jeudi 16 juillet 2020

« Les avantages du Dossier médical personnel seraient immenses à la fois pour la santé des Français et pour leur économie »

Eviter les gaspillages et adapter les prises en charge à chacun : pendant la pandémie de Covid 19 l’utilité du dossier médical personnel (DMP) aurait été évidente relèvent dans une tribune au « Monde » les professeurs en cardiologie Isaac Azancot et Patrick Henry appelant à tirer les leçons de ses dysfonctionnements

Publié le 16 juillet 2020

Tribune. L’épidémie COVID-19 a montré que le système public ne survivait que grâce à la persévérance et l’adaptabilité des soignants. Le Ségur de la santé va tenter de lui redonner vie. Compte tenu du coût de la santé en France (203 milliards d’Euros en 2018), il faut tenter avant tout de comprendre comment dépenser mieux. En 2004, une solution avait été proposée par Philippe Douste Blazy : créer un dossier médical numérique pour chaque patient le dossier médical personnel (DMP).
Instauré par la loi du 13 août 2004, le DMP devait permettre la collecte sécurisée des données de santé individuelles des patients et des traitements et soins qui leurs sont prodigués. Dans son rapport de 2012 la cour des comptes pointait du doigt le manque de rigueur dans le développement de cet outil et la gestion du DMP est alors confiée à la Caisse Nationale d’Assurance Maladie pour les Travailleurs Salariés (CNAMTS) sous forme de « Dossier Médical Partagé » géré par le patient. Aujourd’hui, le DMP contient environ huit millions de dossiers pour la plupart vides de données médicales. Aucun médecin ne va consulter le DMP quand il prend en charge un patient…
Les avantages d’un DMP fonctionnel au sein d’une information médicale communicante seraient pourtant immenses à la fois pour la santé des Français et pour leur économie. Des pays comme le Danemark ont placé le DMP au cœur du système de santé et s’en réjouissent chaque jour : disponibilité permanente d’un historique accélérant considérablement la prise en charge, diminution des examens inutiles (20 % pour l’OCDE), meilleur suivi des patients, recherche clinique productive…. Si la place du médecin traitant, coordinateur du parcours de soins, reste fondamentale, le manque criant de professionnels, l’interaction nécessaire avec les spécialistes, la mobilité toujours plus grande renforcent la nécessité d’un DMP consultable partout et à tout moment.

Un problème structurel pour l’utilisation du DMP

L’utilité médicale du DMP pendant l’épidémie COVID-19 aurait été une évidence. Tout d’abord chaque professionnel de santé, du médecin généraliste à l’urgentiste aurait pu connaître immédiatement le profil médical du patient et ainsi mieux adapter la prise en charge – les patients les plus à risque auraient pu être identifiés, alertés et leurs ordonnances renouvelées à distance – l’interaction de traitements protecteurs ou délétères aurait pu être analysée. Enfin, le DMP aurait certainement facilité un suivi épidémique instantané. Moins de 5 % des patients atteints par le COVID sont morts au Danemark…
Alors, pourquoi le DMP ne fonctionne-t-il pas en France ? Les Français bouderaient-ils le DMP pour des raisons doctrinales ? Pourtant, beaucoup font leur déclaration d’impôts par internet et 2/3 des Français consultent leurs comptes bancaires en ligne (Etude Next Content 2019).
La vraie raison est ailleurs, car le problème est structurel. Les carences du DMP, malgré les sommes considérables investies, sont la conséquence d’une urbanisation de la santé mal conduite. Même si le DMP est bien la propriété de chaque patient, confier la gestion du DMP aux seuls patients tel que proposé actuellement n’est d’aucune utilité pour les professionnels de santé qui en sont les utilisateurs finaux.

Le système hospitalier peut jouer un rôle clef

La crise COVID a montré que le système de santé fonctionnait très bien quand il devenait pragmatique – faisons de même pour le DMP. Le DMP ne fonctionne pas car il n’est pas amorcé pour suffisamment de patients, amorcé veut dire ouvert et comportant de l’information médicalement pertinente. Le système hospitalier peut résoudre ce problème car les hôpitaux produisent plus de 60 % de l’information médicale. La plupart des patients présentant une maladie sévère, ceux qui ont le plus besoin d’un DMP, sont hospitalisés au moins une fois et souvent beaucoup plus.
Le DMP doit être ouvert dès qu’un patient séjourne dans une structure hospitalière (publique ou privée). L’hôpital peut alors immédiatement alimenter le DMP avec les comptes rendus d’hospitalisation ou actualiser un dossier ouvert précédemment. Des connecteurs permettant aux établissements hospitaliers d’alimenter automatiquement le DMP existent mais ne sont pas utilisés.
Le DMP doit être un entrepôt de données non structurées de type « PDF », mais doit également être alimenté par des données structurées (antécédents, allergies, maladies…). Là encore, le système hospitalier peut jouer un rôle clé car chaque hospitalisation est codée systématiquement pour des raisons budgétaires. Rappelons que ce codage avait initialement une finalité médicale… il peut certainement la retrouver.

Un système de santé plus efficace et moins couteux.

Tous les médecins seront bien évidemment libres de mettre à jour ces informations ainsi que les patients à leur niveau d’expertise. L’ensemble des comptes rendus radiologiques ou biologiques doit très vite converger vers le DMP. Là encore des connecteurs existent mais ne sont pas utilisés. L’Identifiant National de Santé doit permettre le rapprochement et la convergence des informations par tous les acteurs de santé.
Enfin, dans un second temps, le DMP doit certainement devenir le support de prescription des patients ayant une maladie chronique. Une telle organisation est-elle possible ? Plusieurs expériences existent en France, en particulier à l’APHP qui a développé une plate-forme web ville – hôpital, le Portail Professionnel Paris-Nord. Ce portail est interconnecté avec le DMP et va pouvoir l’alimenter de façon complètement automatisée. Le médecin qui se connecte peut ainsi trouver l’information médicale essentielle et peut être redirigé vers le portail APHP pour y retrouver des informations additionnelles.
Ainsi l’hôpital, qui a été au cœur de la prise en charge de l’épidémie de COVID, doit maintenant se positionner comme l’acteur pivot de la révolution numérique de la santé, à travers un DMP opérationnel. Bien évidemment, cette nouvelle mission doit s’accompagner d’un cahier des charges précis et partagé et de financements adaptés. Cette mutation opérationnelle doit être réalisée au plus vite pour structurer un système de santé plus efficace, à terme moins couteux et permettant de mieux gérer des épidémies.


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