jeudi 10 septembre 2020

Coronavirus : médecins débordés, parents désemparés… Les rhumes perturbent la rentrée

Les médecins sont submergés de demandes de parents dont les enfants qui présentent des symptômes caractéristiques d’une rhino-pharyngite bénigne sont refusés par l’école.
Par  et  Publié le 10 septembre 2020
Des enfants portent des masques et se lavent les mains à l’école élémentaire Clement Falcucci, à Toulouse, le 1er septembre.
C’est un déferlement de « nez qui coulent » et de « petites fièvres ». Depuis le début de la semaine, les cabinets de médecins généralistes et de pédiatres sont submergés de demandes de parents dont les enfants n’ont pas été acceptés à la crèche ou à l’école parce qu’ils présentaient ces symptômes, caractéristiques d’une rhino-pharyngite bénigne, mais possiblement annonciateurs d’un Covid-19.
« La règle est très claire : à partir du moment où l’élève présente des symptômes, il est évincé de l’école et doit revenir avec un avis médical, ou bien attendre quatorze jours », explique Guislaine David, secrétaire générale du SNUipp-FSU. Cet avis médical n’est pas obligatoirement un résultat de test, que l’école n’a pas le pouvoir d’exiger.

A SOS Médecins Dunkerque (Nord), le docteur Thierry Mraovic raconte avoir vu passer lundi 7 septembre dans son cabinet de groupe plus de cinq fois plus d’enfants que le lundi précédent : 110 contre 20. « On a terminé à minuit et demi, avec un enfant de 8 ans qui avait un rhume », dit-il, expliquant avoir refusé de délivrer des certificats de non-Covid-19.
Sur l’ensemble du réseau SOS Médecins, la hausse d’activité pour les pathologies respiratoires serait d’environ 30 % par rapport à 2019. « Ce n’est pas facile pour nous de dire s’il s’agit d’une rhino ou du Covid sans faire de test, ça nous met dans une situation un peu difficile », constate Serge Smadja, le secrétaire général de l’organisation.
Partout dans le pays, les mêmes afflux, liés à la stricte application par les crèches et les établissements scolaires des consignes à suivre pour tout enfant symptomatique. « On m’a appelée pour que je vienne chercher ma fille de dix-sept mois à la crèche, avec une température de 38,3 °C, rapporte une mère de famille parisienne. Si la crèche m’appelle à chaque fois qu’elle a 38 °C, je ne vais plus beaucoup travailler… »

En attente de recommandations

« Nos secrétaires croulent sous les appels de parents désemparés », témoigne Luc Duquesnel, généraliste en Mayenne et président du syndicat Les Généralistes-CSMF, pour qui « la situation actuelle n’est pas tenable ». Lui a choisi de ne pas recevoir les enfants sans fièvre et de simplement délivrer des journées « enfants malades » aux parents qui le souhaitent. Une solution a priori caduque après l’annonce mercredi 9 septembre par le ministère de la santé de la réactivation du dispositif d’indemnisation des parents contraints de garder leur enfant malade.
Face aux demandes des parents, chaque médecin met en place sa propre stratégie. « Notre activité est embolisée par les demandes des écoles et des crèches », explique Valérie Douillard, généraliste dans le 19arrondissement de la capitale. Pour dépanner les parents, elle accepte de signer un certificat de non-contagion, assurant que l’enfant est « apte à la collectivité » s’il ne présente plus de fièvre au bout de vingt-quatre heures. « On ne va pas pouvoir tenir l’automne comme ça », estime-t-elle.
« Nous sommes toujours en attente de recommandations sur la conduite à tenir », ajoute Jacques Battistoni, le président de MG France, le premier syndicat de médecins généralistes, qui réclame « avec insistance » l’avis du Haut Conseil de la santé publique sur ce sujet.
L’embouteillage est à tous les niveaux : une fois la case du médecin cochée, l’accès à un test virologique (PCR) – lorsqu’il est prescrit – est ardu car les délais pour obtenir un rendez-vous puis un résultat ne cessent de s’allonger. Interrogé sur la mise en place d’une filière de test spécifique pour les enfants, le ministère de la santé répond, sans davantage de précision, qu’une « doctrine de priorisation » est en train d’être « déployée sur l’ensemble du territoire ».

Besoin d’une stratégie adaptée aux enfants

Pour les pédiatres, tester tous les enfants n’a pas de sens. « Dans 95 % des cas, pour les enfants de moins de 6 ans, nous recommandons une simple surveillance », précise Robert Cohen, pédiatre à l’hôpital intercommunal de Créteil (Val-de-Marne) et vice-président de la Société française de pédiatrie. L’arrivée d’une nouvelle génération de tests délivrant un résultat en quelques minutes – par prélèvement nasal, comme les actuels tests PCR – changerait la donne.
« On aurait pu se réveiller avant, cela fait des mois qu’on parle de ces tests et nous allons commencer seulement maintenant une étude pour les évaluer », s’agace le médecin, en citant un article du New England Journal of Medicine du 22 juillet sur le sujet. « Leur objectif n’est pas d’établir un diagnostic avec certitude, mais de déterminer si un enfant est contagieux ou non », précise le médecin.
Pour les pédiatres, la mise en place d’une stratégie adaptée aux enfants est une urgence. « Un enfant positif est considéré comme une bombe à virus, et suspecté d’avoir contaminé toute sa classe. Or les enfants au primaire sont peu contaminants entre eux et envers les adultes », martèle François-Marie Caron, pédiatre à Amiens, en soulignant que les parents sont le plus souvent à l’origine de la contamination.
Pour ce médecin, les conditions d’exclusion de l’école et de fermeture de classe doivent être revues à la lumière des connaissances scientifiques. « Il faut laisser les enfants tranquilles, les bénéfices éducatifs, sociaux, psychologiques sont bien supérieurs aux risques d’une éventuelle contamination en milieu scolaire. Ne leur faisons pas partager nos peurs d’adultes », alerte-t-il.

Aucun moyen de distinguer les symptômes

Le ministère de l’éducation nationale, lui, renvoie aux directives des autorités de santé. « Il n’est pas prévu d’assouplir le principe de précaution qui consiste à envoyer les enfants voir le médecin avant de pouvoir revenir en classe, précise-t-on Rue de Grenelle. C’est aux spécialistes de déterminer si un enfant est ou non porteur du Covid-19. »
« Nous n’avons aucun moyen de distinguer les symptômes, ce n’est pas notre métier, prévient Guislaine David, du SNUipp-FSU, en se défendant de tout zèle. Si on cesse de renvoyer les enfants chez le médecin, c’est la porte ouverte à une plus forte circulation du virus à l’école. »
Depuis la rentrée, les cas d’enfants fiévreux écartés de l’école n’ont a priori donné lieu à aucune friction entre parents d’élèves et directeurs d’école ou chefs d’établissement. « Globalement, les parents jouent le jeu et gardent leurs enfants quand ils ont des symptômes », rapporte Johanna Cornou, directrice d’école au Havre (Seine-Maritime) et représentante du personnel au SE-UNSA. Dans le second degré, où l’on est moins exposé aux nez qui coulent, le problème s’est peu posé pour l’instant, assure le SNPDEN-UNSA.

La question du suivi scolaire

Les équipes pédagogiques se posent aussi la question du suivi scolaire. Que faire si les journées à la maison pour symptômes légers se multiplient tout l’automne ? « Habituellement, avec un peu de fièvre, les élèves viennent à l’école », assure une directrice d’école du 19arrondissement, inquiète de la multiplication de ces absences parmi ses effectifs. Cette semaine, deux de ses élèves doivent rester plusieurs jours chez eux avant les résultats de leurs tests. « S’il faut attendre une semaine à chaque fois, on ne va pas s’en sortir, ajoute-t-elle. Les enfants ont besoin d’une scolarité suivie. »
Pour l’instant, la « continuité pédagogique » peine à se mettre en place pour les élèves écartés des écoles. « On colmate les brèches comme on peut, rapporte un directeur d’école élémentaire près de Poitiers. Car ce point-là n’est pas clair. On ne sait pas bien ce que l’on doit mettre en place pour les enfants qui restent chez eux. »

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