la difficulté va être d’organiser le dialogue entre le juge et l’administration pénitentiaire pour mettre en place des solutions (déplacement de cellule, changement d’établissement, etc). Et de permettre, par exemple, si en dernier recours seule la libération d’un détenu peut résoudre le problème, que ce ne soit pas forcément celui qui a saisi le juge qui soit libéré, mais peut-être un autre plus proche de la sortie. En outre, cette sortie de prison peut s’accompagner d’un placement sous bracelet électronique ou d’un contrôle judiciaire.

Du côté du ministère de la justice, on indique rechercher le « véhicule législatif » susceptible d’accueillir dans le délai imparti de nouvelles dispositions. Ce pourrait être via une proposition de loi d’un parlementaire. Depuis la décision de la Cour de cassation du 8 juillet et la transmission de la QPC au Conseil constitutionnel, la direction des affaires criminelles et des grâces se préparait en concertation avec la direction de l’administration pénitentiaire à devoir proposer une réforme réglementaire ou législative à ce sujet.

« Le problème est qu’il a fallu attendre cette décision pour forcer le législateur à faire une réforme que la Cour européenne des droits de l’homme demandait depuis janvier. Les choses n’avancent qu’avec une épée dans le dos », déplore l’avocat de l’OIP.

La question des conditions de détention des personnes définitivement condamnées pourra difficilement être éludée dans cette loi, même si le Conseil constitutionnel s’en est tenu au sujet dont il était saisi, celui des personnes en détention provisoire.



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