mardi 14 juillet 2020

Les inquiétants effets sanitaires collatéraux du coronavirus

Le confinement a engendré des retards dans toute la chaîne de soins. L’impact sur la santé des personnes, notamment celles souffrant de pathologies chroniques, pourrait être très important, selon les médecins.
Par  et  Publié le 13 juillet 2020

« J’ai des difficultés à marcher, je n’ai plus de force, je m’affaisse… », décrit Simone Bessin, venue ce matin du mardi 30 juin en consultation au cabinet du docteur Fabien Quedeville, à Chilly-Mazarin (Essonne). Avec son mari, ils sont rentrés la veille d’Espagne, où ils étaient restés confinés dans leur résidence secondaire depuis début février. Cette dame de 83 ans n’est pas sortie pendant cette période.
« Je n’avais pas le moral du tout, j’avais peur de ne plus revoir mes enfants et petits-enfants, j’étais inquiète de ne pas avoir suffisamment de médicaments », explique Mme Bessin. Depuis, elle ressort faire ses courses, mais n’a pas retrouvé toutes ses capacités motrices.
Nous avions interrogé Fabien Quedeville fin mars. Il était alors très inquiet pour ses malades chroniques, diabétiques, insuffisants cardiaques…. Trois mois plus tard, les faits sont là, avec en plus le sentiment d’avoir « été déconsidéré, inutile ». Pendant le confinement, il a vu une trentaine de patients par semaine, alors qu’il en reçoit entre 100 et 120 en temps normal.
Ce jour-là, d’autres personnes âgées viennent le consulter, qui ont souffert de cette période si particulière. Agé de 77 ans, M. Bourgois se plaint d’une forte douleur sur le côté qui « l’empêche certains jours de bouger »« Avec mon épouse, nous ne sortions plus, n’avions plus de relations sociales. J’ai dû arrêter toutes les activités, la faïence, le cynodrome où j’amenais mes chiens », confie cet homme jusqu’ici très actif.

Des patients « tendus et épuisés »

Le généraliste voit aussi beaucoup de patients en état d’épuisement. Comme cette jeune mère qui vient pour son petit garçon de 5 ans, asthmatique. Il n’est pas sorti, sa mère craignait le Covid-19. Alors qu’elle avait décidé il y a quelques mois, après plusieurs consultations, d’arrêter de fumer et de perdre du poids, le confinement a mis à mal ses efforts, elle a repris des kilos, la cigarette : « Ça a été compliqué. »
« Une politique de santé publique ne se limite pas à une pathologie. Fallait-il tout stopper pour cela ? », questionne le docteur Quedeville, qui craint aussi les conséquences psychologiques qu’on ne pourra pas chiffrer.
Même constat pour Xavier Marc-Tudor, généraliste à Nantes : « personne n’est sorti indemne du confinement. Je pose la question systématiquement à tous mes patients, non directement touchés, âgés de 16 à 60 ans. Ils sont tendus et épuisés. » En fonction de leurs manifestations cliniques, il leur prescrit un bilan sanguin et, dans environ 10 % des cas, un arrêt de travail. Beaucoup font état de fatigue et/ou de faiblesses musculaires, de douleurs lombaires, d’essoufflement. « Les muscles ont fondu, leur cœur et leurs poumons ont perdu l’habitude de l’effort, c’est un peu comme s’ils sortaient d’une longue période d’hibernation », poursuit-il.
Il n’y a pas que dans les cabinets des médecins de ville que la situation inquiète. Pour faire face à la pandémie et pouvoir accueillir les patients touchés par le Covid-19, qui a à ce jour causé la mort de plus de 30 000 personnes en France – près de 100 000 patients ont en outre été hospitalisés, dont un grand nombre en soins intensifs –, les établissements hospitaliers ont dû réorganiser leurs services, augmenter les capacités de lits de réanimation, déprogrammer des opérations chirurgicales, tout en maintenant un minimum d’activités pour les autres malades. Un report qui concerne l’ensemble du territoire.
Les patients eux-mêmes étaient réticents à se rendre à l’hôpital ou chez un médecin, voire à la pharmacie. Ils n’osaient pas déranger ou craignaient d’être contaminés, certains risquant de contracter une forme grave de Covid-19 du fait de leur pathologie.
Deux mois après le début du déconfinement, l’impact de la pandémie de Covid-19 sur la prise en charge d’autres pathologies est encore difficile à estimer, mais des premières données commencent à émerger.

Des déséquilibres thérapeutiques

Les Français ont peu ou pas consulté. Les chiffres sont éloquents : dès la mi-mars, le recours aux soins a connu « une chute majeure, très rapide et durable », mentionne le rapport Charges et produits 2021 de l’Assurance-maladie, dévoilé le 2 juillet.
Ce que confirment les chiffres de Doctolib, leader français de prises de rendez-vous médicaux : le nombre de consultations des médecins généralistes a chuté de 44 % et de 71 % pour les spécialistes entre janvier et avril. Une baisse qui a même atteint 95 % chez les chirurgiens-dentistes ou les kinésithérapeutes.
« Le renoncement aux soins est évident, il y aura forcément des pertes de chance », prévoit Stanislas Niox-Chateau, co-fondateur de Doctolib, même s’il tempère : « Avec cinq millions de consultations vidéo réalisées depuis début mars (contre 200 000 l’année précédant l’épidémie), la téléconsultation a connu une croissance spectaculaire. »
« On redoute une autre vague, l’explosion des complications des patients qui n’ont pas été pris en charge », assure Jean-François Thébaut, vice-président de la Fédération française des diabétiques (FFD), qui a lancé une campagne #Revoirsonmedecin avec d’autres associations.
« La grande majorité des diabétiques n’a pas bougé par peur de sortir », constate Jacques Battistoni
En France, les malades chroniques (de 15 millions à 20 millions de personnes), à risque de forme grave de Covid-19, fortement incités à rester confinés, ont moins eu recours aux soins. « On a vu arriver des patients en souffrance avec une peur viscérale de sortir et de se mettre en danger », précise Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d’obèses (CNAO).
Les généralistes font part de problèmes de déséquilibres thérapeutiques parmi leurs patients, dont les traitements ne sont parfois plus adaptés. « La grande majorité des diabétiques n’a pas bougé par peur de sortir, constate Jacques Battistoni, président de MG France, le premier syndicat de généralistes, et généraliste à Ifs (Calvados). Le diabète, c’est un peu un jeu de l’oie, et ils ont régressé de plusieurs cases : ils ont pris du poids, ont déséquilibré leur alimentation, leurs résultats. C’est valable pour toutes les pathologies chroniques pour lesquelles l’exercice est un paramètre important, comme les hypertendus. »
Si l’accès au traitement pour les patients connus et déjà traités semble avoir été globalement maintenu, les données d’Epi-Phare font état d’un constat plus inquiétant, mettant en évidence un nombre d’initiations de traitements chroniques en très forte baisse par rapport aux années précédentes, indique le rapport de la CNAM, que ce soit pour les traitements antihypertenseurs, les antidiabétiques oraux, ou les statines (contre le cholesterol).

Retards de diagnostics de cancers

Dans le domaine du cancer, deux choses inquiètent le professeur Jean-Yves Blay, président de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (Unicancer) : « Les premiers diagnostics de cancer ont baissé de 36 % dans les dix-huit centres en avril 2020, par rapport à avril 2019, et l’activité actuelle ne rattrape pas ce retard. » Egalement directeur du centre d’oncologie Léon-Bérard à Lyon, le professeur Blay voit aussi des patients arriver avec des tumeurs plus grosses, car ils ont attendu.
« Les retards de diagnostic entraînent une surmortalité de 10 % à 15 % par mois de retard, avec des différences selon le type et la localisation du cancer », précise l’oncologue. La Ligue contre le cancer a estimé qu’environ 30 000 malades n’auraient pas été diagnostiqués pendant cette période, ce qui diminue de moitié le total des diagnostics par rapport à l’année précédente.
Le docteur Thierry Bouillet, oncologue à l’hôpital Avicenne (Bobigny), estime cependant que « les pertes de chance devraient être minimes sur cette courte période, car l’absence de politique de dépistage ne signifie pas un impact sur la survie des patients traités. En revanche, un retard de poursuite de soins d’un cancer peut être délétère. »
Très touchées par le Covid-19, les personnes âgées risquent de souffrir de ce report de soins, en particulier les plus fragiles résidant en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou bénéficiant d’un accompagnement médico-social à domicile. « Un tel excès de mortalité des plus de 65 ans – soit + 30 % par rapport à la normale entre début mars et le 19 avril – lié au Covid-19, est probablement dû à d’autres causes et notamment au non-recours aux soins, surtout sur les patients les moins âgés », pointe l’Assurance-maladie.
« Beaucoup de personnes âgées éprouvent des difficultés à retrouver une vie normale, ce qui contribue au sentiment d’isolement qu’ils ont déjà beaucoup ressenti durant le confinement », relève Jacques Battistoni. « On constate par ailleurs une aggravation importante de l’état clinique des personnes présentant des maladies neuro-dégénératives ou des séquelles d’AVC qui n’ont pas été prises en charge durant le confinement », décrit Anne Dehêtre, présidente de la Fédération nationale des orthophonistes, qui s’apprête à lancer une étude sur les effets secondaires du confinement auprès des 22 000 professionnels en exercice.

Des impacts en chirurgie

Concernant les urgences vitales, les craintes se sont confirmées. Les AVC et les infarctus du myocarde ont été moins pris en charge dans les services d’urgences. Cela avait été décrit en Chine ou en Italie.
Une étude menée par le chercheur Eloi Marijon et le Dr Nicole Karam au Centre de recherche cardiovasculaire de Paris (Inserm/université de Paris) en collaboration avec Daniel Jost (Brigade des sapeurs-pompiers de Paris), publiée dans The Lancet – Public Health, a montré que le nombre d’arrêts cardiaques extrahospitaliers a été multiplié par deux par rapport à la même période les années précédentes ; 521 arrêts cardiaques hors hôpital ont été identifiés à Paris et la petite couronne entre le 16 mars et le 26 avril, contre en moyenne 380 entre 2012 et 2019 à la même période. Seulement 33 % des cas sont attribués au coronavirus. Selon les chercheurs, les deux tiers restants s’expliquent par la saturation du système de soins, la diminution du suivi, et des changements de comportements, voire un mésusage de médicaments. Conséquence, le taux de patients décédés avant leur arrivée à l’hôpital a augmenté de 12,8 % à 22,8 %.
« Si les urgences vitales ont été maintenues en chirurgie cardiaque, l’activité a été réduite à 20 % de la normale dans tous les centres français. Aujourd’hui, les activités n’ont repris qu’à 80 %, explique le professeur Pascal Leprince, chef de service de chirurgie cardiaque à la Pitié-Salpêtrière. Nous voyons des patients qui n’ont pas consulté pendant le confinement. Un chiffre le montre, alors que nous prenions en charge en temps normal deux à trois endocardites, infections des valves du cœur, par mois, nous en faisons une par jour actuellement. » Or, ces pathologies sont souvent favorisées par un mauvais état bucco-dentaire.
L’activité chirurgicale dans son ensemble a été très touchée. Au total, près de 1,1 million d’actes ont été reportés. « Il en résulte des risques d’aggravation dus au retard de prise en charge, non seulement en oncologie mais également dans les autres disciplines », alertaient dans un communiqué commun les académies de médecine et de chirurgie, le 15 mai.
« Au-delà de cet aspect sanitaire, la réduction drastique de l’activité chirurgicale a également eu un impact économique considérable. D’où l’urgence d’une reprise rendue difficile en raison de l’engorgement des programmes opératoires et des mesures drastiques de désinfection des blocs, nous précise le professeur Patrice Tran Ba Huy, président de la division chirurgicale de l’Académie de médecine. Et, en plus de la pénurie de matériel, de nombreux services ont été confrontés à la non-disponibilité de médicaments comme les anesthésiques, les analgésiques (opiacés…) et les myorelaxants (curares…). »
Les activités de transplantation d’organes ont, elles aussi, été fortement réduites. Les greffes rénales (3 640 en 2019) ont quasiment été arrêtées pendant deux mois. Certains transplanteurs estiment que si c’était à refaire, l’activité de greffe devrait être maintenue dans certaines conditions.
Plus largement, le docteur Alain Weill, responsable du département d’études en santé publique auprès de la Caisse nationale de l’assurance maladie, se dit « très inquiet, car ce sera long pour rattraper ce retard de manque d’examens, scanners, IRM... »

Angoisses, stress

Outre la fatigue, parmi les symptômes post-confinement constatés par les généralistes reviennent essentiellement des problèmes d’ordre psychologique, avec des manifestations d’angoisse ou de stress. « Dans au moins la moitié des consultations, on a quelque chose qui se rapporte à la problématique du confinement ou du déconfinement », estime le professeur Serge Gilberg, vice-président du Collège de la médecine générale.
Les données recueillies dans le cadre de l’enquête Coviprev, lancée en mars par l’agence de sécurité sanitaire Santé publique France (SpF) pour suivre l’évolution de la santé mentale de la population, montrent une prévalence importante des troubles du sommeil (entre 60 % et 65 % des répondants) pendant le confinement, qui perdure dans ses suites immédiates. A compter de la fin mars et jusqu’à début mai, entre 18 % et 20 % des personnes interrogées disaient ressentir des symptômes d’anxiété et de dépression : au 11 juin, ce taux avait diminué à 10 % pour la dépression, tandis que l’anxiété restait à des niveaux de prévalence élevés, autour de 15 %.
Chez les psychologues ou les psychiatres libéraux, en revanche, le volume des consultations n’a pas nécessairement augmenté depuis le déconfinement, malgré une baisse sensible des consultations durant deux mois. « On aurait pu s’attendre à un rebond de demandes en mai-juin, mais ça reste encore timide, ça laisse craindre des effets à plus long terme », souligne le psychiatre Maurice Bensoussan, président en Occitanie de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) – qui représente les médecins libéraux.
Les psychiatres disent redouter un afflux de patients à la rentrée. « Il y a sans doute plus de difficultés avec le déconfinement qu’avec le confinement », suggère Jacques Borgy, psychologue à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) et membre du Syndicat national des psychologues.

Les enfants touchés

L’Académie de médecine a aussi mis en garde sur les effets négatifs du confinement, notamment sur les comportements addictifs à l’égard du tabac, de l’alcool, d’autres drogues, des écrans. Le professeur Didier Houssin, de la cellule de veille sur le Covid-19 de l’Académie nationale de médecine, alerte également sur les retards de vaccination des enfants.
Le confinement ne les a pas toujours épargnés, y compris les plus jeunes d’entre eux. Certains parents décrivent par exemple un bégaiement d’apparition brutale. « J’ai constaté plusieurs cas d’enfants, plutôt des tout-petits, entre 2 et 4 ans, qui se sont mis à bégayer avec des formes allant jusqu’au blocage, à savoir une incapacité de parler », développe Mylène Hue, orthophoniste à Nantes spécialisée dans ce trouble de la parole. Si, pour certains enfants, le confinement a pu être profitable, de nombreux enfants handicapés se sont retrouvés sans soins, sans aide extérieure.
Il est désormais nécessaire de tirer des leçons de cette période inédite – et d’anticiper un éventuel rebond. « En cas de nouvelle vague, il ne faudra pas refaire l’erreur de renvoyer systématiquement en cas de symptômes sur le 15, qui a été surchargé. Il faudra conseiller aux personnes d’aller voir leur médecin pour leur suivi », insiste le professeur Pierre-Louis Druais, membre du conseil scientifique Covid-19.


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