mardi 18 août 2020

C'est l'histoire de Ferdaous, 23 ans, clouée dans son fauteuil par l'ascenseur en panne

Par Ramsès Kefi — 




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Photo Boby pour Libération

Une jeune Nanterrienne à mobilité réduite raconte le calvaire qu'elle subit dans son logement. Un problème qui illustre les pannes à répétition perturbant la vie des habitants de HLM.

Ferdaous Najar, en chaise roulante, au deuxième étage d’une tour qui en compte 16, ramène ses problèmes au rapport de force : le bruit médiatique est le chemin le plus court pour faire bouger un bailleur social trop occupé, peu pressé ou débordé. Elle nous a écrit un long message étayé. Jurisprudence d’hiver : une vidéo virale d’elle en début d’année lui a permis, assure-t-elle, de recevoir deux offres de relogement (qui ne convenaient pas) quelques semaines plus tard. Après plus de deux ans d’attente.

La séquence raconte sa vie à Nanterre quand l’ascenseur lâche. Sa mère qui tape aux portes des voisins pour savoir si ces derniers peuvent l’aider à la descendre – son matériel médical pèse autour des 100 kilos. Elle, l’immobilisée qui craint d’être virée de son service civique à Pôle Emploi si elle ne parvient pas à sortir de l’immeuble.
Ferdaous y voit quelque chose relevant du «tout ça pour ça» : décevoir un patron, après l’avoir convaincu d’être aussi compétente que n’importe qui, est une charge mentale aussi lourde que rageante. Certitude d’été : sans une responsable compréhensive, elle aurait fini à la porte, déroule-t-elle dans son salon. Soit une dépendance supplémentaire, celle à l’empathie.

Onze pannes 

La jeune femme, 23 ans, souhaite quitter le bâtiment Noirmoutier, situé dans un quartier populaire proche de la gare et promis à une démolition prochaine. A cause d’un ascenseur qui bloque sans prévenir. Plus que tout, elle se plaint d’y voir flou. Où en est sa demande de relogement depuis trois ans ? Pourquoi ça dure autant alors qu’elle est malade ? Comment un bailleur gère-t-il les priorités ? Pourquoi est-il si laborieux de sécuriser des ascenseurs en 2020 ?
En filigrane, la thématique est plus large : être handicapé dans un milieu social moins aisé, avec des ambitions classiques d’une étudiante en bac + 3, a vite fait de tourner au jus de crâne permanent et douloureux. La mairie la soutient, l’Elysée a répondu à l’un de ses courriers de détresse et Logirep, le bailleur, certifie qu’il travaille à fond, mais regrette de ne pouvoir lui donner un délai, faute d’opportunités idoines.

Nanterre, le 23 Juillet 2020. Portrait de Ferdaous Najar chez elle à Nanterre.

Ferdaous Najar chez elle à Nanterre. Photo Boby pour Libération
La famille Najar a besoin d’un autre cinq pièces en rez-de-chaussée ou dans une résidence neuve avec un ascenseur adapté. Ou d’un T2 pour Ferdaous et un T4 à proximité pour le reste de la famille (deux adultes, deux enfants), puisqu'elle n'est pas autonome.
Le bailleur nous délivre pourcentages et chiffres sur le ton de la fatalité. Un T5 est une denrée rare, encore plus dans ces conditions – 8% de son parc immobilier. En 2020, il recense onze pannes d’ascenseur dans l’immeuble de Mlle Najar, concédant par la voix de l’un de ses cadres que ça fait effectivement onze de trop. Quoiqu’il n’ait pas la main sur des dégradations volontaires qui pourrissent la vie des locataires.
On est dans la répétition machinale des problèmes connus et écumés sous toutes les coutures, mais sous-estimés : monter et descendre un immeuble peut relever de l’épreuve. Cela peut même se jouer à du 50/50 : dans le hall des Najar, un des deux ascenseurs ne fonctionnait pas le matin de notre entrevue – les appartements à numéro pair n’étaient pas desservis. Le leur était du mauvais côté.

Imprévus

L’histoire avait bien pourtant commencé. Ledit ascenseur avait été retapé fin 2015 et Logirep avait effectué des travaux dans l’appartement de la famille, installée depuis 2016, pour faciliter la vie de Ferdaous, atteinte d’une arthrogrypose neuromusculaire.
La suite est métastasée d’imprévus angoissants. Elle joue au football, part en vacances, étudie, travaille avec une possibilité de rater ses rendez-vous si la machine s’arrête. Le père en est devenu cynique. Leur ancien appartement de Stains (Seine-Saint-Denis), au rez-de-chaussée, était adapté, mais des cambriolages leur ruinaient la vie. A Nanterre, un ascenseur s’en charge désormais, alors que le cadre global ne leur déplaît pas – c’est comme si leur circuit en HLM était maudit.
Un courrier récent évoque une prochaine concertation à propos du futur poussiéreux de la tour Noirmoutier en sursis. Ferdaous Najar l’a brandi et exhibé comme une preuve irréfutable : «Il n’y a ni numéro ni mail : il n’y a aucune communication. Ils n’ont pas envie d’être joignables et c'est ça le problème.»

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