jeudi 27 août 2020

Avec la crise sanitaire, Martin Hirsch (AP-HP) dénonce la montée du « populisme médical »

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PUBLIÉ LE 26/08/2020

Crédit photo : AFP
Directeur général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) depuis 2013, Martin Hirsch publie ce mercredi 26 août un livre témoignage sur la crise du Covid vécue à l'intérieur du premier CHU de France. Il y retrace le combat des 100 000 employés de l'établissement francilien jour après jour, de mi-mars à début mai, au travers de ce qu'il appelle des « morceaux de convictions, taillés sur le vif, à l'état pur ». Il s'agit dans les faits d'une collection de mails envoyés par ses soins, tous les matins, aux personnels de l'AP-HP mais aussi de la retranscription d'enregistrements de quelques minutes effectués tous les soirs et conservés sans diffusion immédiate, comme un rituel. S'y ajoute une série de considérations rétrospectives plus politiques.

De cette « drôle de guerre », Martin Hirsch retient l'immense implication de tous les agents de l'AP-HP pour sauver des vies mais aussi l'attitude d'autres — notamment des médecins — qui, « du haut de leur collection de titres et travaux » ont assené leurs certitudes sans pour autant « brille[r] par leur capacité à prévoir ce qui allait arriver et à émettre des recommandations qu'il aurait suffi de suivre au pied de la lettre ». « Ce n'est pas le livre de celui qui dit  : "globalement, j'ai raison, et les autres sont des couillons". Personne n'avait la clairvoyance absolue en janvier », a précisé Martin Hirsch mardi 25 août au micro de France Inter. 
Faire de la science par pétitions
Reste que le patron de l'AP-HP profite de l'occasion pour régler quelques comptes, dont celui du Pr Didier Raoult, qui a contribué selon lui à l'essor d'une forme nouvelle de populisme scientifique et médical.
L'auteur définit cette notion comme « une manière de tenter de séduire les foules en détournant le rationnel scientifique pour les emmener sur le chemin de l'indémontrable », a laquelle il faut ajouter « un peu de théorie du complot » et, enfin, un soupçon de victimisation. Pour la méthode, Martin Hirsch estime que le populisme scientifique et médical a « besoin du peuple. Donc cela donne la science par pétitions ». 
«Voir des médecins réputés, dont un ancien ministre de la Santé [Philippe Douste-Blazy, jamais nommé, NDLR], susciter une pétition pour modifier les règles de prescription d'un médicament, cela revient à dire qu'on donnerait les autorisations de mise sur le marché en fonction du nombre de "like" sur une molécule », tacle le DG.  Et d'insister : « Didier Raoult a incarné avec un talent remarquable que nul ne peut lui contester ce concept. »
Pêche à la truite
Martin Hirsch regrette également le comportement de certains médecins de la maison AP-HP, très (trop?) présents sur les chaînes d'informations en continu. « Depuis des années, on demande aux chercheurs de bien vouloir sortir de leur tour d'ivoire. D'oser communiquer. De vulgariser leurs connaissances. Cette fois, ils ne se sont pas fait prier », écrit-il. Martin Hirsch évoque aussi la difficulté à rester crédible quand on milite pour le confinement de la population tout en voyant des grands professeurs de médecine, dont certains membres de la cellule de crise de l'AP-HP, se rendre physiquement sur les plateaux de télévision.
« Il y avait quelque chose de frénétique, avec un mélange de bonnes motivations - le souci de la transparence, le partage des doutes, le devoir de partager son savoir - mais d'autres plus discutables, analyse encore Martin Hirsch: la peur de ne pas exister, la compétition entre experts. L'envie de paraître plus intelligent que les autres. Le besoin de répondre aux collègues. Le plaisir de contredire. »
Tandis que l'AP-HP tente de monter son projet Covisan pour tracer les patients en dehors de ses murs (idée reprise par le gouvernement sous la forme des brigades sanitaires mais sans le même succès), les initiatives personnelles des uns et des autres font grincer les dents du DG du CHU. « Tous sont en train de sortir de leur projet avec leurs petites boîtes, leurs petits financements, leurs petits noms pour être les héros du Covid », se désespère-t-il après une énième folle journée. Ce soir-là, Martin Hirsch conclut à la volée : « Et tous ceux qui pensent, sous prétexte qu'on a atteint le plateau [de l'épidémie, NDLR] et qu'on a quelques malades en moins, qu'on se repose, que tout va bien, que c'est fini, qu'on peut aller à la pêche à la truite, ceux-là, on a envie de les éradiquer aussi. Bonne soirée. »
Martin Hirsch, L'énigme du nénuphar face au virus, 268 p

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