vendredi 28 août 2020

Adieu terrains de foot, bonjour espaces de jeux collectifs ! La cour de récré non genrée fait sa rentrée

Par   Publié le 28 août 2020







Le sujet a mis du temps à émerger, mais après Trappes (Yvelines), Lyon, Rennes, Bordeaux, Grenoble ou Floirac (Gironde), il s’impose comme une tendance de la rentrée 2020 dans de nombreuses communes : de plus en plus d’écoles élémentaires et de collèges s’équipent de cours de récréation « non genrées ».
A la manœuvre, la géographe bordelaise Edith Maruéjouls, fondatrice du bureau d’études Arobe (Atelier recherche observatoire égalité). Depuis dix ans, la chercheuse accompagne des collectivités dans la mise en œuvre de politiques publiques axées sur l’égalité, comme en cette rentrée à Grenoble, où elle intervient à l’école Clemenceau à la demande de la majorité écologiste d’Eric Piolle. Elle a déjà mené à bien une trentaine de projets de réaménagement de cours d’école.
Réaménagement des espaces « bulles de détente » de la cour de l’école Clémenceau à Grenoble, initié par la mairie et l’association Robins des villes.
A chaque fois, elle dissèque, des mois durant, les mœurs des 6-11 ans : « La cour de récréation est une microsociété où les garçons, leurs rapports virilistes, occupent déjà une place centrale, alors que les filles sont reléguées aux coins, à faire des “petits jeux”. Elles sont invisibilisées. Le terrain de foot, qui occupe en général 80 % de l’espace, crée une échelle de valeurs de ce qui est important, à savoir les garçons, et de ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire les filles, résume-t-elle. Mais c’est un rapport de force dont sont victimes tous les enfants “non conformes”, qui minore aussi les élèves en surpoids, les plus petits, les handicapés… »
C’est ainsi que, dans les nouvelles cours d’école, les terrains de foot disparaissent généralement au profit de terrains de jeux collectifs, installés dans la largeur de la cour. Autour des activités sportives, certaines écoles ont aussi délimité une « zone tampon » où il est interdit de courir. Résultat : ceux qui tirent trop fort passent un temps fou à aller chercher la balle. « Il faut casser la question de la performance individuelle pour favoriser la mixité, explique Edith Maruéjouls. D’ailleurs, cela fera aussi du bien aux garçons, pour qui la compétition permanente est très dure à vivre. »

Impulser, voire imposer la mixité dans les jeux

La designer sociale Célia Ferrer, qui intervient à ses côtés, préconise aussi aux élus d’équiper les écoles « d’un mobilier modulable, que les enfants peuvent s’approprier. Des blocs de hauteurs différentes qui se déplacent, peuvent être escaladés, permettent de s’asseoir, de s’isoler, de surplomber, de sauter… Des choses très abstraites et simples ». Des espaces végé­talisés, des recoins nichés au calme permettant l’isolement, la détente, la discussion et la lecture sont également prévus.
Le plan de réaménagement de la cour, divisé en trois espaces.
Elle encourage aussi les enseignants et les animateurs à impulser, voire à imposer, la mixité dans les jeux en constituant les équipes au hasard, par exemple.
Même chose à la cantine, où filles et garçons devraient obligatoirement se mélanger autour des tables : « Tout simplement parce qu’un garçon rejeté d’un groupe de garçons ne peut s’asseoir à une table de filles sans être moqué, et qu’à l’inverse une fille n’ira jamais s’asseoir seule à une table de garçons », a observé la géographe.

Les loisirs des garçons mieux subventionnés

Autrice d’une thèse de doctorat, « Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes », Edith Maruéjouls considère que cette division des espaces de loisirs des jeunes enfants est loin d’être anecdotique. Elle a un impact réel sur la manière dont les filles et les garçons investissent l’espace public à partir de l’adolescence, comme en témoignent les chiffres relevés ces dernières années par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes : 75 % des budgets publics destinés aux loisirs des jeunes profitent aux garçons, toutes activités confondues.
A partir de la 6e, les filles décrochent des activités de loisirs organisés, tandis que se met en place une offre spécifique destinée aux garçons (skateparks, citystades, musiques actuelles). Les loisirs non mixtes féminins sont moins subventionnés que ceux des garçons, à qui l’on attribue des équipements plus importants et plus chers.
C’est ainsi que, depuis deux ans, l’Arobe est également sollicitée pour réaménager des cours de collèges. Le département de la Gironde, dont le président socialiste, ­Jean-Luc Gleyze, a lancé, en 2017, un plan prévoyant la rénovation de dix collèges et la construction de treize autres (640 millions d’euros d’investissement), est pionnier en la matière. Il a confié au bureau d’études la rédaction d’une « note technique d’aménagement égalitaire » à laquelle les architectes doivent se soumettre. Le document de quarante pages liste des préconisations, aussi bien pour le bâti que pour les aménagements du foyer ou du terrain d’éducation physique et sportive.
En 2019, une formation a également été dispensée aux 1 200 agents d’entretien et de restauration des collèges de Gironde, sur le thème de la « lutte contre les stéréotypes de genre et les discriminations ». « L’Education nationale est très intéressée par notre démarche », se félicite Anaïs Luquedey, directrice des collèges au conseil départemental.

Les toilettes, enjeu de lutte contre les stéréotypes

Selon elle, la lutte contre les stéréotypes de genre dans les cours de collège passe en premier lieu par les toilettes. « C’est l’enfer, le lieu de l’humiliation », assure-t-elle. Les sanitaires échappent généralement à la surveillance des adultes, et deviennent un espace de réunion pour les filles et de dégradation et de violence pour les garçons.
La chercheuse préconise l’installation de W.-C. mixtes, comme au Canada ou dans les pays scandinaves. « On les crée ouverts sur la cour, comme dans les années 1930, pour une meilleure surveillance », ajoute Anaïs Luquedey.
Certains établissements ont déjà supprimé les urinoirs (où naissent les complexes et qui génèrent le harcèlement) au profit de cabines fermées, et ce jusqu’au sol afin d’éviter qu’on y glisse un téléphone… Certains spécialistes préconisent aussi la suppression des miroirs.
Pour les espaces de loisirs, comme le foyer, tous les aménagements sont aussi repensés. « L’espace central, jusque-là occupé par le billard et la console, c’est fini ! Il y aura un coin lecture et jeux de société », se félicite Anaïs Luquedey. Et, si le baby-foot continue à trôner dans la salle commune des nouveaux collèges, les élus de Gironde ont commandé vingt-trois exemplaires d’un modèle dont les équipes sont mixtes.

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