vendredi 23 octobre 2020

Après l’assassinat de Samuel Paty, beaucoup d’interrogations sur la rentrée scolaire

Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation, a reçu les syndicats d’enseignants jeudi afin de discuter d’un scénario « en trois temps » pour la rentrée du 2 novembre.

Par  Publié le 23 octobre 2020

Devant le collège du Bois-d’Aulne, où enseignait Samuel Paty, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), le 17 octobre.

Comment reprendre le chemin de l’école, lundi 2 novembre, sans se laisser submerger par l’émotion ? Que raconter aux élèves de l’attaque contre Samuel Paty et, à travers lui, contre l’école et les valeurs de la République ? Comment adapter l’accueil – et le discours – à l’âge des enfants ? Et quel hommage, in fine, rendre à l’enseignant ? Une semaine jour pour jour après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), les questions sont nombreuses au sein de la communauté éducative.

Le 17 octobre, le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, promettait « un cadrage national strict, puissant et fort » pour répondre aux défis de cette rentrée. Jeudi 22 octobre, un premier scénario a été mis en débat avec les représentants syndicaux (FSU, UNSA, CGT, FO, Snalc et CFDT), qui ont été reçus Rue de Grenelle.

Ce scénario, qui peut encore évoluer d’ici à début novembre, repose sur trois temps : un temps d’échange entre enseignants, un temps pédagogique avec les élèves, suivi d’un temps d’hommage. Ils s’échelonneront « au moins » sur la matinée du lundi, les syndicats réclamant de pouvoir y revenir durant toute la semaine de la rentrée, voire lors des suivantes.

Chaque étape soulève déjà un certain nombre de « questions connexes qu’il faut résoudre au plus vite », souligne Frédérique Rolet, porte-parole du SNES-FSU, syndicat majoritaire dans le secondaire. Un deuxième rendez-vous, probablement à distance, doit se tenir lundi ou mardi.

Méthode « trop corsetée »

Le principe d’un temps d’échange entre enseignants, pour démarrer la journée du 2 novembre, fait consensus. « La plupart des collègues ne vont pas se revoir avant. Et si certains d’entre eux ont déjà commencé à discuter des modalités du retour, l’échange numérique ne remplace pas un vrai dialogue », observe Jean-Rémi Girard, du Snalc.

Que feront les élèves pendant ce temps ? Par qui seront-ils accueillis et comment ? Pourra-t-on faire appel à des animateurs au primaire ? Faudra-t-il modifier les emplois du temps dans le secondaire ? « On a évoqué l’idée que les collectivités territoriales puissent prendre le relais, par exemple jusqu’à 10 heures. C’est une piste », explique Guislaine David, du SNUipp-FSU.

La deuxième étape, celle d’une séquence pédagogique à mener en classe, est accueillie avec prudence par les syndicats d’enseignants. Si tous s’accordent sur la nécessité de retravailler, avec leurs élèves, les notions de laïcité et de liberté d’expression, la méthode ne les convainc pas : à ce stade, le ministère de l’éducation nationale proposerait que le travail soit mené à partir d’un texte ou d’une vidéo fournie par l’institution.

Méthode « trop corsetée », pour le SGEN-CFDT, « trop cadrée », selon le SE-UNSA. « Proposer aux enseignants des supports et des documents dans lesquels puiser, pourquoi pas ?, réagit Frédérique Rolet. Mais il est fondamental de laisser les collègues choisir les outils qui leur conviennent le mieux, en fonction d’élèves qu’ils connaissent. Et pas de leur imposer une séquence clé en main, peu compatible avec la liberté pédagogique. » Il est question de faire intervenir deux adultes par classe, ce qui pose aussi, selon les syndicats, la question des moyens.

Interrogations sur la présence des « politiques »

Dernière étape, le temps de l’hommage à Samuel Paty prévoit, pour le moment, la lecture d’un texte et une minute de silence. « Est-ce réellement adapté à la maternelle, et même aux CP, CE1 et CE2 ? », interroge Guislaine David. « Beaucoup d’enfants auront entendu et vu des choses, il faudra savoir accueillir leur parole, rappelle-t-elle. Mais, dans les plus petites classes, l’hommage peut passer par un dessin, par une poésie. »

« Il est très important de bien prendre en compte la différence entre les âges », observe aussi Stéphane Crochet du SE-UNSA

« Il est très important de bien prendre en compte la différence entre les âges », observe aussi Stéphane Crochet du SE-UNSA. On se souvient qu’après les attentats de 2015, avec les adolescents, la minute de silence avait parfois été compliquée. Les syndicats s’interrogent aussi sur la présence des « politiques », alors que M. Blanquer a demandé à « tous les élus de la République » d’être présents auprès des professeurs ce jour-là.

Au-delà des rangs syndicaux, le temps presse, soulignent enseignants et parents d’élèves, qui redoutent, face aux enfants, de ne pas toujours « trouver les mots ». Les regards convergent vers le collège du Bois-d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine, où enseignait Samuel Paty. « Il nous faudrait pour la rentrée des psychologues, des personnels, des professionnels en renfort, alerte Corinne Grootaert, présidente de la fédération de parents d’élèves FCPE dans les Yvelines. On ne peut pas compter que sur les parents pour expliquer l’inexplicable, et sur les enseignants qui affrontent un drame tant professionnel que personnel : c’était leur collègue. »

« La principale [du Bois-d’Aulne] a réuni les enseignants, rapporte-t-on dans l’entourage de la rectrice de l’académie de Versailles, Charline Avenel. Ils ont exprimé le besoin de construire ensemble cette rentrée. Nous sommes en train de regarder ce qui peut être fait en ce sens. »

Les collègues de Samuel Paty sont sortis de leur silence dans un communiqué diffusé mardi. « Le socle de l’école publique repose sur les valeurs républicaines et laïques. Ce sont bien ces valeurs que défendait Samuel dans son enseignement sur la liberté d’expression, écrivent-ils. A travers lui, c’est toute l’école républicaine qui est visée. Aujourd’hui, nous réaffirmons, plus fort que jamais, notre attachement à ces valeurs et notre détermination à les transmettre au quotidien dans l’intérêt des élèves. »

Huit Français sur dix trouvent « justifié » de montrer des caricatures de religion en classe

Près de huit Français sur dix trouvent « justifié » que les professeurs utilisent des caricatures moquant les religions dans un cours sur la liberté d’expression, selon un sondage IFOP pour Sud-Radio et CNews publié jeudi 22 octobre. Cette position est partagée à un niveau équivalent par les sondés qui se déclarent proches du Rassemblement national (89 %), du Parti socialiste (88 %), de La République en marche (87 %) ou de Les Républicains (82 %). Les sympathisants de La France insoumise sont, eux, en retrait (69 %). La menace terroriste est « élevée » pour 89 % des sondés, soit un bond de 12 points par rapport à début septembre, avant l’attaque au couteau devant les anciens locaux de Charlie Hebdo.



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